4.2 La politique à l’égard du créole capverdien

Depuis plus d’une dizaine d’années, le gouvernement capverdien s’est préoccupé du créole capverdien, la langue maternelle de tous les citoyens. C’est d’ailleurs l’une des obligations prévues par la Constitution. En effet, l’article 7 oblige l’État à «préserver, valoriser et promouvoir la langue maternelle et la culture capverdienne» (alinéa i) :

Article 7Rôle de l’ÉtatLes tâches fondamentales de l’État sont: a) De défendre l’indépendance, de garantir l’unité nationale, de préserver, d’évaluer et de promouvoir l’identité de la nation capverdienne, en favorisant la création de leurs conditions nécessaires d’ordre social, culturel, économique et politique;g) De soutenir la communauté capverdienne éparpillée de par le monde et de promouvoir en son sein la conservation et le développement de la culture capverdienne ; h) De susciter et promouvoir l’éducation, la recherche scientifique et technologique, la connaissance et l’ utilisation de nouvelles technologies, ainsi que le développement culturel de la société capverdienne ;i) De préserver, valoriser et promouvoir la langue maternelle et la culture capverdienne; 

L’article 79 de la Constitution porte sur le «droit à la culture». D’après cette disposition, il incombe spécialement à l’État de « promouvoir la défense, la valorisation et le développement de la langue maternelle capverdienne et de stimuler son usage dans la communication écrite» (alinéa f): 

Article 79Droit à la culture1) Tous ont droit aux avantages et à la création culturelle, ainsi que du devoir de préserver, défendre et valoriser le patrimoine culturel.2) Afin de garantir le droit à la culture, les pouvoirs publics doivent promouvoir, stimuler et assurer l’ accès de tous les citoyens aux avantages et à la création culturelle en collaboration avec les autres agents culturels.3) Afin de garantir le droit à la culture, il incombe spécialement à l’État de: […]
 
d) assurer la défense et la promotion de la culture capverdienne dans le monde ; e) promouvoir la participation d’émigrants dans la vie culturelle du pays ainsi que la diffusion et l’évaluation de la culture nationale au sein des communautés capverdiennes émigrées ;f) promouvoir la défense, la valorisation et le développement de la langue maternelle capverdienne et de stimuler son usage dans la communication écrite ; g) stimuler et soutenir les organisations relatives à la promotion culturelle et aux industries liées à la culture.

– L’Alphabet unifié pour l’écriture du capverdien

L’objectif à long terme est d’officialiser le créole capverdien. Pour ce faire, il faut auparavant doter la langue d’une écriture. Le Décret-loi no 67/98 du 31 décembre proposé un alphabet unifié appelé ALUPEC Alfabeto Unificado para a Escrita do Cabo-verdiano. Le décret 67/98 instituait une période d’essai d’une durée de cinq ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi. C’est le Décret-loi no 8 instituant l’ALUPEC comme alphabet capverdien (2009) qui rendait cet alphabet officiel. Toutefois, la loi n’a pas imposé des règles précises pour l’emploi de cet alphabet qui constitue une façon d’écrire le créole dans ses différentes variantes. C’est avant tout une option pour représenter chaque son de façon uniforme les variantes de la langue capverdienne. L’ALUPEC harmonise deux modèles d’alphabet latin: l’un sur une base phonologique, l’autre sur une base étymologique. Selon l’article 2 du décret-loi no 8/2009 du 16 mars, l’alphabet se compose de 23 lettres et de 4 digrammes, avec une représentation en majuscules et en minuscules:

Les 23 lettresLes 4 digrammes
MajusculesA – B – D – E – F – G – H – I – J – K – L – M – N – Ñ – O – P – R – S – T – U – V – X – Y – ZDJ – LH – NH – TX
Minusculesa – b – d – e – f – g – h – i – j – k – l – m – n – ñ – o – p – r – s – t – u – v – x – y – zdj – lh – nh – tx

Un règlement prévoit que, pour que le créole devienne une langue officielle, il faut qu’il y ait des conditions nécessaires pour son officialisation. Or, celle-ci ne s’est pas encore concrétisée pour plusieurs raisons :

– L’existence d’une grande fragmentation dialectale dans le créole, et les locuteurs ne veulent pas parler une autre variante que la leur;

– L’absence de règles pour déterminer quelle est la forme correcte (et graphique) pour chacun des mots. Par exemple, seulement pour le mot correspondant en portugais à algibeira («poche»), on trouve algibêra, agibêra, albigêra, aljubêra, alj’bêra, gilbêra, julbêra et lijbêra;

– L’absence de règles pour établir les limites lexicales à adopter; souvent, les locuteurs du créole, en écriture, se joignent à différentes classes grammaticales. Par exemple, « pâm » au lieu de « pâ m »;

– L’absence de règles pour établir des structures grammaticales qui doivent être prises non seulement entre les différences dialectales, mais aussi les variations dans une même variante dialectale. Par exemple, dans la variante de Santiago, lorsqu’il y a deux phrases dont l’une est subordonnée à l’autre, il faut une concordance des temps des verbes (bú cría pâ m’ dába «tu querias que eu desse»), mais certains locuteurs ne l’applique pas;

– L’absence de normes pour déterminer des niveaux de langue : familial, formel, informel, argotique, scientifique, etc.

– Le système d’écriture adopté, l’ALUPEC, n’a pas été accepté par toutes les composantes.

Pour surmonter ces problèmes, certains auteurs préconisent un processus de standardisation des créoles des Îles-sous-le-Vent (capverdien sotavento) autour de la variante de Santiago et un autre processus de standardisation des créoles des Îles-du-Vent (capverdien barlanvento) autour de la variante de São Vicente. Ainsi, le créole serait une langue «multicentrée» (« língua pluricêntrica »).

Malgré le fait que l’ALUPEC soit devenu un système d’écriture unifié et officiellement reconnu par le gouvernement du Cap-Vert, il est permis d’utiliser d’autres modèles d’écriture, selon larésolution 48/2005, «à la condition qu’ils soient présentés sous une forme systématisée»:

13. En disposant, en ce moment, d’un seul alphabet systématisé pour écrire la langue capverdienne (ou l’ALUPEC), son emploi constituera une valeur ajoutée pour le soutien institutionnel dans les créations artistiques. Cependant, d’autres modèles d’écriture sont également acceptables dans l’obtention d’un soutien, à la condition qu’ils soient présentés sous une forme systématisée.

Ce sont toutes ces raisons qui font en sorte que chaque locuteur capverdien préfère utiliser son propre dialecte local; ils craignent en fait de perdre une partie de leur identité.

– La Commission nationales pour les langues

En octobre 2012, le gouvernement a institué la Comissão Nacional para as Línguas (CNL), la Commission nationale pour les langues, un organisme consultatif chargé de la mise en œuvre de la politique linguistique. En vertu de la résolution 47/2012 (Resolução n° 47/2012), le principal objectif de la Commission nationale pour les langues est de faire de la société capverdienne un pays affectivement bilingue, en accord avec les citoyens et l’environnement. Les langues concernées sont le portugais, le créole capverdien et la langue des signes. Les membres de la CNL sont des universitaires dans le domaine des études linguistiques, de la littérature, de la philosophie, ou des écrivains et des enseignants qui ont rédigé des ouvrages scientifiques ou littéraires dans les langues en usage dans la société capverdienne (portugais, créole et langue des signes). L’objectif dinal est d’officialiser le créole capverdien.

– L’enseignement du créole

Le créole capverdien est la langue maternelle de tous les Capverdiens. C’est cette langue que les jeunes cadres s’expriment dans leurs communications quotidiennes, y compris ceux qui ont étudié dans l’ancienne métropole comme les médecins, les ingénieurs, les enseignants, les avocats, les sociologues, les économistes, etc. C’est en créole capverdien que les fonctionnaires des différents ministères s’expriment pour communiquer entre eux. Bref, même s’il existe au Cap-Vert un bilinguisme élitiste (portugais-créole), le créole est constamment présent dans les relations informelles, même dans celles où le portugais prédomine. Autrement dit, il est inutile de nier la présence, pour ne pas dire l’omniprésence du créole dans la société capverdienne.

Évidemment, l’objectif de tout ce branle-bas de combat est d’intégrer le créole dans l’enseignement. Auparavant, il faut obtenir l’accord des parents, car il y a des résistances de ce côté. Certains veulent que leurs enfants reçoivent leur instruction uniquement en portugais dans les écoles privées, alors que d’autres se résignent à ce que les écoles publiques enseignent en créole. Il faut dire qu’en Afrique la plupart des pays ont une seule langue officielle, qui est aussi la langue d’enseignement à tous les niveaux. Peu de pays ont osé permettre une langue locale dans le système d’éducation.

Pour beaucoup de capverdiens, la politique linguistique à l’égard du créole est un écran de fumée. Il serait encore loin le jour où le créole deviendra dans les faits une langue co-officielle avec le portugais. Ce n’est pas par des dispositions constitutionnelles et des décrets gouvernementaux que le créole obtiendra ce statut. Pour ce faire, il faudra d’abord que le créole devienne une langue d’enseignement, une langue écrite dans l’administration, la justice et la législature, de même que dans les médias. Bref, il faudrait que le créole capverdien soit la langue dans toutes les situations formelles de communication, à l’intérieur du pays comme dans la diaspora. Quoi qu’il en soit, il faudrait surtout uniformiser les variétés ou variantes du créole capverdien. Et ce n’est pas pour demain la veille!

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