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Chronique du Jour : Gouvernance et corruption … à quand le divorce ?

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Énoncer « nos politiciens sont des corrompus qui appauvrissent de manière criminelle le pays », pour malheureuse et scandaleuse que soit la réalité de cette assertion, ne doit pas nous faire oublier que la corruption est un mal qui touche profondément toutes les couches de notre société. Il est aberrant qu’on se RESIGNE même, en la matière, à une certaine forme de « normalité ».

Selon le rapport de Casals & Associates de 2005 « Evaluation de la lutte contre la corruption à Madagascar » présenté au CSLCC (Conseil Supérieur de Lutte Contre la Corruption, devenu depuis CSI), 60 à 67% des ménages interrogés et 45 à 48% des agents de l’Etat considèrent que la corruption est monnaie courante pour obtenir des services, ou pire pour changer une décision de justice.

Il ne s’agit pas ici seulement de perception : 41 % des ménages interrogés dans l’enquête déclarent avoir subi OU EMIS un pot-de-vin !

Les citations du moment …

Il n’était pas désirable que les prolétaires puissent avoir des sentiments politiques profonds. Tout ce qu’on leur demandait, c’était un patriotisme primitif auquel on pouvait faire appel chaque fois qu’il était nécessaire de leur faire accepter plus d’heures de travail ou des rations plus réduites. Ainsi, même quand ils se fâchaient, comme ils le faisaient parfois, leur mécontentement ne menait nulle part car il n’était pas soutenu par des idées générales. Ils ne pouvaient le concentrer que sur des griefs personnels et sans importance. Les maux les plus grands échappaient invariablement à leur attention. »
1984, George Orwell

« Une société sans rêve est une société sans avenir. » Carl Gustav Jung

« Il n’y a pas de déficit de prise de parole dans notre société. Par contre, il y a un déficit de compréhension. Or la vie intellectuelle se conçoit toujours comme si elle était définie par cette fonction de résistance, de prise de parole, d’alerte. Et elle oublie que son véritable travail, c’est le travail d’analyse, c’est un travail de compréhension de la réalité… » Pierre Rosenvallon

Enjeu d’envergure dans la meilleure gestion des relations d’une administration avec ses administrés, le sujet est crucial : « Pourquoi, moi artisan ou petit commerçant sortirai-je de l’informel, pourquoi, irai-je prendre des risques à me lancer dans une entreprise si je dois au passage engraisser quelques agents indélicats et incompétents ? » … L’idée peut paraître insoutenable à beaucoup.

Analyse inquiétante.

Quand par extrapolation, l’étude Casals estime que les populations à faible revenu ou les populations à revenu plus élevé dépensent respectivement 7% et 2,5% de leur revenu en pots de vin, pour un montant annuel évalué 3,2 milliards d’ariary (16 millions de US$), on est confrontés là un fléau qui s’avère un obstacle majeur au développement
1) parce qu’il freine l’initiative des usagers refusant d’avoir accès aux services publics de peur d’avoir à subir la contrainte d’un bakchich : « je préfère ne rien faire plutôt que d’aller affronter des agents de l’Etat qui ne sont pas à mon service et vont me vampiriser » …
2) parce qu’elle obère les possibles recours et la confiance des citoyens dans leur système judiciaire qui les saigne au lieu de les protéger : « et en plus, je ne peux même pas me retourner vers la réglementation et une action de justice pour obtenir réparation ».
3) parce qu’il tue le respect des institutions politiques : « pourquoi devrais je faire confiance à un système politique incapable de mettre en place les institutions qui me protègeraient, moi citoyen, dans mon quotidien ?» … Et pire, « quelle ambition puis je insuffler à mes enfants ?».

Ces phénomènes de corruption au quotidien sont donc bien plus pervers qu’on ne le voit, parce qu’ils obèrent profondément et durablement les capacités d’initiatives des individus et des organisations et brime le développement de la démocratie.

Dans ses formes multiples,

service rendu de manière « bénigne » à une relation familiale (népotisme, délit d’initié ou favoritisme … ) ,
– « petite » corruption administrative au quotidien (i.e pour obtenir un permis ; pour le pour boire du «mangatsika aho ry sefo »),
– corruption de « haut » vol ( prébendes et cadeaux nécessaires à l’obtention d’un marché),
– ou « grande » corruption politique (détournement de budgets publics, aménagement de la loi pour favoriser des intérêts particuliers…),
cette perversion des échanges sociaux est un phénomène qui doit être combattu et éradiqué pour que l’on puisse espérer un réel progrès de notre société dans le cadre d’un DÉVELOPPEMENT VÉRITABLEMENT DURABLE.

Il nous a paru intéressant de tenter une approche synthétiste des phénomènes de corruption, afin de pouvoir apporter aux uns et aux autres des éléments, d’une part, d’appréciation du phénomène et, d’autre part, d’évaluation des axes de vigilance et d’intervention possibles.

Approches théoriques …

Evaluée comme Cause ou comme Effet de l’insuffisance des institutions, la corruption fait l’objet de trois approches théoriques. On laissera de coté une quatrième approche neo-marxiste, qui voit dans l’essence même des échanges capitalistes l’origine de la corruption : on ne va quand même pas revenir aux schémas socialistes de la période Ratsiraka pour résoudre le problème.

La corruption est vue selon certains théoriciens du développement comme résultante d’une faiblesse endémique des institutions : la faiblesse de l’Etat de droit caractérisée par l’incertitude du régime des contrats, les carences du système judiciaire, l’inadéquation des procédures de marchés publics et leur approximation et enfin l’absence de contre-pouvoirs institutionnels, laisse de fait encore part trop belle aux procédures informelles.

La solution politique serait ici de s’attaquer fermement à la mise en place d’institutions stables et dotées de moyens ad hoc et à la mise en œuvre de réels contre-pouvoirs institutionnels.

Une deuxième approche théorique, ancrée dans le paradigme néolibéral, pose le postulat suivant : la nature pléthorique des administrations, dans laquelle les agents administratifs et politiques agissent en véritables agents économiques rationnels exploitant le système à leur propre avantage et « manipulant les politiques macroéconomiques à des fins pécuniaires et à des fins de promotion de divers types d’activités génératrices de rentes », est la cause structurelle des phénomènes de corruption de nos pays.

Les voies de la lutte contre la corruption vue selon ce modèle théorique seraient une politique de restructuration drastique et de réduction de l’Etat.

La corruption est une maladie qui frappe sans pitié et dont les plus démunis ont toujours payés le prix fort. Celui qui essaye d’être honnête se trouve très vite devant une évidence impitoyable de se dire que c’est ça va être presque impossible de se frayer un passage au milieu des loups.

La troisième approche théorique défend une thèse (choquante, mais …) selon laquelle les valeurs, l’organisation sociale, les moeurs même, définissent des caractères culturels qui favorisent la corruption.

Les modes traditionnels de relations sociales, castiques, familiales, claniques, la relation à l’autorité font le berceau du népotisme et de l’appropriation du pouvoir politique au service de la famille ou du clan.

Selon cette approche, l’implication des masses dans le sens d’une modernisation des valeurs fondatrices traditionnelles, pour les appliquer à des valeurs modernes de bonne gouvernance, définirait l’axe d’une intervention politique contre la corruption.

Culturel dites vous … ?

On s’attache en fait trop souvent aux effets et aux mécanismes de la corruption quand notre problème reste avant tout la dilution des valeurs fondamentales qui bâtissaient traditionnellement une société malgache sur le Fihavanana (solidarite/respect), le Rariny (juste) et le Marina (vérité) , sur la valeur spirituelle de l’humain et sur l’intérêt communautaire.

L’inscription du « famaharinana » comme valeur fondamentale dans la Constitution de la République, valeur reprise dans le serment du personnel du Bianco, grave dans le texte le vœu d’une évolution des comportements, le vœu d’un retour à des valeurs fondamentales, dans une société où ce principe d’intégrité s’est historiquement peu à peu dilué et où notre Fihavanana a perdu son sens premier.

Patrick Rafolisy, dans son très beau travail de thèse, corrèle ainsi dans une étude d’histoire du droit pénal malgache depuis le XIXème à nos jours, l’évolution (généralisation) de la corruption dans la société malgache avec l’évolution du droit pénal, des pouvoirs judiciaires et des relations sociales.
Son étude énonce en particulier que depuis le XIXème, la dilution des pouvoirs du Fokonolona, la perversion du Fihavanana et du Mifandefitra – quand sur ces valeurs se sont appuyées les « relations de parenté et de clan et d’alliance avec le souverain» des détenteurs de pouvoir – ont développé l’impunité de l’acte de corruption, au lieu de défendre l’intérêt communautaire et ont fondé la généralisation de la corruption.
Concernant la population victime des abus, des comportements induits par le Fihavanana la rendaient vulnérables face à ces tenants de pouvoir.
En respect et de la préservation du Fihavanana envers son entourage, y compris les tenants de pouvoir qui sont souvent des mpiara-monina (co-habitants), le malgache est enclin à être tolérant, par le biais d’une valeur aussi essentielle, le mifandefitra.
Cette vertu qui pousse à ne pas blesser son semblable peut être une cause de tolérance des malversations, même si au fond il ne les approuve pas du tout.
Enfin, pour l’entretien du Fihavanana, kolokolo, le malgache favorise la culture des échanges de présents et d’avantages[…]. Lesquels pouvaient se muer facilement en contrepartie de transactions corrompues.(Rafolisy. 2008)

En l’occurrence, parce que la résignation des populations à l’autorité prédatrice (« baah … ça a toujours été comme ça, on doit se résigner à ce que les gens qui ont un peu ou beaucoup de pouvoir se sucrent … », est un phénomène mortifère dans notre société, l’éducation et l’information des masses doivent faire l’objet d’une attention particulière.

Qu’avons nous fait jusque là … ?

La lutte contre la corruption et pour la transparence des transactions (Gouvernance et transparence, l’initiative EITI dans « Pétrole à Madagascar : la taille, l’âme et la manne ) est une priorité des instances internationales, des gouvernements et des agences de développement et fait l’objet de programmes spécifiques dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. (Gouvernance dans le monde). Mais ces enjeux relèvent avant tout de notre propre responsabilité.

Chez nous, les sources du mal sont reconnues, mais les enjeux de survie et la perception populaire sont tels que les discours politiciens s’attachent en général d’abord, en privilégiant la voie pénale, aux effets du mal et à sa répression.

A contrario, les structures de contrôle mises en place ne devraient pas être seulement répressives, parce qu’en ce sens, elles ne s’attaqueraient pas aux racines du problème à savoir : les défauts organisationnels des institutions, le manque de visibilité et d’information des règles et des procédures, la transparence caractéristique de la bonne gouvernance, et le retour de valeurs fondatrices.

C’est STRICTEMENT sur la base de ces principes que le gouvernement Ravalomanana, avec le soutien du Royaume de Norvège en particulier, avait défini son programme de lutte contre la corruption, à travers un cadre législatif : loi anti corruption, création du CSLCC puis du CSI (dont le libellé Conseil pour la Sauvegarde de l’Intégrité n’est pas anodin), création du Bianco, décret sur la déclaration de patrimoine.

Ce cadre mettait en place les institutions et les structures ad hoc ainsi que les axes d’intervention : Prévention, Education, Conditionnalité, Investigation et Sanction.

Que le dernier rapport d’activité du BIANCO publié date du DEUXIEME TRIMESTRE 2008 (!!!), doit nous interpeller : pourquoi l’a-t-on quasiment démantelé (faire contrôler par le Bianco des épreuves d’examen le baccalauréat !!!) ? Mais l’évaluation de la réalité de la portée de son action et de ses limites est un autre sujet.

Les outils, les structures sont là. Les principes fondateurs sont établis, les valeurs ont été institutionnellement posées. Que nous manque t il donc : les conserver, les respecter ? Il est ainsi une autre évidence à énoncer : la lutte contre la corruption ne doit pas relever que de la seule rhétorique politicienne.

Et, en l’occurrence, si un nouveau projet politique doit prendre en compte une réelle stratégie de lutte contre ce fléau, nous ne devrons jamais perdre de vue qu’il ne faut pas le limiter aux mécanismes des hautes sphères de l’Etat, mais chercher à s’attacher à résorber l’expression de la corruption dans toutes les couches et tous les secteurs, tant du domaine public que du domaine privé, de notre société… et retrouver nos valeurs fondatrices, dont notre fameux Fihavanana, aujourd’hui perverti.

Et le « fahamarinana », principe d’Intégrité qui définit la préservation de l’intérêt général, est une valeur qui doit régir nos comportements citoyens.


Notes
•	CSI (ex CSLCC) : Conseil pour la Sauvegarde de l’Intégrité. 
        Rôle : Pilotage de la composante Intégrité du Programme National 
        de Bonne Gouvernance.
•	BIANCO : Bureau Indépendant Anti-Corruption. Rôle : coordonner la mise 
        en œuvre de la Stratégie Nationale par l’Education, la Prévention et 
        l’Investigation Sources
•	Je recommande la thèse de doctorat de Patrick Noël Rafolisy. 
         « Protection juridique de l’intégrité morale et développement durable : 
         le cas de Madagascar» – 2008
•	DIAL (Lavallée, Razafindrakoto, Roubaud) : « Les mécanismes à l’origine 
           de la corruption : une analyse sur micro-données africaines » – 2008
•	Transparency International : « Rapport Mondial sur la corruption 2009 »
•	Transparency International : « Rapport Mondial sur la corruption 2007 »
•	Casals & Associates : « Evaluation de la lutte contre la corruption à 
        Madagascar » – 2005
•	Dr Jacky Talonto : « Corruption en Afrique »
•	Le site du Bianco

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