L’auteure examine dans un premier temps les caractéristiques de la culture juvénile contemporaine, et montre la nécessité, pour tous les systèmes éducatifs, d’intégrer la culture populaire si l’on souhaite réduire la fracture entre culture scolaire et culture juvénile.

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Dans les sociétés latino-américaines, où la fracture numérique est importante, seule l’école peut (et doit) assurer une meilleure répartition de l’information et des connaissances.

Le programme « école et médias », mis en place par le ministère argentin de l’éducation, vise à renforcer la formation sociale et civique des élèves ainsi que leur capital culturel, afin de former des élèves sensibles aux problèmes sociaux, critiques par rapport à l’information et aux messages qu’ils reçoivent, autonomes dans leurs décisions et engagés.

La génération multimédia

1Les jeunes de moins de 18 ans constituent la première génération qui a connu dès l’enfance un univers médiatique extrêmement diversifié. La distinction entre médias nouveaux et médias traditionnels n’a aucun sens pour les adolescents d’aujourd’hui.

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Ce sont les adultes qui s’interrogent sur les ruptures technologiques, les nouveaux apprentissages qu’ils doivent entreprendre et les nouveaux usages sociaux des médias et des technologies qu’ils doivent pratiquer.

Les jeunes, en revanche, ont appris en même temps à utiliser la télécommande de la TV, le téléphone portable, la tablette et l’ordinateur personnel.

2Les produits culturels forment une part essentielle de l’identité juvénile. Les moyens de communication et les technologies de l’information sont devenus pour les jeunes d’aujourd’hui l’espace – parfois unique – qui parle d’eux-mêmes à eux-mêmes.

Aujourd’hui, les jeunes n’ont pas besoin de se marier, d’obtenir des diplômes ou un travail pour ne plus dépendre de leurs parents. Leur autonomie commence bien avant, à l’adolescence.

Grâce à Internet, les adolescents ont l’impression de naviguer dans un espace personnel, qui leur appartient et qu’ils partagent seulement avec leurs amis. Ils construisent, à un très jeune âge, un espace étranger à leurs parents.

Ils se meuvent dans un univers fait de dynamisme, de fragmentation, un monde mosaïque, où tout arrive simultanément et dans l’instant. Les adolescents appartiennent à la «  génération multimédia  », non seulement à cause de la diversité de médias et de technologies dont ils disposent, mais aussi parce qu’ils les utilisent de façon simultanée (Morduchowicz, 2008).

3Une enquête, réalisée en 2012 auprès d’adolescents argentins âgés de 11 à 17 ans par le ministère de l’éducation, a révélé que seul un adolescent sur dix utilise un seul média à la fois. Pour 90 % d’entre eux, les moments consacrés aux médias sont partagés et nullement exclusifs. Une caractéristique qui définit aussi cette génération.

4Avec Gutenberg, au xve siècle, la société a franchi le pas de la culture orale à la culture écrite, au xxe siècle, un nouveau pas, de la culture du mot à celle de l’image et au xxie siècle s’effectue celui de la lecture linéaire à la lecture numérique et à la perception simultanée.

5Les jeunes, qui vivent dans un univers visuel et d’écrans, sont habitués à relier, à associer et à comparer en ouvrant plusieurs fenêtres en même temps, sur différents supports et avec une très grande rapidité.

6Des études internationales révèlent que la majorité des jeunes préfère les films d’action à ceux qui exposent en longs plans la subjectivité et les processus intimes.

On peut l’interpréter en disant que, devant les difficultés de savoir quoi faire du passé et du futur, les cultures juvéniles se consacrent à l’hyper-réalité de l’instant, au caractère éphémère des disques à écouter cette semaine, à la rapidité de l’information et à la communication bon marché qui facilite l’oubli…

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Vision déconnectée des événements, relation fragmentée avec les savoirs : les jeunes générations s’immergent dans le présent (Garcia Canclini, 2006).

7Le « zapping » est la manifestation la plus évidente d’un comportement de plus en plus en forme de mosaïque et simultané. Les enfants d’aujourd’hui vivent en permanence dans la fragmentation, le provisoire, la recherche constante de l’immédiateté et un sentiment intense d’impatience (Ferrés, 2000).

8La culture populaire est si étroitement liée à la culture juvénile que, actuellement, le jeune se façonne à partir de la fréquentation, de la consommation et de l’accès à un certain type de biens symboliques et de produits culturels spécifiques.

C’est dans le domaine des produits culturels que le jeune déploie sa visibilité en tant qu’acteur social. C’est précisément pour cela qu’il est particulièrement important de s’interroger sur les produits de consommation culturelle chez les jeunes.

Leur analyse permet de comprendre les configurations spécifiques du monde que, de manière contradictoire et complexe, les jeunes construisent à partir de leurs liens avec les industries de la culture (Reguillo, 2000).

9En somme, les adolescents vivent aujourd’hui une expérience culturelle distincte, de nouvelles manières de percevoir, de sentir, d’écouter et de voir. Il s’agit de dimensions que l’école ne peut éviter de prendre en compte.

Le défi de l’école

10Si nous acceptons que les jeunes acquièrent aussi leur capital culturel en dehors des salles de classe, l’école ne peut plus se concevoir comme le seul lieu légitime pour transmettre le capital symbolique.

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11L’école, pourtant, ne semble toujours pas s’en rendre compte. Et il en résulte une non rencontre entre la culture scolaire et la culture des jeunes. Les jeunes évoluent dans un univers régi par des paramètres différents de ceux qui sont légitimés par la culture scolaire.

12Depuis ses origines, l’école – qui est née avec l’imprimerie et Gutenberg – a été davantage liée à la culture de l’écrit imprimé. Elle a vécu dans un monde où prévalait la logique du livre, la linéarité et l’ordre séquentiel.

Depuis, l’école continue à transmettre par le biais de l’écriture, du mot et du livre. Et souvent, elle ignore les cultures qui commencent à naître et à cohabiter avec elle en dehors de la classe.

Cette conception traditionnelle de l’école a creusé la fracture entre la culture à partir de laquelle les élèves apprennent et celle à partir de laquelle les maîtres enseignent.

L’institution scolaire reste, de façon générale, en marge des processus de configuration socioculturelle des identités juvéniles et continue à se représenter le « jeune » comme un jeune idéal, qui doit franchir certaines étapes et adopter certains comportements.

13L’école réduit son conflit avec la culture audiovisuelle à des questions morales et se lamente sur les effets des écrans qui accapareraient le temps libre des jeunes, manipuleraient leur naïveté et leur idéalisme, leur inoculeraient superficialité et conformisme, en les rendant réticents à toute tâche sérieuse.

Obsédés par le pouvoir maléfique des technologies, les éducateurs finissent par oublier la complexité du monde de l’adolescence ou de la jeunesse (Barbero Martin, 2002).

14Si les identités des jeunes se définissent non seulement par les livres qu’ils lisent mais aussi par les programmes de télévision qu’ils regardent, les pages web sur lesquelles ils naviguent, la musique qu’ils écoutent, le film qu’ils choisissent et la bande dessinée qu’ils préfèrent, l’école doit se rapprocher des produits de consommation culturels des jeunes, reconnaître leurs pratiques et leur apprendre à utiliser les différents langages et écritures avec lesquels ils vivent.

15Aujourd’hui, le défi de l’école est de reconnaître qu’il existe de nouveaux modes de diffusion et de circulation du savoir. Deux changements sont fondamentaux dans ce processus : le décentrement et la détemporalisation (Barbero, 2003).

16Le décentrement signifie que le savoir sort des limites exclusives des livres et de l’école pour commencer à circuler à travers d’autres sphères, notamment les médias de communication et Internet.

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La détemporalisation signifie que les savoirs aussi échappent aux temporalités socialement légitimées pour la distribution et l’apprentissage du savoir. Le temps de l’apprentissage se trouvait jusqu’ici associé à un âge et à un espace.

Aujourd’hui, même si le temps scolaire ne disparaît pas, son existence est fortement mise en cause. Le savoir scolaire doit coexister avec des savoirs sans lieu propre, comme celui du cyber-espace, dans un apprentissage qui s’est affranchi des frontières que marquent l’âge et la salle de classe, pour devenir continu, à toute heure et en tout lieu, et qui s’étend à tous les âges de la vie.

17Le grand défi actuellement, pour les système éducatifs, est de donner aux enfants et aux jeunes la capacité d’aborder et d’utiliser la multiplicité des écritures et des discours dans lesquels se prennent les décisions qui les concernent sur les plans du travail, de la famille, de la société, de la politique et de l’économie.

18Vivre dans une société multiculturelle ne renvoie pas seulement à la coexistence de différentes ethnies et traditions mais à celle de différents langages : ceux des cultures orale, écrite, audiovisuelle et numérique. L’école doit devenir le centre de convergence de ces cultures, pour les connaître, les analyser, les explorer et les utiliser de façon créative.

19Rappelons alors les défis auxquels se confronte l’école du xxie siècle. D’abord, il est important que les professeurs soient conscients des expériences diverses que les élèves acquièrent via les écrans hors de l’école.

Connaître les pratiques culturelles et technologiques des adolescents est essentiel pour partir de l’endroit où se trouvent les élèves et non de celui où nous voulons qu’ils soient.

Ensuite, l’école doit chercher comment développer ces usages, en offrant aux étudiants des opportunités de nouvelles pratiques qui favorisent la réflexion, l’analyse critique, l’expression et la production de contenus sur Internet.

Il s’agit, par conséquent, de connaître et de prendre au sérieux les expériences qu’ont les jeunes des technologies, pour leur redonner du sens et les développer. Enfin, il s’agit d’outiller de manière systématique l’alphabétisation numérique et d’en faire un curriculum.

20Internet ne peut être envisagé comme une question exclusivement technologique. Internet – comme les moyens de communication traditionnels – offre de nouvelles manières de communiquer et de représenter le monde.

L’alphabétisation numérique doit procurer aux jeunes les outils réflexifs qui leur permettent de comprendre, d’interpréter, d’interroger et de défier les représentations du monde que propose Internet.

Cela signifie qu’il faut offrir aux adolescents la capacité de produire leurs propres contenus et de se transformer en acteurs – et non en seuls spectateurs – de la culture médiatique et technologique (Buckingham, 2007).

21Tout cela implique, pour l’école, d’enseigner et d’analyser les productions numériques, de connaître les institutions et les sociétés productrices de contenus, et de distinguer les langages et les différents formats sous lesquels se présente l’information. En somme, il s’agit non seulement que l’école facilite l’accès à Internet mais qu’elle promeuve sa compréhension et sa création.

22Un jeune alphabétisé, numériquement parlant, sait chercher l’information sur le web, repère où et comment la localiser, est capable d’identifier les différents producteurs de contenus, sait distinguer les plus fiables, se demande par quelles sources ils ont été obtenus, s’interroge sur la structure et sur les liens auxquels renvoie la recherche, enquête sur ce que le site ne dit pas et s’interroge sur les raisons de ces omissions.

23Comme ce fut le cas dès les années 1950 à l’apparition de la télévision, l’arrivée d’Internet a fait renaître certaines peurs et a renouvelé le discours sur les « dangers » supposés de la technologie pour les adolescents et les menaces que les écrans font peser sur la culture de l’imprimé. Mais au-delà des quelques risques qui existent certainement (comme dans la vie réelle), la pédagogie défensive ne forme pas des élèves numériquement alphabétisés.

24L’école doit relever le grand défi d’enseigner aux jeunes à connaître, à explorer, à interpréter et à évaluer les moyens de communication et les technologies, pour qu’eux-mêmes soient capables de prendre des décisions sur les pratiques et la consommation, à partir d’une information large et d’une réflexion critique.

Plutôt que de privilégier une approche protectrice, l’école doit renforcer l’analyse, la compréhension et la participation active des enfants et des adolescents dans leurs pratiques des technologies. C’est sans doute le grand défi de l’école en ce qui concerne la culture des jeunes.

Les obstacles, l’avenir

25Il n’est donc pas surprenant que l’une des principales raisons des difficultés à introduire systématiquement l’alphabétisation médiatique et numérique soit les représentations négatives des écrans qu’en ont habituellement les professeurs. Le défi consiste toujours à réduire la fracture qui existe entre la culture des adolescents et la culture scolaire, en introduisant d’autres langages, d’autres écritures, d’autres discours, d’autres textes.

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26Mais ce n’est pas le seul problème. Du point de vue d’une politique publique, il est important de penser à l’introduction de l’alphabétisation numérique – non pas technique, mais réflexive et critique – dans la formation pédagogique initiale, de façon à ce que, lorsque le professeur commence à enseigner, il soit déjà formé sur ce sujet. La formation initiale des maîtres et des professeurs continue d’être un passage obligé pour l’alphabétisation numérique de tous.

27En Amérique latine, de surcroît, les sociétés latino-américaines sont très fragmentées et inégalitaires. L’accès aux biens culturels est très inégal. Tandis qu’une minorité a accès à toutes les sources, médias et technologies, la grande majorité n’a accès qu’à la télévision gratuite et à la radio.

Un important pourcentage de la population juvénile ne va pas au cinéma, ignore ce qu’est un théâtre, dispose d’un accès très limité à la technologie et manque de connexion familiale à Internet. Les fractures en Amérique latine ne sont pas seulement numériques mais culturelles, et concernent aussi les médias traditionnels (Morduchowicz, 2013).

28Ces différences sociales, qui ne sont pas un sujet mineur en Amérique latine, ont une incidence négative sur la construction du capital culturel des jeunes. L’exclusion technologique et culturelle renforce l’exclusion sociale, dans la mesure où les adolescents voient leur capital culturel restreint et, avec lui, les opportunités d’éducation, de travail et d’insertion sociale.

29Un des défis spécifiques de l’école au xxie siècle en Amérique latine est de réduire ces fractures et de promouvoir un accès plus équitable et plus juste aux biens culturels et aux technologies parmi les jeunes qui proviennent des familles les plus pauvres, et d’éviter ainsi leur exclusion éducative et sociale.

30Même quand les obstacles sont nombreux et les défis importants, le premier pas pour les vaincre est d’inscrire l’alphabétisation médiatique et numérique comme une politique publique, comme une politique d’État. Les enseignants qui utilisent les médias et la technologie en classe existent – heureusement – depuis toujours. L’enjeu, quand cette alphabétisation fait partie d’une politique publique, est de dépasser les volontarismes individuels et de convertir ces efforts particuliers en un engagement d’État.

« École et médias » : une politique d’État aux acteurs multiples

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31Partant de ces principes et sur ces bases, le ministère de l’éducation argentin a décidé d’une politique publique, à travers le programme « école et médias », afin de promouvoir l’éducation aux médias dans les établissements primaires et secondaires de tout le pays. Cette politique a quatre objectifs :

  • renforcer le capital culturel des élèves, en particulier ceux qui viennent des familles les plus défavorisées économiquement ;
  • améliorer la représentation des jeunes dans les médias et sur Internet ;
  • offrir une meilleure visibilité aux élèves, à travers leur propre voix ;
  • sensibiliser les parents à ce sujet et leur offrir des outils pour qu’ils conseillent leurs enfants dans leur relation avec les médias et Internet.

32Ce programme possède une direction nationale et des coordinateurs dans chacune des 24 provinces du pays. Il s’appuie, de plus, sur deux acteurs essentiels.

Le premier est constitué par les groupes de médias, les chambres professionnelles qui rassemblent les canaux de télévision, les journaux, les cinémas et les revues de tout le pays.

Nous sommes convaincus qu’il est très difficile, sans les médias, de promouvoir une éducation aux médias, de transformer la représentation des adolescents dans les médias, de promouvoir une nouvelle visibilité des jeunes.

C’est précisément pour cela que le ministère de l’éducation travaille de façon conjointe et systématique avec tous les groupes de médias pour lancer différentes initiatives et actions, tant en direction des établissements scolaires qu’en direction de la communauté en général.

Le second acteur important de ce programme est constitué par les entreprises privées, dont certaines appartiennent au monde des médias et de la communication (Télécom, Microsoft).

La majorité de ces entreprises sont des annonceurs réguliers à la télévision, à la radio, dans les revues, le cinéma et les journaux. Elles lancent des campagnes publicitaires pour diffuser certains produits, très souvent destinés aux enfants et aux adolescents.

De ce fait, maintenir avec elles un dialogue permanent à propos de la représentation des jeunes dans les médias, est en soi une bonne raison de faire d’elles des acteurs du développement de ces projets.

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Les entreprises, de leur côté, sont habituellement disposées à sponsoriser ces propositions qui, de plus, disposent d’une importante visibilité dans les médias. Il est important de souligner qu’aucune entreprise ou groupe de médias n’intervient dans les objectifs, les contenus ou la conception des initiatives, dont l’élaboration et la mise en œuvre relèvent du ministère de l’éducation.

De la sensibilisation à l’action

33Les propositions qu’impulse le programme « école et médias » peuvent être réparties selon les objectifs qu’elles poursuivent :

  • actions de formation des enseignants : cours, ateliers présentiels et édition de matériels de formation (imprimés et en ligne) ;
  • initiatives spéciales pour les écoles : il s’agit de concours et de festivals qui promeuvent l’analyse et l’utilisation des médias de communication ;
  • actions destinées spécifiquement aux élèves : propositions en direction des élèves qui sollicitent davantage leur participation ;
  • projets de sensibilisation de la communauté : actions en direction des familles qui les aident dans la relation de leurs enfants avec les médias.

Festival « École, caméra… action »

34Chaque année, depuis 2000, les élèves âgés de 13 à 15 ans sont invités à écrire un récit sur un thème. Un jury de scénaristes et de réalisateurs de cinéma reconnus sélectionne trois récits pour en tirer des courts métrages.

Un metteur en scène de cinéma argentin renommé réalise le court métrage et les adolescents participent à la production. Les trois films sont projetés pendant trois semaines dans toutes les salles de cinéma du pays, avant le film.

Ainsi, des milliers de spectateurs peuvent voir ces petits films dont les histoires ont été écrites et imaginées par des élèves des écoles publiques : une façon d’offrir à ces jeunes la possibilité de raconter leurs propres histoires avec leur propre voix et selon leur propre point de vue.

Ce festival a lieu avec le concours de l’Association des cinémas d’Argentine et de la fédération des producteurs de cinéma. Des entreprises privées financent la production des courts métrages.

Concours « Journalistes d’un jour »

35Tous les ans, depuis 1997 à Buenos Aires et depuis 2000 au niveau national, les lycéens des dernières années du secondaire (16-17 ans) rédigent un reportage sur un sujet qui les intéresse.

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Les directeurs de journaux de tout le pays sélectionnent celui qu’ils veulent publier. Un dimanche de novembre, tous les périodiques d’Argentine réservent une à deux pages aux reportages conçus par les lycéens, sans rien modifier.

De cette façon, des millions de lecteurs peuvent lire les reportages rédigés et conçus par les lycéens des écoles publiques. C’est une autre façon de donner une visibilité différente aux jeunes et surtout de remettre en question les représentations qui circulent habituellement dans les périodiques.

Les adultes n’écrivent pas sur le mal-être adolescent de la même façon que les jeunes. Le concours « Journalistes d’un jour » se tient avec le soutien de l’Association des périodiques.

Une revue pour les lycéens

36Depuis 2008, le programme « école et médias » édite RE, une revue distribuée gratuitement aux élèves des dernières années du secondaire. La revue a la particularité de rassembler, chaque mois, les notes, articles et interviews qui ont été publiés dans des journaux et revues argentins au cours du mois précédent.

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Avec le concours des associations de revues et de journaux, les articles sont reproduits intégralement, en indiquant toujours la source, l’auteur et la page web du média d’origine.

De cette manière, non seulement on promeut la lecture mais on permet aux adolescents de tout le pays de découvrir des journaux et des revues qu’ils ne connaissaient pas. La revue mensuelle, de 24 pages en couleurs, reçoit le soutien de diverses entreprises privées, ce qui rend possible la distribution gratuite de plus de 40 000 exemplaires aux lycéens.

Internet en famille

37Il s’agit d’un livret destiné aux parents, pour qu’ils puissent aider leurs enfants à naviguer sur Internet. Il rassemble conseils et recommandations pour un usage protégé et sûr d’Internet. Depuis 2008, il est distribué gratuitement un dimanche avec les journaux de la ville de Buenos Aires.

Sa publication a été soutenue par une campagne d’utilité publique à la télévision, sur le thème : « Quand les enfants naviguent sur Internet, la meilleure boussole, c’est vous. » Le livret a le soutien du journal, qui permet sa distribution gratuite avec le périodique. Diverses entreprises privées participent à son financement.

Semaine du cinéma pour les lycéens

38Cette initiative a pour objectif de réduire les fractures culturelles importantes qui existent parmi les adolescents des milieux populaires, dont la majorité n’a pas accès au cinéma, pour des raisons financières.

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L’exclusion de la culture est, sans doute, une autre manifestation de l’exclusion culturelle dont souffrent les adolescents aux moyens financiers faibles.

Pour cette raison, avec le soutien de la chambre professionnelle qui rassemble les cinémas d’Argentine, le ministère de l’éducation a lancé la Semaine du cinéma pour les lycéens, qui permet aux établissements secondaires publics dont les élèves sont issus de familles modestes d’aller au cinéma gratuitement pendant une semaine.

Un programme de films élaboré par le programme « école et médias », avec la participation de cinéastes, permet à plus de 30 000 jeunes de découvrir des films qu’ils n’ont pas l’habitude de voir (argentins, latino-américains, européens et nord-américains).

Une entreprise privée prend en charge l’édition de plus de 10 000 programmes destinés aux établissements scolaires, qui portent sur le contenu des films et sur des activités pour la classe.

Enquête : l’identité culturelle des adolescents

39Un aspect important du programme d’État d’éducation aux médias est l’évaluation. Le programme « école et médias » a ainsi conduit la première enquête nationale sur les biens de consommation culturelle chez les adolescents.

Le projet était d’obtenir un panorama général des biens de consommation, usages, pratiques, valeurs et significations que génèrent les médias et les technologies de communication chez les jeunes.

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L’enquête a été conçue sur le modèle d’enquêtes comparables réalisées au Royaume-Uni et en France sous la direction respective de Sonia Livingstone et de Dominique Pasquier. Les responsables du programme « école et médias » ont été en contact permanent avec les deux chercheuses pour la construction du questionnaire et l’élaboration des conclusions1.

40Les résultats de cette enquête ont constitué un socle fondamental pour concevoir les politiques publiques dans ce domaine. Ainsi, l’un des résultats qui a eu le plus d’impact, a été que quatre adolescents sur dix n’étaient pas allés une seule fois au cinéma au cours de l’année précédente (2005/2006) principalement pour des raisons financières.

Une des actions lancée par le programme « école et médias » l’année suivante a été « La semaine du cinéma pour les lycéens », décrite supra. De même, les faibles taux de lecture relevés chez les adolescents argentins dans cette étude ont été à l’origine de l’édition de la revue gratuite destinée aux lycéens. En somme, l’enquête s’est révélée être une clé pour concevoir de nouvelles initiatives du ministère de l’éducation.

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Bibliographie

BARBERO MARTÍN J. (2002) : Oficio de cartógrafo, Fondo de Cultura Económica. México.

BARBERO MARTÍN J. (2003) : in Morduchowicz R., Comunicación, medios y educación : un debate para la democracia, 2003, Octaedro, Barcelona.

BUCKINGHAM D. (2007): Beyond technology, Polity Press, Cambridge.

FERRÉS J. (2000) : Educar en una cultura del espectáculo, Paidós, Barcelona.

GARCÍA CANCLINI N. (2004) : Diferentes, desiguales y desconectados, éditions Gedisa, Barcelona.

GARCÍA CANCLINI N. (2006) : La modernidad en duda, inédit.

MORDUCHOWICZ R. (2008) : La generación multimedia, Paidós, Buenos Aires.

MORDUCHOWICZ R. (2013) : Los adolescentes del siglo XXI, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires.

REGUILLO R. (2000) : Emergencias de las culturas juveniles. Estrategias del desencanto, Norma, Buenos Aires.

Notes

1 Une synthèse de cette enquête est accessible sur une page web du programme : www.me.gov.ar/escuelaymedios.Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Roxana Morduchowicz, « Pour la génération multimédia, le programme « école et médias » en Argentine », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 67 | 2014, 93-101.

Référence électronique

Roxana Morduchowicz, « Pour la génération multimédia, le programme « école et médias » en Argentine », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 67 | 2014, mis en ligne le 14 décembre 2016, consulté le 05 novembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/ries/4125 ; DOI : 10.4000/ries.4125

Auteur

Roxana Morduchowicz

Roxana Morduchowicz est docteure en communication des universités de Paris 8 et de Buenos Aires et s’intéresse à la culture juvénile. Directrice du programme « école et médias » au ministère de l’éducation d’Argentine, consultante auprès de l’Unesco et de l’Organisation des États américains, elle a publié de nombreux ouvrages sur les médias et l’éducation, parmi lesquels A mí la tele me enseña muchas cosas et El capital cultural de los jóvenes.

Courriel : [email protected]

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