Éducation « par les médias » ou « aux médias » ? Les deux expressions proches à confusion dans l’enseignement 1

Ces deux expressions proches se confondent dans l’esprit de bien des gens du milieu de l’enseignement, comme d’ailleurs dans celui des professionnels des médias. On peut même parler, ces dernières années, d’un faux consensus dans le milieu scolaire québécois. L’auteur clarifie cette question dans un article de la revue québécoise Vie Pédagogique  auquel nous renvoyons le lecteur pour de plus amples développements.


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On entend dire que l’école québécoise intègre depuis déjà longtemps l’éducation aux médias, même si l’on admet qu’il faut moderniser cet enseignement pour tenir compte notamment des « nouveaux médias » comme Internet.

Les enseignants seraient donc déjà activement engagés avec leurs élèves, de manière régulière, dans une véritable démarche d’éducation aux médias ?

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Ce n’est pourtant pas le cas.

Lorsqu’on parle d’éducation par les médias, on entend l’utilisation de films, émissions de télévision et de radio, journaux, magazines, affiches publicitaires, etc.

Comme auxiliaires d’enseignement : projection d’un documentaire scientifique, visionnement d’un film en classe d’histoire, de religion ou de morale pour traiter d’un thème particulier, utilisation d’articles de journaux pour aborder certains aspects de l’apprentissage de la langue maternelle ou de la langue seconde, etc.

L’éducation par les médias renvoie ainsi à une pédagogie du soutien, où les productions médiatiques sont au service de l’enseignement des matières scolaires.

Dans le cas de l’éducation aux médias, la perspective est tout autre : ce sont les médias qui deviennent eux-mêmes l’objet d’étude. Ils sont abordés comme constituant un domaine spécifique et autonome de connaissances sur lequel porte l’enseignement. Il s’agit alors de travailler sur les productions médiatiques elles-mêmes, sur leur origine et sur la manière dont elles sont construites, diffusées et consommées.

De s’interroger sur les modalités de réception des messages des différents médias et chercher à comprendre la nature de leurs effets en commentant et en se prononçant sur les idées, les valeurs et les points de vue qu’ils véhiculent.

Convier l’élève à une démarche d’éducation « aux » médias, c’est l’amener à s’interroger sur la nature des relations que nous établissons avec les médias, individuellement et collectivement.

Ambiguïté du regard critique

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On observe une rare unanimité chez tous les intervenants en éducation aux médias sur le but premier de l’éducation aux médias : développer l’autonomie critique de leurs élèves.

Mais l’étude critique des médias ne doit pas être confondue avec leur dénigrement. L’école, encore tout empreinte de son attachement à une culture livresque et qui a longtemps nié que la culture médiatique ait quelque valeur d’apprentissage, a parfois tendance, lorsqu’elle aborde l’étude des médias, à se livrer à une entreprise de dénonciation et d’attaque en règle.

Amener les élèves à analyser et à exprimer leurs opinions et leurs émotions à propos des productions médiatiques et à réfléchir sur la nature de la relation qu’ils entretiennent avec celles-ci prend alors souvent les allures d’une « entreprise de démolition ».

Tant et si bien que, pour l’élève, développer sa pensée critique se confond progressivement avec une démarche qui consiste à répertorier, dans les messages des médias, les aspects inacceptables et condamnables aux yeux de ses enseignantes et enseignants.

La « non-transparence »

Pour sortir de ces dérives, il faut donc trouver les éléments théoriques qui peuvent aider à développer une démarche pédagogique structurée.

Un concept s’est progressivement imposé : la reconnaissance du principe de la « non-transparence des médias », qui établit que leurs messages ne doivent pas être abordés comme le simple reflet de la réalité, mais envisagés comme des « constructions », des « représentations » de la réalité.

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Les médias ne sont ni des « fenêtres sur le monde », ni des « miroirs » qui ne font que refléter des images de ce qui se passe. Leurs messages expriment toujours des points de vue particuliers sur le sport, sur la politique, sur la culture, etc.

Cette conception implique que les médias sont continuellement engagés dans un processus de sélection, d’agencement et de diffusion de l’information, c’est-à-dire un processus actif de représentation de la réalité.

Ni neutres, ni impartiaux, les médias expriment toujours un point de vue particulier sur des idées, des valeurs, des croyances ou des conceptions spécifiques à propos de l’objet dont ils parlent.

De nombreux travaux convergent pour identifier les champs d’investigation à travailler pour aborder en classe l’étude d’un message, d’un texte ou d’un document médiatique, quel qu’il soit.

Citons-en sept que nous ne pouvons développer ici [1] : les producteurs (qui produit les messages et pourquoi ?) ; les représentations (quelles représentations de la réalité sont proposées et pourquoi ?) ; les langages (quels langages utilise-t-on et pourquoi ?) ; les types de messages (quels types de messages sont proposés et pourquoi ?) ; les publics (à qui s’adresse le message et pourquoi ? Comment est-il reçu ?) ; les technologies (quels éléments techniques sont utilisés et pourquoi ?) ; l’esthétique (comment se présentent les productions du point de vue esthétique ?).

Ils permettent d’analyser avec les élèves les composantes principales de l’objet d’étude sur lequel on travaille. Naturellement, on n’est pas forcé, et c’est même très souvent impossible, de traiter tous ces domaines d’investigation dans une seule activité.

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Mais le fait de les aborder de manière récurrente favorise le développement des habiletés de l’élève et le transfert de ses observations et découvertes à d’autres médias, ce qui contribue à son autonomie critique.

Pour cela, les enseignants doivent bien connaître le domaine général des médias et l’univers médiatique des jeunes. Mais la démarche en classe est plutôt celle d’une « co-investigation » dans l’exploration commune de la culture médiatique.

L’éducation aux médias peut ainsi concourir à l’instauration d’une nouvelle relation enrichissante et stimulante entre maître et élève.


Jacques Piettedépartement des lettres et communications, université de Sherbrooke.


Jacques Piette est l’auteur d’Éducation aux médias et fonction critique, L’Harmattan, Col. Éducation et formation, 1996.

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[1] Voir l’article complet de Jacques Piette dans la revue québécoise Vie pédagogique, n° 140, septembre octobre 2006 , « Médias : Les nouveaux enjeux ».

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