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Enfants talibés sénégalais encore dans la rue, le business de la honte

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Le Sénégal fait renaitre des cendres un virus de la honte. L’exploitation des enfants talibés et les abus dont ils sont victimes restent monnaie courante.

Des dizaines de milliers d’enfants talibés au Sénégal continuent d’être forcés à mendier et de souffrir d’abus dans certaines écoles coraniques traditionnelles, un an après le lancement d’un programme gouvernemental visant à réprimer ces pratiques, ont déclaré dans un rapport publié aujourd’hui Human Rights Watch et la Plateforme pour la Promotion et la Protection des Droits de l’homme (PPDH), une coalition sénégalaise d’organisations de défense des droits humains.

Le rapport de 45 pages, intitulé « “Je vois encore des talibés mendier” : Insuffisance du programme gouvernemental pour protéger les enfants talibés au Sénégal », examine les succès et les échecs de la première année d’un nouveau programme du gouvernement visant à retirer des rues les enfants forcés à mendier.

Le rapport documente les abus persistants – et notamment l’omniprésence de la mendicité forcée, de la violence et des abus physiques, l’enchaînement, l’emprisonnement et les abus sexuels – auxquels ont été confrontés de nombreux enfants talibés à Dakar et dans quatre autres régions du pays, pendant et malgré la mise en œuvre du programme.  Human Rights Watch et la PPDH ont également évalué les défis qui restent à relever pour que les victimes d’abus puissent avoir accès à la justice.

« Bien qu’il représente un pas dans la bonne direction, le programme du Sénégal visant à retirer les enfants des rues n’a presque rien changé au nombre alarmant de jeunes talibés qui sont tous les jours victimes d’exploitation, d’abus et de négligence », a déclaré Corinne Dufka, Directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch.

« Pour empêcher les abus et s’attaquer au cœur du problème, le gouvernement devrait veiller à ce que les maîtres abusifs fassent l’objet de sanctions ou de poursuites. »

Les deux organisations ont exhorté le gouvernement à renforcer le programme lors de sa deuxième année de mise en œuvre, à ouvrir des enquêtes et à engager des poursuites contre les maîtres coraniques abusifs, et à mettre en place un cadre juridique pour réglementer les pensionnats coraniques traditionnels, aussi connus sous le nom de daaras.

Les candidats aux élections du 30 juillet à l’Assemblée nationale devraient placer les droits de l’enfant au centre de leurs campagnes et la nouvelle Assemblée s’efforcer de mettre fin à la mendicité forcée et d’accélérer l’adoption du projet de loi portant statut des daaras.

Les enfants talibés qui fréquentent des daaras qui les exploitent sont légion. Un talibé de Dakar âgé de 8 ou 9 ans a confié à Human Rights Watch que dans son ancien daara, « Nous faisions la mendicité pour de l’argent et pour du riz.

Le marabout [maître coranique] demandait 400 francs CFA [0,70 dollar US] par jour. Le mercredi, c’était 500 francs CFA [0,85 dollar US], pour payer le loyer et l’électricité. Si nous n’apportions pas l’argent, ou si nous ne récitions pas les versets, le marabout nous battait. »

Enfants talibés sénégalais encore dans la rue, le business de la honte

Le rapport s’appuie sur des entretiens approfondis menés de janvier à juin 2017 avec des enfants talibés anciens ou actuels, des maîtres coraniques, des activistes, responsables gouvernementaux, travailleurs sociaux et travailleurs humanitaires sénégalais, et des responsables de l’ONU.

Il fait suite à un rapport de juillet 2016 intitulé « Sénégal : Nouvelles mesures pour protéger les talibés et les enfants de la rue » et sur des rapports de 2015, 2014 et 2010 documentant les abus contre les talibés.

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À travers le Sénégal, environ 50 000 enfants talibés – selon les estimations – vivent dans des daaras où leurs maîtres coraniques les forcent à mendier chaque jour pour de l’argent, du riz ou du sucre.

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Les talibés vivent souvent dans des conditions de misère extrême et sont fréquemment soumis à des abus physiques ou psychologiques équivalant à des traitements inhumains et dégradants.

Certes, tous les daaras n’ont pas recours à l’exploitation et aux abus. De nombreux maîtres coraniques respectent les droits des enfants dont ils ont la charge. Mais beaucoup d’autres font fonctionner leurs écoles comme des entreprises, sous prétexte d’enseigner le Coran.

Durant la période d’avril à juin, Human Rights Watch a observé des centaines de talibés vivant dans des daaras sordides et mendiant au vu et au su de tous dans les villes de Dakar et de Saint-Louis.

Les enfants – qui pour bon nombre d’entre eux n’avaient pas de chaussures, étaient couverts de saleté, portaient des vêtements en lambeaux, souffraient d’infections cutanées et semblaient aussi souffrir de malnutrition – mendiaient souvent devant les policiers ou les gendarmes, près des immeubles du gouvernement et sur des routes très fréquentées.

Lancé en juin 2016 à Dakar, le programme du gouvernement visant à lutter contre la mendicité forcée des enfants et connu sous le nom de « retrait des enfants de la rue » a rencontré un certain succès. Entre juin 2016 et mars 2017, 1 547 enfants ont été retirés des rues de Dakar et plusieurs centaines d’entre eux ont pu rejoindre leurs familles.

Mais au final, plus de 1 000 enfants identifiés comme talibés ont été renvoyés auprès de leurs maîtres coraniques, ceux-là mêmes qui au départ les avaient forcés à mendier. Le gouvernement n’a formellement ouvert aucune enquête sur les maîtres impliqués, personne n’a été arrêté et aucune inspection officielle n’a été effectuée pour déterminer les conditions de vie dans les daaras.

« L’État n’est jamais allé voir si l’enfant a été placé dans un bon daara ou non », a expliqué l’Imam Elimane Diagne, président du Collectif pour la modernisation des daaras.

« Dans ces daaras, il n’y a pas de bonnes conditions… Les enfants dorment à même le sol. Il y a des maladies comme la gale… Parfois, ce sont des daaras sans eau ou robinet… Et au-delà de tout ça, l’enfant continue à mendier. »

Des responsables du programme ont indiqué en mai à Human Rights Watch qu’ils avaient pris la décision d’arrêter de renvoyer les enfants talibés dans leurs daaras, mais il est difficile de dire si cette mesure résulte de l’application d’un protocole particulier.

Les responsables ont ajouté qu’encore récemment – en avril – des enfants avaient été renvoyés dans des daaras.

Pendant le premier mois du programme, les activistes et les travailleurs humanitaires ont observé une baisse spectaculaire de la mendicité des enfants. Mais l’absence d’enquêtes et de poursuites contre les maîtres abusifs a entraîné un retour au statu quo.

Pendant la première année de mise en œuvre du nouveau programme, Human Rights Watch a également documenté la mort de deux talibés suite à des abus dans des écoles coraniques ; cinq cas d’abus sexuels ou de tentatives d’abus sexuels par des maîtres coraniques ou leurs assistants ; et 28 cas de talibés battus, enchaînés ou emprisonnés dans des daaras.

Ces abus ont eu lieu à Dakar et dans quatre autres régions du Sénégal.

Le gouvernement devrait veiller à ce qu’aucun enfant ramassé pendant qu’il mendiait ne soit renvoyé dans une école coranique qui a violé ses droits en le forçant à mendier ou en lui faisant subir d’autres abus, ont déclaré Human Rights Watch et la PPDH.

Les ministères de la Famille, de la Justice et de l’Intérieur devraient coordonner leurs efforts pour faciliter les enquêtes et les poursuites contre les maîtres coraniques qui exploitent les enfants ou abusent d’eux.

Tous les enfants qui vivent dans des daaras abusifs devraient en être immédiatement retirés et renvoyés dans leur famille, ou placés dans des structures alternatives de garde appropriées.

« Nous ne pouvons plus attendre demain pour mettre fin à l’exploitation et la maltraitance des talibés, enfants issus des couches les plus vulnérables de nos populations », a déclaré Mamadou Wane, président de la PPDH.

« C’est maintenant qu’il faut arrêter cette violation massive et à ciel ouvert des droits de l’enfant au Sénégal. Nous sommes tous responsables. Nous avons tous l’obligation d’agir collectivement, avec l’État en première ligne.

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