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Le domaine de la communication sensible est désormais lâobjet dâétudes croissantes. Trois de ses composantes sont bien connues : la communication de crise qui en a longtemps formé lâossature, la communication sur les risques et la communication dâacceptabilité . La quatrième, la communication sur les sujets sensibles, reste encore peu défrichée, vraisemblablement en raison de lâopacité des techniques utilisées par les organismes qui y recourent. La communication y est sensible à plus dâun titre ; elle porte sur un thème à connotation polémique aux frontières du risque, de la crise et de lâacceptabilité sociale, elle traite dâun sujet plaçant le chercheur dans une position inconfortable entre la dénonciation des méthodes et lâexpertise méthodologique pouvant être comptée dans une vision purement pragmatique, enfin, elle sâinscrit dans un espace public opaque où les organisations hésitent à reconnaître la réalité des méthodes utilisées. Câest une des caractéristiques de la communication sensible que dâévoluer dans un domaine où la réalité des actions observées sâeffectue en décalage avec la vision idéalisée du discours où priment les arguments de « qualité de dialogue », « pertinence des arguments », « écoute », « transparence ».
La communication sur des sujets sensibles
La communication sur des sujets sensibles vise lâacceptabilité sociale dâun objectif de développement catégoriel dâune organisation, sans que cet objectif ne concorde a priori avec celui des populations potentiellement concernées.
Cette définition permet de préciser les caractéristiques de la communication sur des sujets sensibles.
– Elle vise lâacceptabilité sociale ; cela la distingue de la communication dâacceptabilité territoriale. Il ne sâagit pas de convaincre les riverains dâun projet dâimplantation, mais une population non connectée à un lieu. Les deux objets sont souvent reliés, ainsi la communication sur le sujet sensible des OGM dans la population globale aura une incidence forte sur lâacceptabilité dâun champ dâOGM, il en sera de même pour celle des déchets radioactifs, de lâincinération et de nombreux autres sujets. Les principes de la communication dâacceptabilité territoriale et de la communication sur des sujets sensibles connaîtront également de nombreuses similitudes.
– Ils ne peuvent toutefois pas se confondre notamment en raison de lâimmatérialité de la communication sur lâobjet sensible où il est question de convaincre sans quâun lien puisse apparaître avec une implantation porteuse dâavantages pour les populations concernées ou sur une minimisation des nuisances. Central dans la communication dâacceptabilité territoriale, le principe de compensation ne sâapplique pas à la communication sur un sujet sensible.
– Elle vise un objectif de développement catégoriel dâune organisation. Avant dâêtre un symbole de liberté, la cigarette reste prioritairement un enjeu commercial pour les producteurs de tabac, la production de pesticides est le moteur économique de plusieurs entreprises avant dâêtre lâenjeu de nos capacités alimentaires.
– Cet objectif ne coïncide pas a priori avec lâintérêt des personnes concernées. Toute la difficulté de la communication sera en conséquence de tâcher de tirer lâintérêt catégoriel au plus près de la sphère de lâintérêt du plus grand nombre et optimalement de lâintérêt général. Le conflit est au cÅur de ce type de communication ; la communication sur des sujets sensibles est une communication de combat.
Typologie de la communication sur des sujets sensibles
Quatre types de communication peuvent être distingués autour de deux éléments, celui du caractère privé ou public.
Dans le domaine public, le premier domaine concerne la communication publique portant sur une réforme structurelle lourde. Lâabolition de la peine de mort, lâavortement hier, la réforme des retraites ou le mariage pour tous récemment, illustrent la nécessaire mise en place dâun dispositif communicationnel de grande ampleur tant les résistances peuvent être nombreuses.
Le second domaine touche également à la sphère publique, mais ne concerne que le travail sur une image. Les plus grandes agences de relations publiques furent ainsi associées à lâamélioration de la réputation dâétats dictatoriaux, voire de leurs dirigeants.
Au sein de la sphère privée, la communication emprunte deux axes ; celui dâune communication de nature business to business à lâexemple de lâindustrie de lâarmement, et une communication dâopinion publique à lâexemple des problématiques OGM, pesticides, tabac. Pour la suite de notre article, câest sur cette dernière catégorie que nous nous focaliserons.
Il convient toutefois dâobserver que les catégories ne sont pas figées et quâil nâexiste pas de sujet « sensible » indépendamment dâun contexte. Un sujet en apparence non sensible peut le devenir, un sujet sensible peut se banaliser.
Lâévolution de la communication sur des sujets sensibles
La communication sur des sujets sensibles nâest pas nouvelle et les travaux des historiens des sciences ont démontré quâelle sâappliquait déjà au 18ème siècle lors des campagnes de vaccination. Elle prend toutefois un relief particulier en raison de la conjonction de plusieurs paramètres récents :
– La méfiance accrue du public envers les institutions, leur projet, leur discours,
– La puissance croissante des médias, plus nombreux, plus libres et plus concurrentiels. Le discours médiatique se construit ici fréquemment sous forme dâun storytelling valorisant le combat individuel face au projet organisationnel. En outre, le journalisme dâinvestigation prospère favorablement dans le traitement dâune mise en scène de révélations.
– La puissance croissante des associations de consommateurs et des ONG environnementales. Parfaitement organisé et souvent à lâéchelle internationale sâagissant des associations de protection de lâenvironnement, le secteur associatif devient lâadversaire incontournable de la communication sur des sujets sensibles.
– Lâexplosion des médias sociaux qui offrent une caisse de résonance à la conflictualité par la facilité dâutilisation, lâinstantanéité et lâinternalisation des oppositions.
Les principes de la communication sur des sujets sensibles
Les sujets sensibles recouvrent des réalités fort différentes et les principes que nous proposons doivent être entendus de manière modulable en fonction des situations. Un socle commun des principes apparaît toutefois sâappliquer dans la majorité des cas.
1. La dénomination positive
Il sâagit dâun travail réalisé le plus en amont possible. Lâactivité de lâentreprise, ou plus spécifiquement le produit ou le service concerné, doit faire lâobjet dâune présentation favorable de par sa dénomination. Cette resémantisation sâapplique au produit, au service, à lâactivité mais aussi au nom même de lâentreprise ou dâune fédération professionnelle.
Historiquement, les entreprises énergétiques ont rapidement compris que pour bâtir un programme de production basée sur la fission de lâatome, il était préférable que le terme « nucléaire » supplante « atomique » trop évocateur de la bombe et du souvenir dâHiroshima. Quelques années plus tard, alors quâil fallait envisager des forages à grande profondeur pour les déchets les plus radioactifs, le terme de « laboratoire de géoprospective » fut suggéré, mais le décalage avec les perceptions était trop important pour que le terme soit accepté. Toutefois, et comme mentionné par ailleurs, « depuis la loi sur les déchets nucléaires de 1991, on ne parle plus dâ« enfouissement » mais de « stockage profond » . A la pointe de la réflexion un responsable de la communication nucléaire dâEDF avait également suggéré de bannir le terme « entreposer » sâagissant de déchets nucléaires pour celui plus avantageux de « prendre soin », mais là encore, le décalage était trop important pour que le terme soit accepté. Les industriels concernés par lâextraction du gaz de schiste proposent dâéviter les termes de « fracturation hydraulique » pour ceux plus positifs de « massage de la roche », de « stimulation », voire de « brumisation » . Des années auparavant dans le domaine de la pharmacie et de la cosmétique, lâexpérimentation animale apparaissait également plus positive que la vivisection.
En 1991, aux Etats-Unis, dans le domaine des déchets, il fut suggéré de remplacer le terme de « boues » issues des stations dâépuration et un comité pour un changement de dénomination, après avoir envisagé 250 idées, retint le terme de « biosolide. »
Les entreprises productrices des pesticides sont réunies dans la fédération professionnelle UIPP, Union Interprofessionnelle pour la Protection des Plantes. En Belgique, la fédération des entreprises de la chimie sâappelle Essenscia, dont la signature institutionnelle renvoie aux sciences de la vie.
2. La propagation du doute
Câest vraisemblablement une des techniques les plus spécifiques à notre domaine. Il sâagit dâutiliser les interstices des publications scientifiques pour, en les confrontant, dénoncer lâabsence de toute certitude et au final retarder lâadoption de toute mesure contraignante. Quatre méthodes sont utilisées : la dénonciation dâétudes existantes ne pouvant conclure inconditionnellement, la survalorisation dâune erreur partielle ou dâun biais procédural permettant de dénoncer la globalité des résultats, la mise en perspective de deux études afin de pouvoir mettre en évidence la discordance des résultats obtenus, la dénonciation de propos contradictoires entre deux scientifiques sur le même sujet dâétude. Cette théorie a été illustrée par des documents retrouvés à lâoccasion des grands procès liés aux cigarettiers américains et notamment par lâentreprise de tabac Brown & Williamson : « Le doute est notre produit car il est le meilleur moyen de sâopposer à « lâensemble des faits » présent à lâesprit du public. Câest aussi le moyen dâétablir une controverse. »
A titre dâexemple sur le point de la mise en évidence de contradictions, dans le domaine du réchauffement climatique, invité sur le plateau de la RTBF le 2 juin 2013, le Vice-Président du GIEC (Groupement International dâEtude sur le Climat) se voit opposer une citation contradictoire de son Président. De même, sur le biais procédural, suite à la publication le 27 mai 2013 du rapport de lâAutorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur lâimpact dâun produit, le Fipronil, sur les abeilles, lâUIPP rédige un communiqué pour alerter « contre toute conclusion hâtive sur le lien entre pesticides et mortalité des abeilles.» Lâargument étant que le rapport sâest basé « sur des critères non publiés et donc non validés conduisant de fait à des différences de données avec les études réglementaires menées par les industriels. »
Dans le même esprit tactique, Erik Conway et Naomi Oreskes indiquent comment les climato-sceptiques américains ont réussi à « retourner » un climatologue de renom, Roger Revelle. Ce dernier, âgé de 81 ans, sâétait vu proposer de cosigner un article pour le Washington Post. Gravement malade, il ne put quâindiquer ses observations en marge du projet qui lui fut présenté et pour lâessentiel ses observations ne furent pas intégrées. « Lâarticle contredisait ce que Revelle écrivit dans la marge, et affirmait quâil nây avait guère de probabilité de réchauffement climatique significatif » . Le décès de Revelle peu après empêcha de connaître les dessous de cette histoire, mais le nom de Revelle était récupéré par le camp adverse.
Cette technique de lâaccentuation des contradictions se base sur la capacité de création de divisions dans le camp adverse. Lâagence de relations publiques américaine MBD a formalisé son action en distinguant quatre catégories dâopposants : les radicaux, les opportunistes, les idéalistes et les réalistes. Un de ses représentants, Ronald Duchin expliquait sa démarche en trois étapes : « isoler les « radicaux », cultiver les « idéalistes » et les éduquer afin quâils deviennent « réalistes » puis se rapprocher des réalistes afin quâils sâaccordent avec le projet des entreprises. »
Erik Conway et Naomi Oreskes, estiment que la propagation du doute est la tactique la plus prometteuse en raison de son infaillibilité tenant à la nature même de lâincertitude scientifique, ce que confirment Callon, Lascoumes et Barthes : « Comme on le voit, les experts et les groupes concernés sont confrontés à des incertitudes scientifiques que lâon peut qualifier de radicales. Dâautant plus radicales que certains ont plutôt intérêt à ce quâelles le soient et à ce quâelles le restent. » Ne pouvant conclure à 100 % sur une question, les scientifiques voient sâengouffrer dans le principe dâincertitude, si minime soit-il, lâargument dilatoire du nécessaire report de décision. Cette tactique est dâautant plus efficace quâelle est imparable scientifiquement, attractive médiatiquement et quâelle entre en résonance avec lâintérêt de nombreux acteurs associatifs de pourvoir acquérir un surcroit de légitimité, voire de respectabilité, en intégrant les multiples commissions dâétudes ou observatoires.
3. Lâattaque ad hominem
Nous sommes dans une communication de combat, et le combat peut être violent tant les intérêts en jeu sont parfois considérables.
Pour décrédibiliser un fait scientifique, il conviendra de sâattaquer à son auteur. A lâorigine de la première remise en cause argumentée du DDT, en 1962, Rachel Carson fut accusée dâêtre « émotive et hystérique » , plus globalement dâ « éco-hystérie » et de « sentimentalisme » . Le professeur Belpomme, auteur en 2008 dâun rapport sur le chlordécone, un pesticide organochloré utilisé pour la protection des champs de bananes aux Antilles, fut assimilé à un chercheur de scoop visant la médiatisation par la provocation . Auteur dâune étude critique publiée en septembre 2012 sur les OGM, le professeur Seralini fut accusé de collaborer avec une « société de phytopharmacie liée à un mouvement qualifié de sectaire » . Le Vice-Président du GIEC, Jean-Pascal van Ypersele est un censeur qui considère que « le monde politique nâest pas docile » , qui cherche « lâintimidation » , énonce des commentaires « apocalyptiques » et attente à « la liberté dâexpression, la liberté académique, aux exigences de la démarche scientifique » .
4. La communication dâinfluence supplante la communication corporate
Le lobbying est la première technique de la communication sensible. Il sâagit prioritairement de convaincre les décideurs. Ce choix dâinterlocuteur est guidé par des considérations tactiques tenant à la nature même du message et plus particulièrement à sa tonalité. Partant de lâhypothèse quâun sujet sensible communiqué vers lâopinion publique sera prioritairement reçu dans sa composante émotionnelle, les entreprises privilégient une communication rationnelle basée sur les avantages compétitifs, les marges commerciales, les perspectives de délocalisation ou de concurrence étrangère, communication qui sera davantage adaptée à un public restreint de décideurs.
Certes, le grand public ne pourra être totalement écarté afin de favoriser lâappui des décideurs par une prise en compte du lien avec la prise de la perception du public et dâune information minimale reçue.
Caractéristique de la communication sur des sujets sensibles, elle sâopère prioritairement vers un public de décideurs, de manière secondaire vers le grand public via une revendication dâégalité dâaccès aux médias, et exceptionnellement dans un espace dâéchanges directs avec les opposants. Le déterminant caché réside ici dans le fait quâil ne sâagit pas de convaincre lâadversaire, ou plus précisément « lâenjeu nâest plus de convaincre lâautre mais de réduire son champ dâintervention. »
De fait, et en dehors des commentaires sur une nouvelle étude, les confrontations peuvent être qualifiées de statiques au plan argumentatif. Ainsi, sur le thème de lâexpérimentation animale, la controverse a pu être qualifié de « stagnante » puisquâà lâexception de lâargument tiré des possibilités de simulation apportée par les nouvelles technologies, ce sont exactement les mêmes arguments utilisés en soutien ou en opposition depuis le début des années 1970, « les arguments et stratégies argumentatives des deux camps sont quasi immuables depuis plus de vingt ans. Il y a plus précisément une stagnation spatio-temporelle de la rhétorique.»
En lien avec les techniques dâinfluence, lâentrisme permet de sâassurer que les intérêts de lâentreprise seront bien considérés dans les organes décisionnels puisquâils se légitiment dans une institution. Lâhistorien des sciences Jean-Baptiste Fressoz a ainsi montré que la création des premiers organes de contrôle en matière de santé publique ou de lutte contre la pollution avaient été organisés en fonction dâintérêts économiques. Il note ainsi que « Sur les quatre membres fondateurs du Conseil de salubrité de Paris, trois sont chimistes » , ce qui amène que « Sur vingt-deux demandes concernant les usines chimiques, une seule est refusée. »
Nécessaire tactiquement, cette technique nâen comporte pas moins inéluctablement lâeffet boomerang dâune visualisation dâintérêts particuliers qui sâopère dans lâopacité des manÅuvres conduites par des groupes de pression à la légitimité discutée.
5. La communication avance masquée
Cette dissimulation sâopère selon deux axes, celui des émetteurs et celui des messages.
Sâagissant des émetteurs, les entreprises sont naturellement en première ligne de lâarène publique, mais leur posture économique les prive de la crédibilité nécessaire à lâélévation du débat. Porteuse aux yeux de lâopinion de la défense immédiate dâun intérêt économique et financier, lâentreprise apparaît juge et partie dans une confrontation qui ne pourrait que la desservir. Câest la raison pour laquelle, et câest là un principe constant de toute la communication sensible, la stratégie dâalliance sera utilisée afin de relayer les messages de lâentreprise avec une crédibilité accrue. Deux techniques sont ici utilisées, celle de lâ « astroturf », terme issu dâun revêtement synthétique imitant le gazon, qui « consiste pour lâentreprise à utiliser comme façades crédibles des tierces parties qui viennent sur la place publique défendre sa position » à lâexemple de Bernard Kouchner, auteur dâun rapport sur lâutilisation des travailleurs forcés en Birmanie pour le groupe Total en 2002, et celle du « faux nez » qui consiste à créer une association « bongoâs » afin que celle-ci puisse participer aux tables rondes associatives et défendre subtilement les intérêts de lâentreprise.
Associations, scientifiques, think tanks, leaders dâopinion seront approchés, pour peu quâils apparaissent bienveillants, afin de prendre la parole lors de colloques, dans les médias ou à lâoccasion de publications scientifiques ou non. Le mécanisme à lâÅuvre ici est celui, analysé par Luc Boltanski , de la « montée en généralité », il ne sâagira pas de vendre des OGM mais de contribuer à la réduction de la faim dans les pays en voie de développement, il ne sâagira pas de promouvoir les pesticides mais une agriculture de qualité, le dérèglement climatique est vraisemblablement une menace mais toute mesure contraignante ne peut que nuire à la compétitivité de nos entreprises et donc à lâemploi. On retrouve un principe de la communication sur les risques avec la « montée en puissance dâun raisonnement dominé par lâanalyse du coût-bénéfice et une tendance croissante à tenter de traduire en termes financiers des dommages sanitaires et environnementaux. » Ce raisonnement se retrouve dans la quasi-totalité des situations sous lâangle de la mise en évidence quantifiée des avantages économiques engendrés par lâobjet du débat (OGM, pesticides, â¦) comparativement à des impacts négatifs apparaissant incertains et donc irréductibles à toute quantification.
Aux côtés dâune « montée en généralité » permise par le relais dâinterlocuteurs alliés, le message est en lui-même souvent détourné de sa signification première. Il ne sâagit pas de sâopposer frontalement mais de proposer une illusion de compromis qui puisse satisfaire les opposants.
Ainsi, sur le réchauffement climatique, un Etat pourra faire obstacle à lâaffichage par lâUnion Européenne de ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre, non pour sauvegarder ses industries charbonnières, mais dans lâobjectif de pouvoir mieux négocier ensuite au niveau international, puisquâil est bien connu quâaucune négociation nâest possible si lâun des participants a déjà publié ses propres engagements. Dans le même esprit, il a été proposé de diminuer lâambition des engagements européens en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la raison que ces engagements étant trop élevés, ils ne sont pas atteignables et démotivent les acteurs. Il fut donc proposé de réduire nos ambitions afin quâelles soient accessibles et permettent réellement dâengager la lutte contre le réchauffement climatique. Accroître nos capacités dâémission pour lutter contre le dérèglement climatique, il fallait y penser !
6. La communication est unilatéralement positive
Câest une caractéristique qui peut paraître singulière au regard du caractère très controversé des sujets en cause. Quel que soit le sujet, les promoteurs délivrent un message dâoù est absente la moindre reconnaissance de nuisances. Alors quâil est reconnu dans le domaine de la communication dâacceptabilité que cette reconnaissance participe des paramètres favorisant le dialogue, les entreprises seraient bien inspirées dâengager une communication de nature moins élogieuse afin de favoriser la possibilité dâun échange, à défaut le heurt de représentation rend tout dialogue impossible.
7. La communication est de nature scientifique
La « science » est ici invoquée quel que soit le sujet. Il sâagit de convaincre sur la base dâune argumentation scientifique. Cette argumentation emprunte trois modalités.
– Dâabord le recours aux publications scientifiques. Disposer du plus grand nombre de références dans des revues reconnues internationalement comme ayant les plus hauts critères de sélection à lâexemple de Nature, pour lâenvironnement, ou The lancet, pour le domaine médical, présente un avantage certain. La publication scientifique intervient comme une communication par la preuve de lâinnocuité du produit ou de lâactivité contestée.
– Ensuite, en relation avec les stratégies dâalliance, il sera recherché des scientifiques de renom. De ce point de vue, il est préférable de bénéficier dâun scientifique largement reconnu, même si son champ disciplinaire lâéloigne du sujet controversé. En dâautres termes, un prix Nobel, même hors champ disciplinaire, sera toujours plus écouté quâun spécialiste pointu mais ne bénéficiant pas dâune reconnaissance par les distinctions. Les tobacco documents ont détaillé cette pratique et notamment les efforts â réussis â pour obtenir la collaboration du neurobiologiste et membre de lâAcadémie des Sciences, Jean-Pierre Changeux. Dans le même esprit, lâorganisation par une agence conseil travaillant pour lâindustrie de lâamiante, de lâappel de Heidelberg en 1992 qui demandait à ce que les bonnes volontés environnementales qui allaient sâexprimer à la conférence de Rio de Janeiro (Le Sommet de la Terre) ne nuisent pas à la compétitivité des entreprises et qui fut signé par 72 prix Nobel en est une autre illustration.
– Enfin, dans lâhypothèse où les deux premiers moyens ne pourraient être réalisés, voire en complément, il est possible de dénoncer les études existantes par la promotion dâétudes ayant les apparences de la scientificité. La création dâun organisme possédant un intitulé « Recherche » et si possible « International » puis de son organe de publication pourra ainsi présenter une image de rigueur scientifique auprès dâinterlocuteurs pas toujours informés des caractéristiques dâune réelle publication scientifique.
8. Le renversement de la perspective David vs Goliath
Face aux géants de la chimie, des industries extractrices, le sentiment naturel de sympathie se transmet plus volontiers aux associations environnementales se battant pour le bien commun et non pour lâaccroissement des profits. Câest donc une manÅuvre de détournement qui est ici opérée. Les opposants aux entreprises, quâils soient scientifiques ou associatifs, seront ainsi dépeints comme :
Un appareil aux rouages et à la gouvernance opaques, prisonnier de ses logiques internes alors même que lâentreprise ou ses représentants se positionneront comme formant une minorité. Conséquence de cela, la victimisation que lâon retrouve parfaitement dans le contexte narratif du climato-scepticisme qui « met en scène des personnalités courageuses et géniales qui se lèvent contre la « pensée unique » et contre une manipulation politique dâampleur planétaire. »
– Un organe de lobbying pour lequel le conflit dâintérêt nâest pas éloigné. Les chercheurs ont intérêt à pratiquer lâalarmisme pour financer leurs recherches et obtenir des subventions. La phrase entendue à propos des champs électriques et magnétiques : « Il y a plus de chercheurs qui en vivent que de gens qui en meurent. » est déclinable à lâinfini en fonction des domaines de recherche. Lâobjectif poursuivi est le même : lâalarmisme est un outil de recherche de subventions par des scientifiques qui ont délaissé leur éthique.
– Les entreprises croient au progrès technique, elles ont foi en lâhomme, là où les opposants sont dépeints comme pessimistes adeptes de la sinistrose que décrivait Louis Pauwels en 1972 .
Sur un sujet comme le dérèglement climatique, ces trois techniques sont utilisées cumulativement. Le GIEC est une organisation mondiale qui fonctionne avec ses propres règles alors que les climato-sceptiques ne forment quâune petite minorité composée dâindividus libres qui se battent pour leurs idées et non pour décrocher des subventions, les membres du GIEC sont des individus pessimistes qui ne croient pas dans lâintelligence humaine, dans lâinnovation, dans le progrès.
9. Afficher une respectabilité
Une des modalités les plus courantes réside dans la mise en place dâévénements organisés « sous lâégide de », « sous la présidence de », « en partenariat avec ». Quelques cabinets de lobbying, voire de respectables revues se sont ainsi fait une spécialité de conférer une légitimité accrue par la pratique de colloques parlementaires. Assemblée Nationale ou Sénat proposent ainsi leurs salles pour peu quâun parlementaire soit présent. Cela donne une légitimité supplémentaire, une apparence de dialogue, une opération dâinfluence politique et une potentielle reprise médiatique non négligeable.
10. Un égal accès aux médias
Conséquences de lâopacité de création du doute, la construction des controverses permet de retenir lâintérêt des médias. Claude Henry et Laurence Tubiana en font « lâarme la plus efficacement utilisée pour entretenir et gonfler le doute à lâégard de la science et des scientifiques. » Lâexigence dâéquilibre dans les médias répond tout à la fois à un mode dâattraction journalistique et aussi à une apparence dâexigence démocratique prônant lâexpression de la diversité des opinions. Aucune position ne devant être étouffée, un doute subsistant, et comme en outre les propagateurs du doute sont généralement dâexcellents débatteurs, la stratégie du doute sâadapte parfaitement à une amplification médiatique.
Conclusion
La stratégie des organisations porteuses de projets sensibles emprunte également dâautres voies qui sortent du champ communicationnel, comme la surveillance des opposants ou les éventuelles menaces juridiques.
Il sâagit dâun domaine majeur de la communication, essentiellement analysé au travers dâouvrages dénonciateurs et qui demanderait une meilleure formalisation de ses méthodes comme lâont pu être celle de la communication dâacceptabilité, sur les risques et de crise, trois autres piliers de la communication sensible.
TL
A lire :
Une synthèse globale sur la communication sensible : « La communication sensible, nouvelle discipline de communication organisationnelle. », par Thierry Libaert, 2011
http://www.communication-sensible.com/articles/Thierry-Libaert-Communication-Sensible.pdf
Lâarticle fondateur de la communication sensible : « La communication sensible », Thierry Libaert,
27 février 2006
http://www.communication-sensible.com/articles/article0138.php
Numéro spécial du Magazine de la communication de crise et sensible n°20 : « Vous avez dit communication sensible ? », novembre 2011
http://www.communication-sensible.com/download/cccnl0020.pdf
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