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La laïcité, interdire ou autoriser les actes contre-natures

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Faut autoriser des choses au nom de la laïcité? Les interdire? Comment les pays gèrent-ils leur relation avec les religions? Pour mieux comprendre ce concept censé aider la cohabitation entre les différentes croyances, Kafunel Découverte s’intéresse à quelques polémiques ayant défrayé la chronique au Sénégal et partout dans le monde. Et s’il y avait non pas une seule, mais des laïcités?

QUESTIONS – RÉPONSES

Pourquoi les Grecs ont-ils renoncé à leurs dieux? Ils étaient cool pourtant…
Question de Samia, 12 ans

Réponse de Philippe Matthey
Unité d'histoire des religions
Département des Sciences de l'antiquité
Université de Genève

C’est vrai… Zeus, Neptune, Athéna ou Apollon ont eu beaucoup de succès et cela pendant des siècles. Mais qu’est-ce qui a poussé les Grecs et les Romains a renoncé à leurs dieux?

C’est l’apparition d’un autre dieu et d’une religion encore plus à la mode: le christianisme.
Pour qu’une nouvelle mode ait du succès, il faut souvent qu’une star montre l’exemple.

Dans notre cas, c’est l’empereur Constantin qui va jouer ce rôle. Constantin vécut entre 274 et 337 après JC. En tant qu’empereur de l’empire romain, Constantin était évidemment la personne la plus connue à l’époque autour de la Méditerranée. Quand il décida publiquement de devenir chrétien, il en fit donc la nouvelle religion «cool».

Cela marqua la fin des persécutions contre les chrétiens qui duraient depuis plusieurs siècles quand-même. Il faut dire que les chrétiens étaient alors peu nombreux et assez mal considérés par les Romains. Mais avec Constantin, l’assemblée des chrétiens – la future Eglise – se développa et commença à prendre de plus en plus d’importance au sein de l’empire.

Au début, chacun pouvait continuer à vénérer les dieux qu’il voulait. Après tout, ça n’était pas la première fois qu’une nouvelle divinité faisait son apparition dans l’empire romain ou qu’un empereur devenait son adorateur. Il y avait déjà eu la mode de la déesse égyptienne Isis ou celle du dieu perse Mithra, par exemple.

Mais une des principales nouveautés du christianisme, par rapport à la majorité des autres religions de l’époque, était d’affirmer qu’il n’existait qu’un seul vrai Dieu et que tous les autres n’étaient, au mieux, que des inventions, au pire des démons malfaisants. C’est la grande différence entre le monothéisme – un seul Dieu – et le polythéisme – plusieurs dieux.

Aujourd’hui, on peut dire que la décision de Constantin a vraiment changé la face du monde. Le christianisme est encore la religion la plus répandue de l’humanité, avec l’islam et dans une moindre mesure le judaïsme. Mais les religions polythéistes n’ont pas pour autant disparu: on vénère toujours une multitude de divinités différentes en Inde, en Chine ou au Japon par exemple.

Pourquoi tant de religions et tant de Dieux? La parole Divine ne devrait-elle pas être univoque et évidente pour tout un chacun? Comment admettre que tant de religions prétendent rapporter la parole de Dieu? Au-delà de l’aspect culturel et civilisationnel, comment ne pas interpréter cela comme un moyen de régner, de rallier des masses à sa cause (bien que ce ne soit pas le seul but). Malheureusement l’Histoire nous montre fréquemment des cas où l’on a abusé de populations en se servant de la religion. D’ailleurs, les guerres religieuses n’ont-elle pas (avec certes quelque recul) décridibilisé les religions dans leurs prétentions originelles?

Question de Shaïn, 17 ans

Réponse de Ghislain Guigon
Département de philosophie
Université de Genève

Bonjour, votre question en contient un certain nombre qui pourraient chacune donner lieu à un ouvrage complet: unicité de la religion, fondement de la religion, usage de la religion et crédibilité de la parole religieuse. Comment comprendre le manque d’unicité parmi les religions?

Doit-on interpréter ce manque d’unicité comme un moyen de domination sur les hommes? Le manque d’unicité peut s’expliquer de multiples façons: si vous êtes un athée vous aurez tendance à penser que la multitude religieuse est due au fait qu’aucune n’est vraie. Mais bien sûr il se peut très bien qu’une seule soit vraie et que toute les autres soient fausses.

D’un point de vue théiste on peut aisément comprendre la multiplicité religieuse par l’inaptitude humaine à comprendre la parole divine: il n’y a qu’une parole divine, mais notre faillabilité rend difficile la compréhension et l’interprétation de cette parole unique.

De ce manque de compréhension et de cette difficulté à interpréter la parole divine naissent les différentes religions. Selon cette perspective théiste, ce n’est donc pas la parole divine qui est responsable de la multitude des religions, mais l’incapacité de la plupart d’entre nous (en général, les membres des autres religions; pas de celle à laquelle nous appartenons) à comprendre cette parole.

Selon la réponse à la première question que je viens de vous donner, s’il arrive que le manque d’unicité des religions est utilisé comme un moyen de domination sur les hommes, alors ceci est totalement fortuit. La raison essentielle est que les hommes se trompent souvent en religion tout comme ils se trompent dans leurs opinions médicales, en politique, en éducation ou dans le choix d’un restaurant pour le souper.

La différence entre les divergences religieuses et les autres est simplement due au fait que les hommes attachent beaucoup plus d’importance à leurs opinions religieuses qu’aux autres et sont donc prêts à se battre et effectivement à dominer l’autre pour de telles opinions. C’est l’importance attachée aux divergences religieuses qui conduit à dominer les membres des autres religions, non ces divergences en tant que telles.

En ce qui concerne votre dernière question, « les guerres religieuses n’ont-elle pas (avec certes quelque recul) décridibiliser les religions dans leurs prétentions originelles? » Je pense que la réponse est « non ». Certaines guerres apparaissent à beaucoup comme moralement justes: des guerres pour la démocratie et la libération des peuples.

De même que l’existence de telles guerres ne décridibilise pas la prise de position politique, l’existence des guerres religieuses en soi ne décridibilise pas la prise de position religieuse. Là où l’analogie entre le cas politique et le cas religieux s’arrête par contre, c’est sur la justification de telles guerres. Comme je l’ai souligné beaucoup semblent penser qu’il est juste et justifié de faire la guerre pour la démocratie et la libération des peuples.

Or on peut se demander si les opinions religieuses, elles, justifient de telles violences. Si la religion est une affaire privée, comme il est aujourd’hui de bon ton d’affirmer, il ne semble pas plus justifié d’entraîner un conflit public pour ses opinions religieuses que pour ses choix de régime (carnivore ou végétarien).

Certains théistes pourraient répliquer que la libération des âmes vaut bien celle des peuples. Reste que l’existence d’une vie post mortem n’est qu’une hypothèse invérifiée et invérifiable qui en soi ne justifie pas plus un conflit public que l’hypothèse de l’existence d’extraterrestres.

A suivre…

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