Vincent Bolloré, une des 10 grandes fortunes de France, PDG du Groupe Bolloré et pilier de la Françafrique, est en examen ce 25 avril pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et de « faux et usage de faux » en Guinée et au Togo. En effet, l’homme d’affaires est accusé d’avoir contribué à faire élire les présidents Alpha Condé (Guinée) et Faure Gnassingbé (Togo) qui se maintiennent au pouvoir. En contrepartie, ces dirigeants ouest-africains ont attribué de juteux marchés portuaires au puissant homme d’affaires dans des conditions douteuses. C’est bien ce que l’on appelle, entre autres, la Françafrique. Sachant qu’en France, les peines ne sont pas cumulables Vincent Bolloré risque gros pour chacun des chefs d’accusation

Bolloré : au cœur d’un deal à Conakry et à Lomé

Après avoir confisqué le pouvoir de force suite au décès de son père, avant d’être élu, en avril 2005, à l’issu d’un scrutin controversé, Faure Gnassingbé postulait pour un second mandat en 2010.

Une élection dont la victoire était incertaine pour lui, au vu de sa gouvernance lors de son premier mandat. C’est alors que Bolloré, pilier de la Françafrique, surgit aux côtés de Faure Gnassingbé. L’homme d’affaires français envoie à Lomé une équipe de Havas, son agence de communication, la 6è la plus puissante au monde et numéro 1 en France.

Havas prend en charge une bonne partie de la campagne de communication de Faure Gnassingbé. Ce dernier réussit à se faire réélire en mars 2010. La facture que devrait payer la présidence togolaise à Havas pour cette prestation s‘élève à 800.000 euros.

Mais elle sera divisée par deux, soit 400.000 euros. Mais en vérité, c’est 100.000 euros qui seront payés par la présidence togolaise à Havas. Puis Bolloré en personne décide ensuite payer de sa propre poche les 300.000 euros restants par l’entremise d’une de ses filiales.

Bolloré, qui n’est pas un philanthrope, sait comment récupérer sa mise et même bien plus. Sachant que depuis 2001, le Groupe Bolloré opérait déjà au port de Lomé.

Selon Le Monde, quelques mois après l’élection de Faure, Bolloré envoya une lettre à la présidence togolaise dans laquelle, il a exprimé son souhait de voir le port de Lomé agrandi. A cette demande, la présidence togolaise donne un avis favorable. Un bon retour d’ascenseur pour l’homme d’affaires français.

Qu’en est-il de la Guinée ? Presque le même scenario. En 2010, à la fin de la transition militaire très mouvementée, la Guinée organise sa première élection démocratique. Vincent Bolloré envoie Havas à Conakry pour aider son ami Alpha Condé qui sera élu à l’issu du scrutin. Un trimestre après, comme au Togo, le Groupe Bolloré se présente au premier président démocratiquement élu de la Guinée pour parler affaires.

Au port de Conakry, une autre entreprise française y opérait déjà. Cette dernière sera boutée dehors. Selon Le Monde, ce sont les militaires français qui sont venus expulser cette entreprise française. Puis Alpha Condé annonce par décret la nouvelle entreprise qui va reprendre la main sur le port de Conakry : c’est le groupe Bolloré qui sera désormais en charge du terminal à conteneurs. Un des proches du milliardaire français parle « de méthodes de cowboy».

Homme d’affaires impitoyable, Bolloré à des connexions avec l’Etat français quel que soit le gouvernement en place et d’autres politiques. Alpha Condé ne cache pas son amitié avec Vincent Bolloré qui date de plus de 40 ans.

Et pour ceux qui pensent que l’amitié entre Bolloré et Alpha Condé a pu influer dans la cession du port de Conakry, le président guinéen répond : «C’est un ami (Bolloré). Je privilégie les amis. Et alors ? ».

«Bolloré remplissait toutes les conditions d’appel d’offres et je peux vous dire que plus personne ne voulait de Getma [Necotrans] qui n’a pas honoré ses engagements», a poursuivi Alpha Condé cité par l’AFP.

Que risque Bolloré s’il est déclaré coupable ?

Selon RTL pour le chef d’accusation de « corruption d’agent étranger », il peut être puni de 10 ans de prison et 1 million d’euros d’amende, selon le site Les Jours, cité par RTL. Quant au chef d’accusation d «’abus de confiance», l’homme d’affaire risque 3 ans de prison et 375.000 euros d’amende et enfin pour ce qui est du «faux et usage de faux», Vincent Bolloré en court une peine 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende.

Précision, en France, les peines ne sont pas cumulables, à la différence de ce qui est en vigueur dans d’autres pays comme les Etats-Unis. Vincent Bolloré sait surveiller ses arrières et soigner ses relations. Il fricote aussi bien avec les politiques de gauche que de droite en France.

Des connexions avec tous les pouvoirs de l’Elysée

Vincent Bolloré a toujours eu ses entrées à l’Elysée. De ce fait, les pouvoirs passent mais Bolloré reste. A la tête d’un empire familiale qu’il s’est toujours évertué à se développer, son père, l’industriel Michel Bolloré, était ami de l’ancien président Valery Giscard d’Estaing.

Le fils, Vincent Bolloré, a eu à recruter quelques proches de Jacques Chirac. Ami très proche avec Sarkozy, après son élection en 2007, c’est à bord du yacht de Vincent Bolloré que Nicolas Sarkozy a célébré sa victoire suscitant une polémique dans l’opinion française.

Vincent Bolloré, c’est aussi un grand ami de Jean Yves Le Drian, ancien ministre de la Défense de Hollande et actuel ministre des Affaires étrangères de Macron. Bolloré est également ami de Bernard Poignant, l’ancien conseiller spécial de François Hollande et sa proximité avec Emmanuel Macron est connue.

Bolloré a également soutenu Anne Hidalgo à la mairie de Paris. En définitive, le secret de Vincent Bolloré c’est d’être ami avec les hommes de pouvoir qui sont pourtant des adversaires politiques qu’ils soient de gauche ou de droite.

D’ailleurs, François Hollande, alors président, avait fait du lobbying en faveur de Bolloré pour la reprise du port de Kribi au Cameroun. «L’un de ses secrets, c’est de travailler avec tout le monde, de détester les journalistes, peut-être mais, d’être ami avec les politiques.

En fait, il s’en méfie des politiques, mais il sait qu’il faut être proche de tout le monde pour réussir», estime le journaliste Nicolas Vescovacci qui a enquêté sur l’homme d’affaires avec son confrère Jean-Pierre Canet.

Au cœur de la France-Afrique, le Groupe Bolloré est incontournable dans les relations d’affaire entre la France et l’Afrique.

«L’empire Bolloré, c’est un pouvoir très fort. L’Afrique, c’est très important. C’est quelqu’un qui a une activité très forte. Donc fatalement pour le pouvoir politique quel que soit sa couleur. On ne peut pas se passer de Bolloré quand on va en Afrique», Jean-Pierre Canet. Tout compte fait l’Elysée a conscience de l’importance de cet industriel pour opérer en Afrique.

«Monsieur Bolloré est très important. Il n’y a pas que les ambassades de France à l’étranger. Monsieur Bolloré c’est un peu de la France à l’étranger. Quand on est politique, on ne peut pas se passer de cette influence, de ce pouvoir-là», confiait Bernard Poignant à Nicolas Vescovacci.

Le sens des affaires de l’homme

Vincent Bolloré a hérité d’un groupe industriel qu’il a su faire fructifier et diversifier. «Le Groupe Bolloré dont la stratégie est basée sur la diversification, sur l’innovation et sur le développement à l’international, occupe aujourd’hui des positions fortes dans chacune de ses activités rassemblées autour de trois pôles, le Transport et la Logistique, la communication, les solutions de stockage d’électricité », lit-on sur le site bollore.com.

Au commencement, c’était du papier bible, import expert, logistique avec le père Bolloré. Au plus fort des programmes d’ajustement structurel imposé par le FMI et la BM, Bolloré a profité pour acquérir de nombreux chemin de fer stratégique de certains pays, puis se lance également dans l’activité portuaire de la plupart des pays du Golfe de Guinée.

Bolloré contrôlerait 50 à 60% des marchandises qui transitent par l’Afrique de l’Ouest, 15 à 30% en Afrique de l’Est.

En effet, Bolloré a des partenariats avec Areva pour transporter l’uranium nigérien, des partenariats avec des sociétés minières et même avec des gouvernements. C’est Bolloré qui s’était chargé d’évacuer les français de la Côte d’Ivoire au plus fort de la crise post-électorale avec ses blindés et ses véhicules sécurisés.

Empire médiatique : bras armé du Groupe Bolloré

En France, Bolloré fait partie de la caste des 10 milliardaires qui ont la mainmise sur les médias. Pilier de la France-Afrique et grand ami de Sarkozy, Vincent Bolloré possède Canal+ via Vivendi, Cnews, Direct8, D17, Direct Matin, Dailymotion.

Une parfaite mais illégale concentration. Bolloré possède aussi l’agence de communication Havas, la 6è au monde. Dans un contexte où les médias sont partout en crise, économiquement parlant, même si ça ne rapporte pas forcément, posséder un groupe de presse confère à son possédant de l’influence pour sanctuariser ses affaires, servir les intérêts de ses clients, partenaires privés, voire influencer l’Etat.

D’ailleurs Bolloré a interdit, en 2015 sur Canal+, la diffusion d’une enquête documentaire intitulée « Un ami qui vous veut du bien» réalisé sur le crédit mutuel dont le patron fait de l’évasion fiscale. Bolloré est dans une relation d’affaires avec le Crédit mutuel.

Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet qui ont participé à cette enquête ont d’ailleurs par la suite mené une autre enquête sur Vincent Bolloré en personne, livre qui n’était pas non plus à son goût dont il a tenté d’empêcher la parution en vain. «Vincent tout puissant : l’enquête que Bolloré a voulue empêcher».

En 2015 déjà, lorsque Bolloré rachète Canal+, il faut supprimer certaines émissions comme Les Guignols de l’info, le Grand journal.

Très implanté sur le continent africain, l’essentiel des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires que fait le groupe Bolloré est tiré de ses opérations en Afrique. Si des soupçons pesaient sur le modus operandi du puissant homme d’affaires breton, il semblait difficile jusqu’ici de les prouver.

Mais vraisemblablement la justice française, qui menait méticuleusement ses enquêtes, a désormais des preuves irréfutables de mauvaises pratiques de l’homme d’affaires en Afrique.

L’irruption de Bolloré bloque le chemin de fer Cotonou-Niamey

Omniprésent en Afrique de l’Ouest, le Groupe Bolloré, à travers Bolloré Africa Logistics, gère le stockage et le transport des marchandises. A lui seul, le groupe gère directement une dizaine de terminaux à conteneurs dont ceux de Conakry et du Togo, objet de sa mise en examen. Aussi, le groupe gère-t-il 16 terminaux à conteneurs via des partenariats publics-privés comme le mentionne la British Broadcasting Corporation (BBC).

Le Groupe Bolloré a pratiquement colonisé toute l’Afrique subsaharienne dans le domaine des chemins de fer. Selon la radio publique britannique, Bolloré est actionnaire majoritaire dans 3 concessions ferroviaires sur le continent à savoir Sitarail (Côte d’Ivoire et Burkina Faso), Camrail (Cameroun) et Benrail (Bénin). D’ailleurs la cession du tronçon Bénin-Niger posait quelques problèmes depuis des années.

Depuis 2008, sous le magistère du président Boni Yayi, un appel d’offre,en vue de la construction et de la gestion du tronçon ferroviaire de 1.000 kilomètres reliant Cotonou à Niamey, lancé en commun par le Bénin et le Niger a été remporté par la société Petrolin de l’homme d’affaires béninois,Samuel Dossou, au profit de Bolloré, à travers Beninrail.

Le dossier atterrit à la justice et retarde la réalisation du projet depuis toutes ces années. En octobre 2017, la justice planche sur le dossier et tranche en faveur de Petrolin et déboute Bolloré. Jusqu’à ce jour c’est le statu quo. Dans la foulée, les présidents Patrice Talon et Mouhamadou Issoufou ont envisagé, il y a quelques semaines, de coopérer avec la Chine pour la réalisation du projet.

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