Henri Konan Bédié, ce nom ne laisse personne indifférent, tant en Côte d’Ivoire qu’en Afrique. Il compte certainement parmi les personnalités qui auront le plus marqué le défunt siècle. Président de la République, président de l’Assemblée nationale, ministre, ambassadeur, député, et, last but not least, président de parti politique : l’homme a été tout cela. Il aura donc occupé tous les ‘’paliers’’ de l’organigramme politique.

Mais, inoxydable et, surtout, insatiable, il en veut encore et encore. Pour preuve, il est en course pour un ultime mandat à la tête de l’État. Comme s’il ne concevait sa vie que dans l’arène politique. Cependant, les actes qu’il pose ces derniers temps jurent avec une certaine éthique et peuvent laisser perplexe. De quoi se demander s’il mérite encore d’être suivi.
 
 C’est connu, l’excès nuit. Et ‘’tout ce qui est excessif est insignifiant’’, a dit Charles-Maurice Talleyrand, homme politique et diplomate français. N’est-il pas temps que le président Henri Konan Bédié se pose les bonnes questions ? N’est-il pas temps qu’il arrête de se croire ‘’irremplaçable’’ au PDCI-RDA qu’il mène tout droit dans un cul-de-sac ? N’est-il pas, enfin, arrivé le temps de la retraite pour cet octogénaire que la providence a honoré de ses faveurs ? 
Car, dire de Bédié qu’il a tout eu de la vie serait un doux euphémisme. Puisque l’homme a tout eu ou presque. Rassasié de jours et d’honneurs, il aurait pu raisonnablement s’offrir une retraite paisible et dorée. Ambassadeur à moins de 30 ans, l’âge auquel certains continuent à gérer des cabines téléphoniques ou/et à dormir dans les salons de leurs parents. Ministre au temps des vaches grasses (miracle ivoirien), temps béni, s’il en est, où ‘’on ne regardait pas dans la bouche de ceux qui grillaient les arachides’’, selon la formule fleurie du président Houphouët-Boigny. Président de l’Assemblée nationale auréolé, cherry on the cake, du statut de dauphin constitutionnel, Henri Konan Bédié est certainement l’une de ces personnalités dont on peut dire qu’elles ‘’ont fait fortune en dormant’’.
Il est vrai qu’il a connu une traversée du désert consécutivement au coup d’État du 24 décembre 1999 qui a sanctionné sa gestion ‘’calamiteuse’’ des affaires de l’État. Mais, il en est revenu encore plus fort. Puisqu’il a repris les commandes du PDCI-RDA, son parti, dont il assure la présidence de manière continue depuis plus d’un quart de siècle.
C’est à ce titre qu’il a d’ailleurs contribué aux retrouvailles des héritiers du père de la Nation matérialisées par la création du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le 18 mai 2005, à Paris, en France. Fils aîné de la famille politique RHDP, il jouissait naturellement des honneurs rattachés à ce titre honorifique. Et, au terme du second tour de la Présidentielle 2010, auquel il participa activement en appelant à voter pour le candidat des Houphouétistes, Dr Alassane Ouattara, Bédié en acquit un surcroît de légitimité. 
C’est donc tout naturellement que le président élu Alassane Ouattara l’associa, en sa double qualité d’ainé et d’allié, à la gestion du pouvoir. Son avis était sollicité pour toutes les décisions qui engageaient la vie de l’Etat. Il était une sorte de ‘’président bis’’ dont l’opinion était au moins aussi importante que celle du chef de l’Etat lui-même. Une occurrence qui a conduit certains à considérer Henri Konan Bédié comme le PCA de la Côte d’Ivoire.Son cadet Alassane Ouattara en étant le DG. Une osmose qui s’est encore raffermie lorsque, à l’initiative de Bédié, les deux décidèrent de passer la vitesse supérieure en allant au parti unifié.

Une osmose qui s’est encore raffermie

C’est dans cette dynamique vertueuse que ce dernier lança, le 17 septembre 2014, sur ses terres, dans l’Iffou, ce qu’on baptisera l’Appel de Daoukro qui invitait les partis signataires du RHDP à soutenir solidairement et collectivement la candidature du président Alassane Ouattara pour un second mandat. L’on croyait alors l’alliance des Houphouétistes définitivement coulée dans le marbre et à l’épreuve des aléas et vicissitudes inhérentes à la vie politique. 
L’on pensait aussi que plus rien ne viendrait troubler ou inquiéter l’hégémonie du RHDP sur la scène politique ivoirienne. Las ! C’était aller plus vite que la musique. C’était surtout compter sans les humeurs et les desiderata du président du PDCI-RDA. Aussi, sans crier gare, à la surprise générale, Bédié claqua-t-il la porte du RHDP, cette alliance dont il était le garant. C’était le mercredi 08 août 2018, au terme d’une audience à lui accordée par son cadet. C’est ce même jour qu’il lança l’idée d’une plateforme non idéologique qui regrouperait l’opposition, prioritairement le FPI, ce parti dont le fondateur, Laurent Gbagbo, fut le plus farouche détracteur du père de la Nation, Félix Houphouët-Boigny. 
Laurent Gbagbo qui poussa de jeunes ivoiriens à traiter Houphouët de ‘’voleur’’. Une avanie dont ne se remit jamais l’intéressé qui mourut sans avoir été lavé de cette ‘’souillure’’. C’est vers cet homme que s’est tourné Bédié lorsqu’il a quitté le RHDP. C’est une situation qui ne manque pas de saveur : un houphouétiste qui se jette dans les bras des adversaires des houphouétistes pour combattre les membres de sa propre famille. Si cet acte ne relève pas de la trahison, cela y ressemble.
 ‘’On ne comprend pas le président Bédié. Comment peut-il s’allier à Gbagbo qui a combattu Houphouët et qui l’a lui-même combattu lorsqu’il était au pouvoir. Un homme qui n’a pas hésité à organiser un boycott actif pour empêcher son élection. Ce qui ne s’était jamais vu dans ce pays ! Cela, de mon point de vue, montre une chose, Bédié n’est pas un vrai houphouétiste, puisqu’il était houphouétiste quand ça l’arrangeait. Mais, comme il a compris que le président Ouattara ne veut pas le soutenir en 2020, il a quitté le RHDP pour se chercher de nouveaux alliés. Vraiment, on ne peut pas suivre un tel monsieur’’, se plaint Karim Kamagaté, un informaticien qui exerce dans une entreprise de la place. Comme lui, ils sont nombreux à s’interroger sur les motivations de N’Zuéba. 
‘’Je crois que monsieur Bédié est un communiste, puisque pour lui la fin justifie les moyens. Sinon que fait-il avec le FPI de Gbagbo ? Ce devrait être le dernier parti avec qui le PDCI doit être en alliance. J’ai la faiblesse de croire qu’en politique, on doit pouvoir tenir compte de la morale. Parce que la politique sans la morale et l’éthique, c’est vilain, c’est malsain’’, dénonce Tapé Billy, infirmier-major à la retraite.

La politique sans la morale et l’éthique, c’est malsain

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Henri Konan Bédié file du mauvais coton.Sa démarche autant que sa posture ne rassurent guère de nombreux ivoiriens qui considèrent qu’il en fait trop. Et qu’il aurait pu donner du temps au temps, si tant est qu’il est un vrai houphouétiste, soucieux de la préservation de l’héritage du Bélier de Yamoussoukro. Parce que le refus de l’alternance en 2020 ne peut justifier qu’il retire le PDCI-RDA du RHDP. ‘’ 

Est-ce que 2020, c’est la fin du monde ? 

Si un candidat du PDCI n’est pas mis en avant en 2020, qui dit qu’il ne le sera pas en 2025 ? Mais, je crois que ce sont ses propres intérêts que monsieur Bédié a privilégiés. Parce qu’il est évident qu’après 2020, il ne sera plus en course. Le temps joue donc contre lui. Le problème, c’est qu’il montre, par sa démarche, qu’il s’en fout du PDCI dont il se sert pour assouvir sa soif de revanche comme il l’a avoué dans le dernier Jeune Afrique. Pour moi, il n’est plus crédible. 
C’est tout ! Ce n’est pas un homme à suivre. Les militants de ce parti devraient prendre leurs responsabilités en mettant un terme aux errements de ce monsieur qui les ridiculise. La preuve, il s’allie à Gbagbo alors qu’il sait très bien que celui-ci ne l’a jamais porté dans son cœur. C’est pathétique, il fait la cour à quelqu’un dont il connait les sentiments à son égard et qu’il n’aime pas vraiment lui-même’’, s’indigne un diplomate sénégalais de passage à Abidjan.
Mais, la soif de ‘’revanche’’ est trop forte chez le Sphinx de Daoukro qui n’entend plus la voie de la raison. Autiste et fermé sur ses ambitions, Bédié est comme coupé de la réalité et n’écoute plus que son égo. Un peu comme en 1998, avant la perte du pouvoir. Il n’écoutait alors personne d’autre que lui-même. ‘’Bédié était devenu sourd à toute critique, mise en garde, suggestion ou remarque’’, a regretté le ministre Paul Akoto Yao après le coup d’Etat du 24 décembre 1999. Tout est dit !
 
AMBROISE TIETIE, 
Journaliste Professionnel
Au quotidien Ivoirien « Le Rassemblement ».

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