Alors que le nombre de féminicides est à la hausse depuis six mois, plusieurs centaines de personnes ont répondu présentes à Paris à l’appel d’un collectif de proches de victimes qui dénonce l’inertie de l’État, malgré les promesses.

La dernière victime en date ne remonte pas à plus tard que ce samedi matin, à Perpignan (sud). Elle avait 32 ans, a été tuée à l’arme blanche. Le compagnon est le principal suspect, une dispute la cause probable.

Il y a deux jours, près de Reims (nord-est), un homme écrase sa compagne avec son 4×4 sur la place de la mairie, vers 1h du matin. Plus tard, dans la journée, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, une femme enceinte de 20 ans est lardée de coups de couteau par son compagnon. Elle ne survit pas.

La litanie macabre est longue : depuis janvier, en France, 74 femmes ont été tuées par leur conjoint, ou ex-conjoint, selon un collectif féministe administrateur de la page Facebook Féminicides par compagnon ou ex. Soit 12 par mois. Les années passent, et le phénomène est d’une effroyable régularité : autour de 130 chaque année, selon les chiffres officiels.

Ces derniers jours, des voix célèbres ou non se sont élevées. Un Collectif des proches et familles de victimes de féminicides crie son ras-le-bol le 29 juin dans Le Parisien« Protégez-les ! ».

Dans Le Monde, ce sont des figures du féminisme hexagonal qui appuient dans une apostrophe directe au chef de l’État : « Les féminicides ne sont pas une fatalité : Monsieur le président, réagissez » ; le lendemain, 5 juillet, ce sont les politiques qui prennent le relais : 150 sénateurs signent dans Libération  « Féminicides : où est la grande cause du quinquennat ? »

Ce samedi au cœur de la capitale, plus d’un millier de personnes (2000 selon les organisateurs) sont venues répondre à l’appel du collectif de familles de victimes. Des femmes en grande majorité, des hommes en nombre également, ainsi que beaucoup de militants de diverses associations féministes, souvent jeunes.

Benjamin D., 22 ans, est venu spécialement de Dijon où il adhère au comité local de Nous Toutes.

« Je commence à militer car je me sens concerné, c’est un vrai scandale. Mais c’est lié à toutes les autres causes que je défends : l’écologie, l’anti-capitalisme, l’anti-racisme et le féminisme. »

Céline Lolivret, elle, ne vient pas du militantisme. Elle prend la parole comme proche de victime. Son amie d’enfance, Julie Douib, a été tuée par son ex-compagnon à 35 ans, en Corse, le 3 mars dernier. L’écho du drame a été abondamment relayé.

« Un an avant sa mort, elle m’avait confié se faire battre. Je suis aussi une femme battue, donc ça facilite les échanges » nous raconte Céline, fatiguée. Après plusieurs mois de maltraitance, Julie décide de ne plus revenir chez elle avec ses enfants.

« Elle avait peur pour sa vie, son conjoint avait le droit de porter une arme. Elle a porté plainte six fois, demandé de l’aide ».

Rien à faire, l’ex violent continu de rôder, armé. Julie ne se sent pas écoutée. Il finit par l’abattre à son nouveau domicile. L’homme s’est ensuite livré à la police et est en attente de son procès.

Céline Lolivret, place de la République, le 6 juillet. RFI/Géraud Bosman-Delzons
Céline Lolivret, place de la République, le 6 juillet. RFI/Géraud Bosman-Delzons

Comme pour Julie, la séparation du couple est la cause immédiate du décès d’Aïssatou Sow à 21 ans, « en pleine fleur de l’âge », s’attriste encore sa cousine Claudine Agossa. Le fait divers avait lui aussi défrayé la chronique.

En septembre 2016, Aïssatou est retrouvée gisante dans un immeuble. Battue à mort par son ex-petit ami qui n’a pas accepté de la voir rentrer de soirée. Ils étaient séparés depuis un an et demi.

Son oncle Noël Agossa, initiateur du collectif Plus jamais ça et organisateur de la manifestation parisienne, explique : « Aïssatou avait déposé 14 plaintes pour coups et blessures ! ».

Mais « sous emprise », elle s’était rétractée. Ce lundi, Noël Agossa révèle qu’il déposera les statuts d’une nouvelle association : Famille Féminicide France.

À la tribune, on réclame 74 secondes de silence. Chacune est marquée par un carillon. Le soleil est de plomb.

« Il s’agit de non-assistance à personne en danger, lance l’actrice Muriel Robin sur la scène. Aidons les associations qui font le travail de l’État. » Et d’interpeller le président : « Vous avez parlé de cause nationale, qu’attendez-vous ? Que vaut la vie d’une femme à vos yeux ? J’attends une réponse. »

Pour le collectif, toutes ces femmes « n’ont pas été suffisamment protégées ». Il liste des solutions, bien concrètes, pour « mettre fin à ce massacre » : « prise et traitement systématique des plaintes, octroi de l’aide juridictionnelle dès la plainte, hébergement d’urgence, ordonnance de protection, bracelets électroniques, etc. »

« C’était un premier rassemblement, nous ne nous tairons plus », concluent les militants à la tribune, demandant un Grenelle des violences faites aux femmes et à Emmanuel Macron de tenir ses promesses.

Pour la plupart des personnes interrogées, de tout âge, les violences faites aux femmes, l’impunité des agresseurs sont la conséquence d’un plus vaste problème de fond.

Elles pointent la place de la femme dans la société, les images stéréotypées qu’on renvoie d’elles, forcément fragiles, mais aussi des hommes, nécessairement virils. Elles s’indignent également du faible niveau de prévention et d’éducation, qui devrait intervenir dès le plus jeune âge.

« Il faut instituer un brevet de non-violence dès l’école pour apprendre à vivre ensemble », insiste cette militante de l’association Georgette Sand.

« Ça fera parler les enfants, les filles entre autres à qui l’on apprend trop à se taire, à être sage. » Sa collègue, Marguerite Nebelsztein, complète : « Alors qu’on n’apprend pas aux hommes à réfréner leurs pulsions. Mais les femmes ne sont pas le réceptacle des pulsions des hommes ! » Dans le groupe, un seul garçon : « Oui, cela a pu m’arriver de commettre des gestes de violences envers des femmes. Je prends conscience de cette structure sociétale inégalitaire, qu’il faut déconstruire. »

En attendant, c’est la manifestation qui se déconstruit. Deux policiers et gendarmes en civil demandent la dispersion. « Il y a d’autres manifs qui prennent le relais », dit l’un d’eux. À quelques mètres, des « gilets jaunes » piétinent pour prendre place à leur tour.

Paris, le 6 juillet 2019. Une foule compacte s'est amassée devant la tribune place de la République pour écouter les interventions de proches de femmes tuées par leurs conjoints, ainsi que de militantes féministes. RFI/Géraud Bosman-Delzons
Paris, le 6 juillet 2019. Une foule compacte s’est amassée devant la tribune place de la République pour écouter les interventions de proches de femmes tuées par leurs conjoints, ainsi que de militantes féministes. RFI/Géraud Bosman-Delzons

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