Au Sénégal, l’affaire Ousmane Sonko cristallise les frustrations de la population. « Libérez Sonko ! » Plusieurs dizaines de jeunes Sénégalais scandaient ce slogan, mercredi 3 mars, devant la gendarmerie nationale de Colobane, en plein cœur de Dakar, avant d’être repoussés par les gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre.
A l’intérieur des locaux, Ousmane Sonko, le leader du parti d’opposition Pastef-Les Patriotes (Les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) était en garde à vue pour « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée », selon ses avocats.
« C’est un scandale, l’objectif est d’emprisonner Ousmane Sonko (affaire Ousmane Sonko) pour l’éliminer des listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2024 », s’est indigné son avocat Me Bamba Cissé, pendant que des échauffourées éclataient dans plusieurs quartiers de Dakar.
Affaire Ousmane Sonko cristallise les frustrations de la population au Sénégal
Le principal opposant politique du pays a été arrêté dans la matinée, quand des affrontements entre ses sympathisants et les forces de l’ordre ont perturbé son convoi, qui le menait au tribunal.
Il se rendait à une convocation du juge d’instruction, alors qu’il est visé depuis début février par une plainte pour « viols et menaces de mort » déposée par une employée d’un salon de beauté.
Si des responsables de la majorité présidentielle répètent qu’il revient à la justice de trancher cette affaire privée, affaire Ousmane Sonko continue de dénoncer un complot politique.
L’affaire agite le Sénégal depuis un mois et cristallise les frustrations politiques, économiques et sociales de la population.
« Avant, je n’étais pas avec Sonko. Maintenant je le soutiens et je suis contre son arrestation parce qu’on en a marre de Macky Sall [le président sénégalais]. On ne veut plus voir les opposants en prison dès qu’ils s’expriment », lance Cheikh Diop, un manifestant.
Plus loin, fuyant le boulevard dont l’air est chargé de fumées des gaz lacrymogènes, Fadil Diedhiou reprend son souffle dans les ruelles du quartier Colobane dont toutes les boutiques ont baissé le rideau.
« Nous avons une justice (affaire Ousmane Sonko). Mais les démarches démocratiques n’ont pas été respectées, ni au niveau judiciaire, ni au niveau de l’assemblée nationale avec la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko vendredi dernier », dénonce le jeune homme de 26 ans, pourtant membre d’un parti de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar.
« Utilisation démesurée de la force publique »
Les habitants du quartier regardent les affrontements depuis leurs balcons. Les rues jonchées de pierres et de pavées sont bloquées par des pneus ou des scooters brûlés, et des véhicules blindés bloquent les intersections des grandes avenues.
« Cette situation est déplaisante, c’est du gâchis », commente Thiam, commerçant de Colobane qui a dû fermer boutique toute la journée. Awa Ba, une riveraine, se désole des blessés et des dégâts matériels.
« Mais il faut laisser les jeunes manifester car nous vivons dans une démocratie », considère la mère de famille qui a voté pour Ousmane Sonko à l’élection présidentielle de 2019, après avoir soutenu pendant longtemps Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar écarté de la vie politique après avoir été condamné à cinq de prison notamment pour « escroquerie portant sur des fonds publics ».
D’autres mobilisations ont aussi éclaté au nord du pays, à Saint-Louis, et au sud, en Casamance, fief d’Ousmane Sonko.
« Ces manifestations dépassent sa personne. Cette affaire a été l’étincelle qui a déclenché l’expression d’un mécontentement profond lié à un manque de perspectives d’avenir dans un contexte de Covid-19, analyse Alioune Tine, militant des droits humains. C’est la première fois depuis 2011 que l’on voit cette mobilisation. »
Le 23 juin 2011, face à la colère de la rue, l’ancien président Abdoulaye Wade avait dû abandonner son projet de réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer un troisième mandat.
« Je suis partisan de la paix et de la cohésion sociale mais nous sommes fatigués », lâche Cheikh Touré, un manifestant qui craint que la situation ne dégénère.
La plateforme de la société civile Jammi Rwemi – qui réunit 21 organisations des droits humains, dont Amnesty International Sénégal – lance donc un « appel à la retenue ».
Elle réclame d’un côté « la cessation immédiate des arrestations et détentions arbitraires » en constatant une « utilisation démesurée de la force publique contre toute voix discordante ».
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De l’autre, elle demande aux membres du Pastef-Les Patriotes d’arrêter leur « discours musclé de défiance face aux institutions républicaines » qui risque d’installer « une instabilité politique, sociale et économique durable ».
Malgré l’interdiction des manifestations dans le cadre de la pandémie de coronavirus, une marche nationale pour la défense de la démocratie est maintenue (affaire Ousmane Sonko), vendredi, par plusieurs partis d’opposition et mouvements de la société civile.
Théa Ollivier (Dakar, correspondance)