La démarche singulière de la France interpelle au moins à deux titres : de façon globale et de manière spécifique, voire technique au sujet du rôle de l’OIAC. Elle doit nous fournir l’occasion de nous rappeler le contexte de l’éviction par Washington du premier directeur de cette organisation, José Bustani.

A lire aussi: Décryptage sur le nouvel axe du mal: Londres, Paris, Washington

De légitimes interrogations globales.

Une question se pose : si les occidentaux avaient des preuves de la poursuite de programmes clandestins de la fabrication ou du stockage de telles armes, pourquoi n’ont-ils pas déployé des initiatives politiques fortes, en concertation ou en faisant pression sur les Russes, pour poursuivre la destruction et la mise sous surveillance de ces stocks, pour empêcher le régime de Bachar Al Assad de mener des bombardements criminels ?

Pourquoi n’ont-ils pas réclamé que l’OIAC déclenche immédiatement le système des inspections dites par défi (« challenge inspections ») destiné à répondre à de tels cas de figure comme cela est prévu dans la convention de 1993.

De même, on cherche en vain, depuis cinq ans, la trace de telles initiatives au Conseil de sécurité, en dehors de quelques déclarations formelles sans véritable contenu. Tout ceci n’est que poudre aux yeux et politique de com’.

De légitimes interrogations spécifiques. Pourquoi des initiatives politiques sont-elles prises maintenant après l’envoi de missiles en violation de la légalité internationale ?

A-t-on attendu que le régime de Damas franchisse la fameuse « ligne rouge » pour pouvoir ensuite accomplir une action militaire spectaculaire, sans doute peu efficace, mais permettant aux occidentaux comme certains observateurs l’ont fait remarquer, de revenir au premier plan de la scène politique du conflit syrien dont ils se sont eux-mêmes isolés depuis 2011 ?

Aurait-on délibérément pris le risque de voir périr des dizaines d’innocents pour faire un « coup » politique au lieu de tout faire pour prévenir des attaques criminelles de l’armée syrienne ?

Je me refuse à croire à une telle hypothèse, mais je pense que, dans les cercles militaires français, étatsuniens, de l’OTAN, la culture dominante reste celle du primat de la force sur le respect du droit international et l’action politique, nous dit un expert.

Pourquoi ne pas avoir porté l’affaire des éventuelles violation de l’embargo sur les armes chimiques à destination de la Syrie par des firmes belges ?

De légitimes interrogations techniques. Si l’on comprend le mépris affiché par l’administrations américaine vis-à-vis de l’OIAC, on ne peut que s’interroger sur la distance française à l’égard de cette organisation internationale alors que Paris se veut le chantre du multilatéralisme. Rappelons que la France est dépositaire du protocole de Genève de 1925 et qu’elle a accueilli à Paris la signature de la convention de 1993.

Pourquoi ne pas avoir saisi l’OIAC depuis que nous avons des doutes sur le respect des dispositions concernant la destruction de ses stocks d’armes chimiques par Damas ?

Pourquoi ne pas avoir transmis nos informations, nos preuves de l’existence d’un programme clandestin syrien ? Ne souhaitions-nous pas contourner cette organisation pour avoir les mains libres – sachant que Moscou opposerait un veto à toute initiative occidentale comportant une action coercitive – pour une expédition unilatérale illégale ?

Ce qui serait gravissime pour un pays comme la France qui avait eu le courage de s’opposer à la guerre américano-britannique de 2003 avec les conséquences que l’on sait.

La France serait-elle définitivement rentrée dans le giron américain ?

Une fois de plus, et au rythme où vont les choses, nous risquons d’être les fossoyeurs de l’OIAC. Pourquoi avoir frappé le jour même où les inspecteurs de l’OIAC arrivaient en Syrie?

Le moins que l’on puisse dire est que tout cela est étrange13. Il est vrai que le conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian, l’inoxydable Jean-Claude Mallet est une sorte de John Bolton à la française qui accorde peu de crédit à l’OIAC. Ceci explique peut-être cela.

La jurisprudence Bustani. N’oublions pas la manière indigne et grossière dont John Bolton a eu la peau du premier directeur de l’OIAC, le brésilien José Bustani. Ce dernier avait pour seul défaut de ne pas obéir aveuglément aux Diktat du Département d’État et de croire à l’indépendance de l’organisation internationale qu’il dirigeait.

Menaces proférées par le sinistre homme à la moustache contre les proches de José Bustani vivant à New-York !14 Et ce personnage vient de reprendre du service comme conseiller national à la sécurité de Donald Trump à la Maison-Blanche15.

Et, c’est avec ce genre de personnage peu recommandable que l’Élysée, voire le clan néo-conservateur du Quai d’Orsay, traite. Horresco referens !

Nos brillants esprits auraient eu intérêt à méditer les leçons de l’Histoire la plus récente et non réagir comme des gamins dans une cour d’école.

Le jour où la Vérité sortira, ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas surtout si, s’agissant des Français qui nous ont raconté des bobards (une synthèse des notes de renseignement qui constituerait une preuve irréfragable de la culpabilité syrienne), ils pourraient un jour être traînés devant la Cour pénale internationale pour crime de guerre.

Ce feu d’artifice de la nuit du 13 au 14 avril 2018 aura des conséquences négatives à brève échéance. N’en doutons pas ! Et à ce moment, nous ferons mine de jouer l’effet de surprise et de sidération.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici