Edward L. Bernays (1891-1995) l’inventeur du marketing

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Edward Bernays ou Edward L. Bernays (1891-1995) est l’inventeur du marketing. Je mets trois documents ici, car ils sont intrinsèquement liés. Les deux premiers concernent un homme très peu connu, l’inventeur du « marketing ». Un homme qui n’est pas entré dans la postérité mais dont les travaux conditionnent encore aujourd’hui des milliards d’être humains. Le dernier document montre clairement les effets de ce conditionnement et la puissance de frappe des multinationales dans leur guerre du marketing.

Edward Bernays (1891-1995) l’inventeur du marketing

Ne pas supplier le client d’acheter votre produit, mais l’amener à vous supplier de le lui vendre : ainsi se résume la révolution qu’Edward Bernays a introduite dans la technique publicitaire.

Susciter le désir, créer l’événement, lancer des modes, fabriquer des polémiques de toutes pièces : autant de stratagèmes mis au point par ce neveu de Sigmund Freud dont la famille avait émigré aux Etats-Unis, et qui fut le premier représentant d’un métier qu’il a inventé : conseiller en relations publiques.

  • Son « coup » le plus célèbre : en 1929, les industriels du tabac se plaignent auprès de lui des conventions sociales qui interdisent aux femmes de fumer, ce qui leur fait perdre la moitié de leur marché potentiel ; sur l’instigation de Bernays, lors de la parade du jour de Pâques à New York, un groupe de jeunes femmes allument toutes en même temps, devant les objectifs des photographes, des cigarettes qu’elles baptisent « torches of freedom » (« les torches de la liberté »)…
  • Son passage à la Commission on Public Information, chargée de « vendre » à l’opinion la participation américaine à la première guerre mondiale (on lui doit l’affiche « I want you for US army »), lui a permis d’affiner encore ses méthodes. Il se rend vite indispensable tant aux entreprises qu’aux hommes politiques.

S’inspirant des travaux de Gustave Le Bon et de Wilfred Trotter sur la psychologie des foules, il prône une « manipulation intelligente » des masses par la minorité éclairée – comprenez possédante –, afin de mettre cette dernière à l’abri des menaces de la démocratie.

Il expose ses thèses dans Propaganda en 1928 (1) : « La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible. »

Un autre de ses ouvrages, Crystallizing Public Opinion, figurera en bonne place dans la bibliothèque de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande d’Adolf Hitler – ce que Bernays apprit avec consternation.

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C’est que sa mission, à ses yeux, n’est que probité. Ainsi, le concours de sculpture sur savon qu’il a lancé dans les écoles pour le compte de Procter & Gamble a pour noble but « la culture des impulsions esthétiques des jeunes générations ».

Comme beaucoup de ses émules – signe d’une mauvaise conscience refoulée ? –, il n’a que le mot « éthique » à la bouche.

Le propagandiste, estime-t-il, remplit « une mission sociale au sens large du terme » : tout le monde en sort gagnant.

Les Guatémaltèques sont peut-être d’un avis plus nuancé : en 1954, la campagne de diabolisation orchestrée par Bernays pour le compte de la société United Fruit, dont le gouvernement Arbenz gênait les intérêts, ouvrit la voie à un coup d’Etat de la CIA.

A l’origine des fausses nouvelles, l’influence méconnue d’Edward Bernays

Emile de Girardin
Emile de Girardin

Edward Bernays est un personnage presque oublié par l’histoire. Double neveu de Sigmund Freud, il a pourtant été l’un des théoriciens de la propagande politique qui aujourd’hui, à l’ère de l’hyper-communication, anime entreprises et partis politiques. Julie Timmerman en a fait une pièce de théâtre.

Une scène de la pièce de théâtre « Un démocrate », de Julie Timmerman, consacrée à Edward Louis James Bernays Une scène de la pièce de théâtre « Un démocrate », de Julie Timmerman, consacrée à Edward Louis James Bernays• Crédits : Philippe Rocher

Edward Bernays était le double neveu de Sigmund Freud. Né à Vienne en 1891, il est mort aux Etats-Unis, 103 ans plus tard, presque oublié du grand public alors qu’il a inventé l’un des grands maux du XXe siècle : la manipulation de masse. Pour Julie Timmerman, dramaturge auteur d’Un démocrate, qui raconte sur scène la vie de ce publicitaire :

C’est peut être le plus grand échec d’Edward Bernays, il aura passé toute sa vie à faire sa propre promotion mais il est mort dans l’oubli de l’opinion publique !

Son livre Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie n’a été traduit en France que récemment, même s’il est aujourd’hui largement étudié dans les universités américaines, notamment en marketing.

De l’urgence de faire connaitre Edward Bernays au plus grand nombre. Julie Timmerman

Edward Bernays, à 89 ans, en mars 1981.

L’inconscient des citoyens au service du marché

Edward Bernays (1891-1995) l’inventeur du marketing / Bernays-inventeur du marketing
Bernays-inventeur du marketing

Tout le mérite d’Edward Bernays est d’avoir su trouver des applications pratiques aux découvertes sur l’inconscient de son époque.

Les théories de Gustave Le Bon sur la psychologie des foules, de Wilfred Trotter sur la psychologie sociale, et bien sûr celles de son oncle sur la psychanalyse lui ont permis aux côtés par exemple de Walter Lippmann, l’auteur de la Fabrique du consentement, d’industrialiser la manipulation de l’opinion publique à des fins économiques et politiques.

La révolution industrielle ouvre l’ère des masses. A la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis, les « barons voleurs » n’hésitent pas à tirer sur la foule qui demande par exemple des jours de travail moins longs. Ils décident aussi de trouver des moyens de contrôle social en amont.

A l’époque, plusieurs penseurs comme Gustave Le Bon, Wilfred Trotter et bien sûr Sigmund Freud travaillent sur la psychologie sociale. Le mérite de Bernays est d’avoir mis en pratique ces théories pour faire passer des « messages ciblés ».

Après avoir été l’attaché de presse du ténor Caruso ou des ballets russes, le New-Yorkais a participé, aux côtés du président Wilson, à la Commission Creel qui permit de retourner l’opinion publique américaine en faveur de l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Il retourne ensuite régulièrement en Europe, où il passe des vacances avec son oncle Freud dont les théories sur l’inconscient le fascinent. De retour aux Etats Unis il décide donc de monter sa propre entreprise de propagande au service de l’industrie.

Sa femme et partenaire, Doris Fleischman, lui a vivement suggéré de ne pas utiliser le terme trop marqué de propagande pour leur commerce. Elle inventa, pour le remplacer, celui de relation publiques qui fait encore flores aujourd’hui partout dans le monde. Julie Timmerman

Julie Timmerman, comédienne, dramaturge et metteure en scène d’Un Démocrate Julie Timmerman, comédienne, dramaturge et metteure en scène d’Un Démocrate•

L’histoire de la publicité en 5 minutes de lecture chrono
L’histoire de la publicité en 5 minutes de lecture chrono

Pour les profits de l’industrie agroalimentaire, Edward Bernays contribue à instaurer le célèbre petit déjeuner à l’américaine fait d’œufs et de bacon, n’hésitant pas pour cela à mettre en scène des conseils de médecins sur le sujet.

Edward Bernays est également celui qui rendra incontournable la présence d’un piano dans les appartements américains en poussant les architectes d’intérieur de l’époque à créer des alcôves afin de les accueillir dans les nouvelles constructions.

Bernays a révolutionné la pratique publicitaire en instaurant un protocole précis fait de sondages d’opinion, de mises en scènes, de mensonges aussi parfois pour faire croire au consommateur qu’il désire un produit, que c’est un choix personnel.

Ce genre de processus est encore largement utilisé aujourd’hui, il n’y a qu’à regarder les femmes dénudées partout dans les publicités pour les voitures. Julie Timmerman

L’affaire des cigarettes : un cas d’école étudié dans toutes les universités américaines

La pub, et si on en parlait
La pub, et si on en parlait

Dans les années 1920, Edward Bernays travaille pour l’entreprise Lucky Strike dont les ventes de cigarettes sont en baisse. Selon son mantra, il va « souffler aux gens les rêves avant qu’ils les aient rêvés ».

A l’époque, il est très mal vu pour les femmes de fumer dans les lieux publics. Le publicitaire va donc commencer par mettre la couleur verte du paquet de cigarettes Lucky Strike à la mode dans le prêt-à-porter féminin ou dans les fêtes du show-biz, avant d’aborder les suffragettes pour leur faire croire que la cigarette est un symbole d’émancipation.

Selon la dramaturge :

S’inspirant de son oncle Sigmund Freud, il leur dit que la cigarette est un symbole phallique et qu’il n’y a aucune raison pour que les femmes n’aient pas le droit de fumer en public. Il imagine et organise aussi en 1928 un défilé de fumeuses sur la 5e avenue à New York, où les femmes, toutes féministes, avaient dans une main une cigarette et dans l’autre une pancarte « torches de la liberté ». L’idée est lancée devant la presse du monde entier : les femmes modernes doivent fumer et donc acheter des cigarettes.

Dans cette vidéo, le philosophe canadien Normand Baillargeon, raconte comment Edward Bernays a fait fumer les femmes :

En 1929, à ceux qui lui objecteront que la cigarette est mortelle, Edward Bernays répondra en envoyant aux journaux des expertises contraires, souvent financées par l’industrie de la cigarette. Les fausses informations, « messages ciblés » dans le langage de l’époque, sont nées.

Quand la propagande politique devient « relations publiques »

S’il a permis l’élection du président Calvin Coolidge, en changeant l’image de l’homme taciturne comme il a changé l’image des cigarettes, Edward Bernays n’a pas toujours mesuré l’impact politique de ses méthodes de propagande.

Aujourd’hui, tous les partis politiques et toutes les entreprises font des relations publiques, sans même connaître les théories d’Edward Bernays. Moi, avec cette pièce, j’ai voulu dénoncer la propagande, qui est omniprésente à notre époque d’hyper communication. Le théâtre est sans doute la meilleure façon de donner à penser et de faire éclore l’esprit critique des citoyens d’aujourd’hui.
Julie Timmerman

Edward Bernays considérait que le peuple était incapable de penser et qu’il devait être guidé par une élite. Juste avant la deuxième Guerre mondiale, un journaliste américain a raconté que l’un de ses livres se trouvait dans la bibliothèque du nazi Joseph Goebbels. Un comble, pour cet Américain qui n’a cessé de défendre l’idée que ses pratiques protégeaient la démocratie.

Peu de médias racontent l’influence de l’Américain, notamment dans nos démocraties d’aujourd’hui. Sur Arte, un documentaire de Jimmy Leipold analyse son héritage :

Autre grande zone d’ombre du personnage, en 1954, Edward Bernays renverse avec la CIA le pouvoir démocratiquement élu au Guatemala pour satisfaire son employeur, une compagnie bananière qui prend le pouvoir dans le pays. Pour provoquer ce coup d’Etat, l’Américain va savamment utiliser tous les ressorts géopolitiques de l’époque et notamment l’anticommunisme, qui alimentera une vaste campagne de presse faite de fausses nouvelles et de vrais mensonges.

Aujourd’hui, les techniques de propagande en démocratie d’Edward Bernays sont utilisées par tous les partis politiques dans le monde. Le Brexit ou l’élection de Donald Trump mais aussi celle d’Emmanuel Macron en sont les héritiers et c’est l’une des phrase forte du spectacle. En bien ou en mal si on parle de nous, c’est toujours bon pour les affaires. Julie Timmerman

Un démocrate, texte et mise en scène de Julie Timmerman, est à voir à Paris au théâtre de La Reine Blanche, jusqu’au 23 juin, avec la compagnie Idiomécanic Théâtre, avant une tournée dans toute la France.

« UN MONDE OBESE »

ARTE

Alors que l’obésité progresse inexorablement, Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade enquêtent sur les causes de ce fléau planétaire et dévoilent le combat mené dans certains pays pour l’endiguer.

En 2030, on estime que la moitié de la planète sera obèse ou en surpoids, entraînant une explosion du diabète, des maladies cardio-vasculaires et de certains cancers. Comment expliquer cette épidémie mondiale, qu’aucun pays n’est encore parvenu à enrayer ?

Alors que l’obésité charrie son lot de clichés, des gènes tout-puissants aux volontés individuelles défaillantes, et que les industriels comme les autorités publiques continuent de pointer du doigt le manque d’activité physique (« Manger moins, bouger plus »), ce fléau ne serait-il pas le fruit d’un échec collectif mitonné dans nos assiettes ?

À la fin des années 1970, le combat contre le gras, désigné comme responsable des maladies cardio-vasculaires, fait des céréales, riches en glucides et massivement subventionnées, la nouvelle base de notre alimentation.

Parallèlement, des produits transformés, allégés en matières grasses mais bourrés de sucre, au pouvoir addictif décuplé par le marketing, déferlent sur le marché.

Alors que des voix s’élèvent pour dénoncer les conséquences funestes de cette révolution, les multinationales de l’agroalimentaire, jamais rassasiées, dépensent des milliards en lobbying pour préserver leur pré carré, tout en répandant le poison de la malbouffe et des boissons sucrées à travers le globe.

Si certains pays ont adopté des « taxes soda » ces dernières années, c’est au Chili que le vent de révolte souffle le plus fort : les produits trop riches en gras, sel, sucre ou calories sont frappés de logos d’alerte et interdits de publicité.

Colonisation alimentaire « On ne peut pas rester les bras croisés et les laisser nous tuer », soutient Malia Cohen, élue de la ville de San Francisco, émue aux larmes.

Des États-Unis au Chili en passant par le Mexique et l’Europe, Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade (« Microbiote – Les fabuleux pouvoirs du ventre », « Le jeûne, une nouvelle thérapie ? ») donnent la parole à des chercheurs, des médecins, des victimes culpabilisées, des politiques et des citoyens engagés pour dresser un état des lieux édifiant de cette épidémie planétaire, qui constitue le problème de santé le plus grave au monde.

Mais si les constats, étayés de chiffres, se révèlent effrayants, le documentaire en expose les causes de manière limpide, et explore des solutions pour stopper cette bombe à retardement. Au-delà des réglementations obtenues de haute lutte, la prise de conscience des jeunes déshérités de San Francisco, propagée à travers des clips de rap incisifs, apparaît ainsi comme une vivifiante lueur d’espoir.

Documentaire de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman (France, 2020, 1h30mn) Disponible jusqu’au 13/06/2020

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