Le fonio, une céréale généralement associée à certaines communautés du sud-est du Sénégal, sort de sa relative confidentialité depuis quelques années, grâce notamment aux femmes productrices et transformatrices de la région de Kédougou dont les efforts de valorisation en ont fait un produit désormais très prisé aux plans national et international.
Considéré comme produit typique de certaines communautés du Sénégal – bédik, bassari, mandingue, koniagui, jaaxanké, dialounké, peul, etc., de la région de Kédougou -, pour lesquelles il sert notamment de plat de référence pendant les grandes fêtes et les moments de réjouissance, le fonio s’émancipe de plus en plus de son espace de confinement et de ces aires culturelles déterminées.
Il est de plus en plus au goût du jour, grâce par exemple à l’engagement des femmes regroupées au sein du Groupement d’intérêt économique (GIE) Niokolo Koba Club, dirigé par Aïssatou Aya Ndiaye.
La contribution des groupements de promotion féminine a permis, avec l’appui de partenaires privés et publics, de booster les rendements avec une production de 1300 tonnes en 2018, soit un bond de 17 % par rapport à 2017.
Ces statistiques de la campagne 2018-2019 ont été annoncées par Jean Paul Malick Faye, l’adjoint du gouverneur de la région de Kédougou chargé des affaires administratives, lors de la dernière célébration de la journée du fonio, dont la cérémonie officielle a été organisée dans l’enceinte de la mairie de Kédougou.
Selon le maire de Kédougou, Mamadou Adji Cissé, 90 % des femmes de la région de Kédougou s’adonnent à l’exploitation du fonio, dans la commune comme dans les zones rurales, dans la culture ou dans la transformation et la commercialisation.
Les femmes de la communauté bassari principalement, dont ‘’Onyan’’ est désormais l’appellation officielle depuis la dernière codification des langues nationales, se sont imposées avec le temps comme le fer de lance de l’héritage lié à la culture du fonio, aliment des grandes occasions comme les fêtes d’initiation.
De la commune de Kédougou, certaines de ces femmes font tous les jours le trajet séparant leurs foyers des champs, par le biais d’une route caillouteuse de quelque 6 km qui traverse plusieurs villages malinké, peul et bassari. De part et d’autre de ce chemin de fortune, des habitats en toits de chaume et autres hautes herbes jaunies par la fin de l’hivernage, plongent le visiteur dans un décor très particulier.
Cira Delphine Bindia, Mathia Bindia et Penda Bonangue, comme à l’accoutumée, sont déjà arrivées très tôt dans leurs champs. Un fourrage herbacé brouté et piétiné par le cheptel.
Le fonio étant fauché en cette période de récoltes, il ne reste que quelques gerbes dans la parcelle.
A quelques mètres de là, on trouve par-ci des gerbes de fonio piétinées et par-là d’autres étalées sur des supports en bois en attendant leur battage. Plus loin encore, un tapis herbacé signale la présence d’autres spéculations comme l’arachide, l’oseille de Guinée, la canne à sucre, le mil.
Il ressemble à une pelouse mal rasée des stades de football avec des herbes jaunâtres. Il s’agit d’une parcelle de fonio qui n’a pas eu le temps de murir à cause de l’arrêt des pluies, renseigne Cira Delphine Bindia, entourée des autres productrices.
Sur le plan agronomique, renseigne l’ingénieur-agronome Cheikh Guèye, le fonio est une culture qui ressemble un peu à du gazon, avec ses graines minuscules de l’ordre d’un à deux millimètres. Dans les champs, seuls les avertis peuvent savoir s’il s’agit bien de la céréale du fonio ou d’une autre variété.
Le fonio, de son nom scientifique herbacée, digitaria exilis, peut s’adapter à tous les sols, en raison de sa valeur intrinsèque, cette espèce étant dotée d’un ‘’système racinaire pivotant’’ pouvant aller jusqu’à 7 mètres de profondeur dans certains cas, indique l’ingénieur agronome.
Il s’y ajoute que le fonio, l’une des plus anciennes céréales cultivées en Afrique, est une culture pas très exigeante aussi bien en eau qu’en nutriments.
Aussi la culture du fonio est-elle considérée comme l’apanage des ‘’paresseux’’, parce que ‘’c’est une culture moins exigeante’’ qui ne demande ni abattage d’arbres, ni épandage d’engrais, ni même aucune surveillance, souligne Tama Bindia, traditionnaliste bassari et époux de Cira Delphine Bindia.
« C’est une herbe comme les autres’’, ajoute M. Bindia, soulignant qu’il suffit d’avoir ‘’des terres très peu fertiles’’ et d’épandre un peu partout le fonio pour qu’il pousse et murisse et soit récolté dès le mois d’août, à point pour que les familles puissent faire face à la période de soudure.
Le fonio n’est donc pas cultivé à la base dans un but commercial, mais s’inscrit dans un contexte culturel marqué par le besoin de perpétuer un héritage culturel et de préserver une manière de vivre et des traditions basées sur la religion traditionnelle. Il faut là penser aux grandes cérémonies initiatiques au cours desquelles des offrandes sont faites aux ancêtres pour assurer la protection des futurs initiés.
Si ce n’est cette motivation première, fondamentalement identitaire, qui a stimulé l’engagement des communautés concernées dans la promotion de cette céréale, la culture du fonio aurait disparu depuis longtemps, tranche Cira Delphine Bindia.
« Nous ne voulons pas que la culture du fonio disparaisse mais les rendements ne sont pas importants en raison des conditions de travail très difficiles liées au manque de matériel agricole. Nous sommes obligées d’emblaver de petites parcelles’’, déclare-t-elle en peul.
Elle insiste sur les difficultés auxquelles les productrices de fonio font face, de la période des semis à la récolte.
Il y a l’entrave liée à l’impossibilité d’utiliser des tracteurs pour cultiver le fonio, du fait que même si la plante s’accommode de tous les terrains, elle exige en revanche peu de sol pour espérer une bonne levée des graines. Ces femmes productrices misent par conséquent sur d’autres méthodes culturales en utilisant des charrues à trois dents pour espérer augmenter les superficies cultivées et les rendements.
Elles font également tout pour ne pas rater la période des semis (juin-juillet), promesse d’une bonne production.
De fait, outre le manque de matériel agricole, ces femmes disent être limitées par d’autres types de contraintes, au moment de la récolte – qui se fait de façon manuelle -, mais aussi en termes de stockage et de séchage des gerbes. Le battage et le vannage, le séchage comme le stockage également constituent d’autres défis, de même que le décorticage et le blanchiment des grains, ainsi que le lavage et le dessablage avant cuisson de la céréale, selon Cira Delphine Bindia.
Quand la plante arrive à maturité, les productrices doivent procéder au fauchage de la paille pour éviter que les graines ne se répandent par terre. Les gerbes de fonio risquent aussi de se noircir et surtout de pourrir quand le champ est gorgé d’eau, explique Cira Bindia.
« Le fauchage de la paille nécessite une main-d’œuvre importante’’, alors que ‘’certaines personnes refusent de sortir de la commune pour travailler dans les champs’’, sans compter que les opérations de battage ‘’demandent beaucoup d’efforts physiques parce qu’il faut utiliser les mains et les pieds’’, insiste Mme Bindia.
Une partie du fonio paddy est destinée à la consommation des ménages, une autre est vendue au GIE Niokolo Koba Club spécialisé dans la transformation et le conditionnement de cette céréale, indique la productrice bassari, saluant les innovations technologiques à l’origine du regain d’intérêt pour le fonio, jadis considéré comme une plante de soudure.
Table des matières
La transformation du fonio, une opération longue et pénible
La production a ainsi enregistré un bond significatif, en raison des mesures incitatives mises en place par les partenaires publics et privés. Les producteurs en ont profité pour prendre leur destin en main en mettant sur pied le Réseau des acteurs de la filière du fonio (RAFF), dirigée par Aïssatou Aya Ndiaye, présente dans le secteur depuis des décennies.
Mme Ndiaye (73 ans), est surnommée la ‘’reine du fonio’’, pour son engagement dans la transformation, la commercialisation et la promotion de cette céréale, au centre d’une journée qui lui est dédiée chaque année à Kédougou.
Elle a réussi à fédérer les groupements de promotion féminine, en mettant sur pied le GIE Niokolo Koba Club, une entreprise leader au Sénégal dans la production et la commercialisation du fonio précuit.
Le GIE a installé une unité de transformation de fonio et une unité de production de beurre de karité sur l’avenue Fadiga, également appelée ‘’Lawol Tamba’’ et qui mène à Tambacounda. Une fois franchies les portes du premier bâtiment, une machine dessableuse de fonio, destinée à séparer les produits des récoltes des impuretés, grains de sable et autres corps étrangers, donne toute la mesure des ambitions de modernisation des installations de ce GIE.
Un autre bâtiment sert de lieu de stockage et abrite aussi une machine à transformer le fonio – créé par Sanoussi Diakité, ancien directeur général de l’Office national de formation professionnelle (ONFP) – et un décortiqueur à fonio GMBF doté d’un moteur électrique d’une capacité de traitement de 100 à 150 kg/heure.
A lire aussi : Image du Jour: Guide voyage au Sénégal
Le décorticage et le blanchiment manuel du fonio sont des opérations pénibles et fastidieuses, nécessitant 4 à 5 opérations successives au pilon et au mortier, séparées par autant de vannages manuels.
« Le fonio est agréable à consommer, mais sa transformation n’est pas chose aisée parce qu’il faut d’abord le dessabler, le nettoyer, le cuire, le sécher et le paqueter. Il faudrait aussi respecter les normes hygiéniques’’, explique Aïssatou Aya Ndiaye.
Les tamis, les calebasses, les bassines en plastique sont les ustensiles utilisés par les femmes transformatrices pour laver le fonio avant sa cuisson. Il est ensuite mis dans de grands bols en aluminium dont les fonds sont percés de trous pour le cuire à la vapeur.
La dernière opération consiste à sécher le fonio précuit. Pour cela, une unité de séchage d’une capacité de 2 tonnes a été aménagée à l’arrière-cour du bâtiment, grâce à l’appui financier de l’Union européenne (UE), dans le cadre d’un partenariat avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, selon Mme Ndiaye.
Dans cette perspective, elle appelle le gouvernement du Sénégal à s’inspirer du Mali et du Burkina Faso qui appuient leurs producteurs et transformateurs de fonio pour leur ouvrir les portes du marché international.
« Nous participons au Salon international de l’Agriculture (SIA) de Paris, mais nous amenons de faibles quantités comparés aux producteurs du Mali et du Burkina Faso. Si l’Etat nous appuie davantage, nous pourrions conquérir le marché international au même titre que les autres pays de la sous-région’’, assure la présidente du GIE Niokolo Koba Club, lauréat en 2018 du Grand prix du chef de l’Etat pour la promotion de la femme.
Le combat pour la reconnaissance du fonio comme culture prioritaire
Il reste que ces dernières années sont marquées par un regain d’intérêt pour la culture du fonio dans les régions de Tambacounda, Kolda et surtout Kédougou.
Cet intérêt s’explique par le fait que le fonio n’a pas de gluten contrairement aux autres espèces végétales consommées dans le monde, dont le riz, note l’ingénieur-agronome Cheikh Guèye.
Du point de vue biochimique, le fonio est riche en acides aminés indispensables à l’organisme. De par ses propriétés bêta-glucanes, il peut aider les personnes souffrant de diabète dans leur alimentation, poursuit M. Guèye, par ailleurs coordonnateur du Réseau des acteurs de la filière fonio (RAFF).
Il est également avéré que le fonio est bon pour ceux qui veulent garder la ligne, l’obésité étant en train de devenir un fléau dans certains pays occidentaux, a-t-il dit, ajoutant que sa consommation est aussi conseillée aux personnes qui développent des allergies par rapport à certaines céréales en raison de la présence de gluten.
Le fonio constitue également une soupape alimentaire pour les communautés, en ce sens qu’il murit avant les autres cultures. Souvent décrite dans certaines zones comme une culture des sols pauvres, la céréale s’adapte parfaitement aux changements climatiques avec sa gamme de variétés dont les cycles culturaux vont respectivement de 45 jours à 4 mois.
Mais la principale contrainte liée au fonio réside dans le fait qu’il est considéré comme ‘’une culture culturelle’’, caractérisé par des ‘’pratiques spécifiques’’ à des cultures et à des traditions déterminées, relève le coordonnateur du Réseau des acteurs de la filière fonio.
« Ce n’est pas une technique à vulgariser ou à faire en sorte que toutes les autres contrées du Sénégal s’y mettent. Il y a un brassage qu’il faut pour arriver à cela’’, insiste l’ingénieur-agronome qui travaille sur le fonio depuis 2003.
Cheikh Guèye voit la culture du fonio sous l’angle de la ‘’pratique et tout ce qu’elle comporte comme paramètres déterminants’’ qu’il faut considérer si on veut faire la promotion de la culture de cette céréale sur le territoire national.
« Notre combat aujourd’hui, c’est de se battre pour que le fonio soit hissé au même rang que les autres cultures prioritaires au Sénégal comme le riz, l’arachide, etc. A l’entame ou à la fin de chaque campagne, pourquoi parle-t-on du prix d’arachide et non de celui du fonio ?’’, déplore l’ingénieur-agronome.
C’est dans cette perspective que le 30 juillet 2018, les acteurs de cette filière ont organisé à Kédougou le premier atelier de lancement de la campagne de production du fonio, auquel étaient conviés les producteurs des autres régions du pays. Une rencontre qui a permis de tirer les leçons des campagnes passées et de se projeter dans la nouvelle campagne, renseigne-t-il.
« Nous avons compris que l’Etat n’est pas dans les dispositions de restructurer la filière fonio. Donc, nous avons pris les devants dans le cadre du partenariat public-privé, nous nous sommes battus’’ pour élaborer des contrats de culture avec les producteurs de la région de Kédougou, dans le cadre de cette campagne 2019, note Cheikh Guèye.
Sur cette base, il a été décidé qu’un prix d’achat soit fixé pour le fonio, ce qui a été fait pour la présente campagne de commercialisation, le prix du fonio paddy ayant été arrêté à 300 francs CFA le kilogramme, informe M. Guèye.
Il assure que ce prix satisfait les producteurs, déjà heureux qu’un contrat pareil leur soit proposé pour la première fois.
Une telle incitation, ‘’si elle est soutenue, peut permettre de booster la production et d’accorder une place de choix dans l’assolement paysan pour la culture du fonio. Ils attendent que l’Etat et les autres partenaires du public et du privé les soutiennent dans cette lancée’’, dit le coordonnateur du RAFF.
Il ne s’agit pas que de production au champ, précise-t-il, ajoutant qu’il y a un travail global qui est en train d’être fait sur toute la chaîne de valeur pour la sortir de sa situation de confinement.
Des défis à relever dans tous les maillons de la chaîne de valeur
Le premier goulot d’étranglement, c’est le marché, un point sur lequel les acteurs du fonio sont en train de travailler, assure M. Guèye, avant d’insister sur ‘’une bonne coordination’’ des différents maillons de la chaîne de valeur et la création d’une réelle valeur ajoutée, ainsi que la mise en place des pôles de transformation professionnalisés.
« Bref, il faut restructurer la filière. Il y a un travail de restructuration à faire en impliquant tous les acteurs de la filière’’, préconise le technicien. Il a rappelé qu’en 2018, la Délégation à l’entreprenariat rapide des jeunes et des femmes (DER) s’était signalée dans le financement des producteurs, par exemple.
Mais ‘’beaucoup de choses restent à faire’’, estime Cheikh Guèye, selon qui les acteurs du fonio doivent être dotés de plus de moyens pour qu’ils puissent faire bien leur travail.
A ce jour, les producteurs ne disposent pas de semences typiquement sénégalaises et encore moins de semences certifiées, même si des efforts ont été faits dans ce sens, reconnaît l’ingénieur agronome.
Selon lui, en partenariat avec les chercheurs de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA), un Règlement technique particulier (RTP) a été élaboré depuis 2017. Ce document attend cependant d’être validé, dit-il.
Il ajoute que sa validation permettrait de lancer rapidement la production semencière certifiée, l’ISRA ayant d’ores et déjà isolé trois variétés de fonio destinées à être multipliées et certifiées. Le retard noté dans la validation du RPT s’explique par l’absence d’un programme spécial dédié à la filière fonio, déplore-t-il.
Dans cette perspective, l’ingénieur-agronome a insisté sur la nécessité de lever les contraintes liées à la production, concernant notamment les semences et l’acquisition de matériel de transformation. ‘’Au-delà de la culture, fait-il savoir, il n’y a pas encore de machines pour faucher le fonio. Quand le plant de fonio est mûr, il se couche et au moindre geste ça coule’’.
Jean Paul Malick Faye, l’adjoint au gouverneur de la région de Kédougou a pour sa part exhorté les acteurs de la filière à s’armer de la ‘’culture des données statistiques’’ en vue de permettre à l’exécutif régional de planifier ses futures actions dans ce domaine.
Il assure que l’Etat du Sénégal a beaucoup investi dans la filière fonio à travers la Délégation à l’entreprenariat des femmes et des jeunes (DER) et le Programme d’appui au développement agricole et à l’entreprenariat rural (PADAER).
« Pour soutenir cette chaîne de valeur, il nous faut savoir si ces financements injectés ont produit des résultats’’, a-t-il souligné, estimant que cette perspective devrait également passer par la formation des acteurs en matière de gestion des données statistiques.
« Selon lui, sans cette formation, ils ne pourront procéder à la collecte de données statistiques fiables. Il a donc invité les acteurs de cette filière à faire de la collecte des données ‘’une priorité’’.
Le fonio, ‘’une culture culturelle’’
Le fonio s’adapte aux changements climatiques avec sa gamme de variétés, mais la principale contrainte à sa promotion réside dans le fait que c’est ‘’une culture culturelle’’, caractérisée par des ‘’pratiques spécifiques’’ à des cultures et à des traditions, note Cheikh Guèye.
« Ce n’est pas une technique à vulgariser’’, et il ne s’agit pas non plus de ‘’faire en sorte que toutes les autres contrées du Sénégal s’y mettent. Il y a un brassage qu’il faut pour arriver à cela’’, selon lui.
L’ingénieur-agronome voit la culture du fonio sous l’angle de la ‘’pratique et tout ce qu’elle comporte comme paramètres déterminants’’ à considérer, dans le cadre de la promotion de la culture de cette plante sur le territoire national.
Depuis 2003, date du début de ses travaux consacrés à cette céréale, Cheikh Guèye n’a eu de cesse de considérer le fonio comme ‘’une culture sacrée’’. Son action combinée à celui d’autres acteurs a finalement abouti à l’inscription du fonio au patrimoine immatériel du Sénégal, le 25 avril 2019, en même temps que ‘’les pratiques sociales divinatoires mystiques qui lui sont associées’’.
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ces pratiques sociales, du point de vue historique comme anthropologique, notamment, il s’est rendu à Bandiagara, au Mali, chez les Dogons.
« Pour eux, le fonio s’appelle +la graine de vie+. A l’image des Massaï du Kenya qui considèrent la vache comme leur propriété, les Dogons disent aussi que le fonio leur appartient’’, explique le technicien sénégalais, qui a aussi vécu pendant des années au Burkina Faso, un des grands producteurs du fonio en Afrique de l’Ouest.
« Il y a plein de secrets qui sont rattachés au fonio et au riz. Et les initiés ne le disent pas aux non-initiés. Ce n’est pas des choses qu’on étale en public’’, conclut l’ingénieur-agronome.
Selon le traditionnaliste Tama Bindia, le fonio, du point de vue de la communauté bassari, ‘’c’est d’abord un aliment culturel et même spirituel puisqu’il est au cœur de la religion traditionnelle’’.
« A côté des champs de riz, de mil, d’arachide, de maïs, etc., le Bassari cultive toujours le fonio qui est réservé uniquement aux cérémonies et pratiques thérapeutiques traditionnelles’’, explique Bindia, qui a écrit un poème dédié au fonio, lequel a été déclamé par une jeune fille de sa communauté lors de la journée annuelle dédiée à la céréale.
Considéré comme un aliment cultuel, le fonio est présent lors des offrandes offertes aux ‘’esprits surnaturels’’, explique le traditionnaliste.Pour cette raison, renseigne-t-il, un repas offert aux esprits tutélaires est toujours fait à base de fonio. De même, cet aliment est présent à l’occasion des grandes initiations, un des moments les plus importants en pays Bassari.
« Même les Bassari vivant à Dakar et hors du pays qui veulent initier leurs enfants doivent s’assurer qu’ils auront du fonio et des coqs rouges. Ceux qui sont restés au village gardent du fonio pour eux. Le fonio va intervenir à tout moment de l’initiation’’, signale M. Bindia, enseignant à la retraite et ancien adjoint au maire de Kédougou (2009-2014).
En prévision des années d’initiation, les Bassari cultivent toujours du fonio pour les besoins rituels liés à cette cérémonie traditionnelle. Ils peuvent aussi réserver des années d’avance des récoltes de fonio pouvant servir lors des cérémonies initiatiques. D’autant que c’est une céréale qui ne s’avarie pas trop vite et peut rester intacte pendant trois à quatre ans. Le fonio est ainsi gardé jalousement dans le grenier familial.
Lors des cérémonies initiatiques, les repas à base de fonio préparés par les femmes sont portés par les hommes pour le bois sacré où des offrandes seront faites aux esprits tutélaires.
Le traditionnaliste raconte qu’il existe même une ‘’place fonio’’ dans les villages, localisée juste avant le bois sacré, là où les hommes se disputent les repas à base de fonio. Des mets simples, à base souvent de viande de chèvre, qui accompagne les futurs initiés, selon Tama Bindia.
Au total, le fonio, un aliment léger, agréable à manger et consommable par tout un chacun, quels que soient l’état de santé et les caractéristiques biologiques des uns et des autres, a une fonction éminemment spirituelle en pays bassari, au-delà de sa valeur nutritive.
Il est à ce point spécial chez les bassari que ce peuple détient des recettes à partir desquelles il est possible de proposer une dizaine de plats différents, sur la base de cette seule céréale.