Les formations gratuites prodiguées par l’entreprise Facebook au sein de pôle-emploi et de Google dans les universités, vont débuter sous peu. Que peut engendrer l’enseignement des outils numériques par des entreprises monopolistiques américaines ? L’Etat français est-il en train de laisser s’opérer une forme de privatisation de l’enseignement ?

Les partenariats entre Google et les universités, tout comme ceux de Facebook avec Pôle-emploi se sont faits avec l’assentiment de l’Etat : 50 000 demandeurs d’emploi vont donc bénéficier d’une formation « d’inclusion numérique » (sic) par Facebook, l’entreprise californienne au réseau social crédité de 2 milliards d’utilisateurs.

Du côté de Google, le moteur de recherche monopolistique qui aspire 90% des requêtes Internet en France, ce seront des étudiants en université qui auront droit à une formation « digital active » (sic) gratuite. Digital : un terme qui ne signifie strictement rien en bon français pour le thème abordé, celui du numérique — puisque digital signifie « le doigt » dans la langue de Molière — et reste très obscur même lorsque son contenu est explicité :

« Formation Google Digital Active 2018 : l’Université de la Rochelle, Faculté des Sciences et Technologies, offre 4 jours de formation au monde digital : culture digitale, marketing et communication en ligne, digital et recherche d’emploi, création de projets innovants… Délivrée par des experts, la formation est ouverte à tous les étudiants de l’Université (quel que soit le cursus suivi) et aux personnes extérieures à l’Université. Elle est gratuite et certifiante. Aucun pré-requis n’est demandé. »

Formation au « monde digital », à « la culture digitale », au « marketing et à la communication en ligne », au « digital et à la recherche d’emploi » : quel rapport entre les « sciences et les technologies » enseignées dans une université publique et ces thèmes commerciaux sans substance, aux intitulés américanisés, issus du management 2.0 et dont les contenus vont être délivrés par des « experts » sans qualification reconnue, employés par des entreprises privées géantes ?

Qui sont ces experts ? Ont-ils des compétences d’enseignement ? Comment cette formation peut-elle être à la fois certifiante et accepter n’importe qui « sans pré-requis », même extérieur à l’université ? Le « monde digital » est-il un concept inventé par et pour Google ou a-t-il un existence concrète et reconnue d’un point de vue universitaire ?

Un pied dans le secteur public pour les géants du Net

Les géants de l’Internet arrivent dans le tissu éducatif, mais aussi ceux de la recherche d’emploi et de la formation, avec la bénédiction de l’Etat français, sans crier gare, sans contrôle ni recul sur leurs intentions et leurs compétences.

Ces énormes « machines du web » — à générer du cash — toujours sous le coup de plaintes d’Etats, de la Commission européenne, tant pour leurs pratiques d’évasion fiscale que leur non respect de la vie privée, privatisent donc des espaces d’enseignement censés être maîtrisés par des services publics ou des organismes paritaires (payés avec les cotisations des contribuables).

De nombreuses questions méritent donc d’être posées sur cette nouvelle donne qui survient, puisque c’est une véritable petite révolution dans le monde de l’enseignement et de la formation qui pourrait s’opérer silencieusement. Avec des conséquences bien plus perverses que ce que le vernis marketing de ces formations censées « aider » les publics ciblés ne veut bien le dire…

Les GAFAM à l’assaut du marché de la formation

Facebook vient d’investir 10 millions d’euros dans un laboratoire d’intelligence artificielle basé à Paris, avec le recrutement de 30 chercheurs et l’accueil de 40 doctorants à l’horizon 2022. Cette somme — pourtant modeste tant pour l’entreprise qu’en terme d’investissement sur le territoire — devrait aussi permettre de financer des bourses d’études auprès de plusieurs universités. Des étudiants verront donc leur parcours universitaire « facebooké » par un financement normalement réservé au budget public (financement neutre et non-orienté, puisque public).

Comment imaginer qu’une entreprise privée comme Facebook puisse financer des parcours universitaires, former des chercheurs ou même des demandeurs d’emploi sans leur communiquer sa culture d’entreprise, sans les inciter à utiliser ses propres méthodes et ses propres outils ?

Sur l’inclusion numérique que Facebook prétend vouloir enseigner aux demandeurs d’emploi, est-il possible d’imaginer que les « experts » du réseau social mondial puissent former les personnes chez Pôle-emploi à utiliser des outils des concurrents de leur employeur, ou des logiciels libres ? La réponse est contenue dans la question et elle est négative.

Olivier Ertzscheid est chercheur en sciences de l’information et de la communication. Il est maître de conférences à l’université de Nantes et à l’Institut universitaire de technologie de La Roche-sur-Yon et souligne un élément important à prendre en compte dans le cadre de cette opération dans un billet de blog au sujet de la formation des demandeurs d’emploi par Facebook:

« (…)les universités sont parfaitement capables de faire cela, elles ont même une mission régalienne qui s’appelle la « formation continue », mission qu’elles sont juste parfaitement incapables d’accomplir faute de moyens conséquents et de postes(…) »

La mission régalienne de la formation continue — de l’Etat, donc — semble avoir été abandonnée. Un signe très inquiétant, qui devrait soulever un débat, que le chercheur ne se prive pas de lancer en rappellant, non sans un humour au second degré — et avec un certain agacement — les volontés stratégiques très peu désintéressées des géants de la Sillicon Valley que sont Google et Facebook :

« (…)Il est notable et documenté qu’il entre dans les ambitions stratégiques des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) de devenir des acteurs à part entière du marché de la formation et ce faisant de se substituer aux services publics qui tentent encore comme ils le peuvent d’en assurer la charge (par exemple les universités). Et donc c’est vrai que leur filer les clés du camion, leur monter un partenariat avec Pôle Emploi, et leur filer l’accès aux fichiers des chômeurs, c’était à la fois urgent et nécessaire. (…)

Les experts du digital : des étudiants en CDD, commerciaux de Google

La réponse à la question de « qui sont les experts de Google » censés prodiguer des formations sur le « monde digital » dans les universités, vient d’Olivier Ertzscheid, toujours sur son blog. Une réponse qui donne le ton réel de ces opérations et de leur objectif :

« (…) Et devinez qui assure ces formations aux bases du Marketing Digital ? Des étudiants. Des étudiants qui ont répondu à une offre prestement diffusée par les services universitaires et qui disait ceci (Digital Active Coach.pdf) » :

Digital Active Coach
Digital Active Coach

Ces postes de « coach Digital Active Google » sont des contrats à durée déterminé de 8h par semaine, avec en option la possibilité que l’étudiant paye lui même ses cotisation en tant qu’auto-entrepreneur, et ne soit donc pas salarié de l’entreprise.

Le chercheur en sciences de l’information et de la communication précise dans son billet qu’il a tenté de savoir combien étaient payés les étudiants qui seront coach « Digital active » et n’a pas pu obtenir de réponse.

Il a par contre eu confirmation que toutes ces opérations commerciales (puisque les coach sont en réalité des commerciaux avec obligation de « reporting » à Google) ne coûtent rien à Google, et sont donc financées par l’argent public :

« Par contre je sais que Google ne paie rien aux universités qui lui offrent donc gentiment leurs amphis, leur communication, leurs infrastructures, et le temps de cerveau de leurs étudiants. Et un peu leur âme aussi serais-je tenté de dire avec le mauvais esprit qui me caractérise. En tout cas à l’université de La Rochelle on m’indique de sources raisonnablement sûres que Google n’a rien payé. « 

Les géants du Net sont décidément plein de ressources. Et visiblement, l’Etat français ne rechigne pas à les aider à les faire prospérer…

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