La méthode 4C : communication-confiance-coopération et créativité. L’importance de la communication dans les projets n’est plus à démontrer. Même si elle ne règle pas tous les conflits, par exemple, elle est la base de la confiance puis de la coopération. Ces trois éléments constituent une trilogie qui va caractériser les dimensions humaines du projet :
Table des matières
Phase 1 : intégration humaine
Cette phase constitue, pour tout projet dans ses dimensions humaines, les préalables ou prérequis qui conduiront à asseoir une communication.
Les acteurs du projet ont la même représentation du travail, parlent un langage commun. On s’assure en outre qu’ils ont les « bonnes informations », que les compétences individuelles et collectives sont en adéquation avec les tâches à accomplir et enfin que chaque acteur joue un rôle défini identifié.
Phase 2 : projet au quotidien et construction de la coopération
Cette étape est celle de la construction de la coopération dans « l’usage » ou la vie du projet. Les acteurs font à la fois référence au contrat (la partie explicite ou écrite du projet) et posent les premières briques de la confiance.
Des conflits peuvent surgir, mais les règles de résolution sont en place. Les moyens mis en œuvre permettent l’exécution du travail à faire. La construction de cette coopération est indissociable de l’étape précédente.
Phase 3 : évaluation
Cette phase est à la fois celle de l’issue du projet mais aussi consolide (ou non) la confiance créée tout au long des phases précédentes. La reconnaissance du travail des acteurs est fondamentale.
Elle est différente de la récompense ou rétribution à l’issue du projet. Évaluer objectivement le travail n’est pas évident. À côté d’une mesure objective (objectifs atteints, produit ou service réalisé, etc.), il y a des dimensions subjectives de l’évaluation parce que chaque acteur a une liste de critères d’appréciation plus ou moins personnelle (en plus des critères qu’on peut appeler communs).
L’intérêt de l’évaluation est de poser les jalons d’une coopération future ; pour ce faire, l’harmonisation des points de vue est nécessaire. Chaque acteur précise l’importance qu’il donne à ses critères.
Les bénéfices pour l’acteur dans cette phase peuvent être les connaissances et méthodes apprises, des nouvelles relations professionnelles, « les preuves » de ses compétences envers les autres, etc.
Modèle général 4C
Les trois phases nous conduisent à ce que nous appelons le modèle général 4C. Ces 3 phases du modèle ne sont pas assimilables aux étapes d’un projet tel que défini précédemment. Elles se complètent par un environnement organisationnel propice à la créativité individuelle et collective.
Déploiement du modèle dans le cadre du projet SI
Les difficultés de communication dans le projet de refonte du SI ont été présentées notamment dans les observations des différentes situations entre acteurs.
De l’intégration au projet
Dans le cas concret de mise en œuvre en entreprise, les premiers contacts consistent d’une part à « s’accepter » dans un projet en cours et, d’autre part, contribuent à desserrer les freins et blocages à l’origine des difficultés ambiantes.
Il n’existe pas de méthode ou méthodologie pour intégrer une équipe projet. On est généralement « adoubé » par la hiérarchie, ce qui n’est pas toujours sans conséquences sur l’équipe en place.
La création d’un climat de confiance est la base de la future coopération. Comment alors passer de la méfiance perceptible à l’assurance, puis à la confiance ?
Il est nécessaire de faire adhérer toutes les parties prenantes au projet. Les futurs usagers du système n’ont pas vraiment eu leur mot à dire.
Il est donc impératif de remettre des « outils simples » de la communication. Les réunions avec les salariés, la publicisation dans le journal interne et l’intranet du groupe, le « mot » du DG ont servi de base.
Communiquer sur quoi ?
Les objectifs attendus et même l’après-projet. En effet certains acteurs ont demandé naturellement à être rassurés : cette technologie ne cacherait-elle pas un futur remplacement par la machine (les opératrices téléphoniques par exemple) ?
Ces clarifications (a posteriori) ont été nécessaires dans un environnement projet caractérisé par des blocages. Quelle représentation les protagonistes du projet se faisaient-ils ?
Il n’est pas anodin de se poser cette question car comme le souligne A. Bouzon (2004, p. 129), « la représentation individuelle n’est pas la reproduction fidèle de la réalité mais une construction de celle-ci ».
Les perceptions et représentations de ce projet informatique étaient clairement différentes selon les acteurs :
- les futurs usagers/clients du système étaient convaincus que la technologie ainsi apportée était un travail supplémentaire (de maîtrise), passablement inutile, parce qu’ils estimaient avoir leur « propre quotidien » ;
- l’équipe informatique (MOA/MOE) pensait quant à elle qu’une telle nouveauté ne pourrait qu’être bénéfique à l’entreprise.
À travers de multiples réunions et un accompagnement personnalisé, un langage commun s’est installé sur la vision du projet, ses objectifs.
La méthode 4C
Cette émergence de fonds commun d’évidence a conduit à travailler de façon un peu plus communicative entre l’équipe informatique et les autres acteurs directement impactés par le projet.
Beaucoup de résultats de recherche indiquent que la formation est l’un des éléments les plus importants dans une exécution réussie de projet.
La formation est souvent le lieu pour la communication de la nouvelle stratégie d’organisation, des nouvelles valeurs, des nouveaux outils, et des nouvelles manières d’effectuer le travail.
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Aux compétences métiers de chacun s’ajoutent des compétences à acquérir sur l’utilisation des outils notamment informatiques, sur lesquels sont formés ces acteurs : être capable de faire de la gestion documentaire (création, publication, archivage…) dans la base conçue à cet effet.
De la construction de la coopération
La durée un peu longue montre les freins auxquels ce projet a été confronté malgré les moyens mis en œuvre. Le premier travail a relevé de la simple ingénierie de projet qui consiste à revoir les phases et des jalons pour l’exécution du travail restant à faire.
En effet, certaines années de la vie du projet n’ont pas été un exemple d’organisation. Cette apparente « désorganisation » a cristallisé les freins.
Il a fallu refonder les bases de la coopération entre l’équipe informatique et les autres acteurs du projet.
Parmi ces derniers, certains éprouvaient des difficultés dans la maîtrise de l’outil informatique et la prise en compte de ces difficultés par l’apport d’une aide (formation, accompagnement) fut perçue positivement.
Les réunions programmées pour cet accompagnement constituent un terrain propice à « l’expression libre » sur le projet :
- estimation de la charge de travail restante en fonction de leur niveau d’appropriation de l’outil ;
- présentation des nouveautés et des fonctionnalités du système ; etc.
La clarification des rôles de chacun dans le projet a participé aussi de cette construction de la coopération.
L’instauration d’un dialogue permanent à travers des « forums sur l’informatique », questionnaire anonyme, a fait avancer le projet.
C’est un lieu où la parole est « libérée » pour permettre aux collaborateurs de dire ce qu’ils pensent du projet, comment ils le vivent, la compréhension des tâches à effectuer (plan d’amélioration, indicateurs de performance, etc.)
De l’évaluation du projet
L’évaluation passe par la reconnaissance du travail de chacun. La particularité de ce projet est que cette phase n’a pas été spécialement mise en avant.
L’upgrade du système a certes été obtenu à l’issue du projet mais les perceptions du résultat par les usagers du SI d’une part, l’équipe qualité et la maîtrise d’ouvrage du projet (direction générale), d’autre part, ne sont pas les mêmes : les premiers ont le sentiment d’avoir « été forcés » au résultat et les seconds ainsi que la hiérarchie pensent qu’il s’agit là d’un succès éclatant !
Objectivement, on peut mesurer le résultat obtenu puisque le système marche techniquement ; les indicateurs fonctionnent pour évaluer l’activité.
Cependant il n’est pas possible de savoir quelles ont été pour les usagers/clients, les retombées non mesurables comme l’acquisition de nouvelles compétences, les nouvelles relations professionnelles, etc.
Ce travail de démarche de progrès n’a pas été initié. Il n’est pas non plus possible d’évaluer pour ce projet si la confiance a été consolidée ou non et si des nouveaux jalons d’une future coopération ont été posés. Il s’agit d’une observation qui se fera sur le long terme.
Axe d’amélioration de la méthode
Le modèle n’est pas construit pour résoudre les conflits personnels (la démission d’un certain nombre d’acteurs en est la preuve). Dans ce cas, aucune communication ne saurait être d’une grande efficacité.
En outre, la coopération relève de la volonté ou non de chaque acteur : on peut faire semblant de coopérer.
Une autre amélioration à apporter dans ce modèle est que la cognition individuelle n’a pas été suffisamment développée. La construction du projet est tributaire de la construction de l’identité et du sens par chaque acteur.
Si les trois éléments de la cognition individuelle (information, représentation, évaluation) ont été mis en évidence dans ce modèle, trois autres (décision, émotion, action) demandent à être approfondis.
Conclusion
La place de la communication dans le projet, dès sa genèse, a été fondamentale pour conduire cette concertation puis construire la coopération entre les acteurs impliqués.
Ces éléments ont constitué avec la confiance une « boucle récursive », une trilogie nécessaire pour créer un meilleur environnement de projet.
De cet environnement nous avons fait l’hypothèse qu’il contribue d’une part à desserrer les freins naturellement inhérents à la composante humaine dès lors qu’il s’agit d’outils de changement organisationnel en particulier l’utilisation du numérique par le client (usager) de l’entreprise.
Comme souvent, les outils de communication mis en œuvre, notamment le modèle 4C, n’ont pas pesé sur l’ingénierie et le pilotage de projet. Ce travail a contribué à montrer qu’il en est pourtant bien ainsi.
Notes
Ces expériences sont connues sous le nom d’expériences de Hawthorne du nom de l’usine ; elles se sont déroulées entre 1927 et 1929. L’équipe Mayo en conclut que l’estime de soi, la cohésion étaient plus importantes pour la productivité que l’état matériel de l’environnement de travail. C’est la rupture avec les hypothèses de Taylor qui étaient basées sur l’intérêt individuel. C’est aussi la naissance de l’école des relations humaines.
Abraham Maslow (1908-1970) classe les besoins des individus suivant une pyramide de cinq niveaux qui va des besoins physiologiques nécessaires à la survie humaine (boire, manger, etc.) aux besoins d’accomplissement de soi comme besoins les plus élevés à satisfaire. Ce modèle a été critiqué pour sa linéarité, et même sa légitimité a été contestée.
La société de l’information, glossaire critique, p. 87, La documentation française.
Selon Mélèse, « il s’agit de caractériser l’unité comme un élément de l’organisation elle-même, considéré comme un système informationnel : idéalement, il faudrait repérer les productions et échanges de significations entre l’unité d’une part, l’organisation et l’environnement d’autre part, afin dévaluer le système d’information comme l’ensemble de ces significations » (Mélèse, 1979, 30).
Des nombreuses publications dans ce domaine (Volle et al, 2003, Morley et al, 2002) montrent le rôle vital de l’urbanisation des SI dans les stratégies des entreprises. Ces SI doivent justement être en phase avec l’évolution constante des marchés, la recherche d’une compétitivité toujours plus forte.
Le Moigne, 1973 ; B. Guyot, 2004.
L’interlocution client consiste à (re) placer le client au cœur de la stratégie de l’entreprise et surtout de son système d’information. Concernant l’IRCEM l’interlocution client devrait permettre au groupe de connaître ses clients afin de leur proposer des produits adaptés et leur rendre les services attendus. Cette démarche contribuerait « à la simplification des démarches administratives de tout adhérent du groupe, au développement de l’image du groupe, à augmenter la productivité, etc. » (Source : note de lancement du projet).
La première véritable étude sur la difficulté des projets informatiques est celle de Frederick Brooks à travers l’ouvrage The Mythical Man-Mont: Essays on Software Engineering (1975) où pour endiguer la dérive coûteuse du projet de système d’exploitation, IBM a cru bon d’ajouter d’autres personnes puisque le projet était estimé en jours-hommes, ce qui ne fit qu’empirer la situation. Il en est de même dans les projets multimédias (Durand et al., 1997 ; Huart et al., 2000).
Avant les années 1980, on parlait de directeur informatique (appellation moins prestigieuse que DSI). L’appellation DSI est récente et, au début, la fonction était considérée comme une voie de garage, car on ne savait pas à quoi correspondait exactement un DSI. Aujourd’hui les entreprises attendent du DSI qu’il soit « visionnaire, bâtisseur, réformateur, conducteur de changement, etc. » !
Les fonctions de l’informatique regroupent une nébuleuse d’une trentaine de métiers selon le Club informatique des grandes entreprises de France (CIGREF) en 2003. Ces métiers sont sans cesse réactualisés, souvent nés avec la technologie en vogue.
À l’image d’autres projets-phares comme la certification ISO, le projet Pi.com, l’informatique du groupe en général, est le domaine réservé du Directeur général adjoint.
Colloque « Du Mépris à la Confiance, de nouveaux comportements pour faire face à la complexité » organisé par l’Université de Technologie de Compiègne (TSH/IDTH), sous la direction de G. Le Cardinal et de J.F. Guyonnet en 1991.
Groupe américain de courtage en énergie qui a fait faillite alors qu’il jouissait de la confiance des actionnaires, qui faisaient aussi confiance au cabinet d’audit censé déceler les irrégularités financières et comptables.
Mis en ligne sur Cairn.info le 29/06/2011