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Visiter l’Alabama, c’est replonger dans les souffrances de la communauté noire américaine et dans les combats de Rosa Parks et de Martin Luther King, qui sont encore loin d’être terminés. Qu’en est-il aujourd’hui? Incursion.

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Bienvenue à Montgomery, capitale de l’Alabama. Où que vous alliez dans ce centre-ville en pleine renaissance, vous tombez à chaque coin de rue sur un segment de l’histoire des Noirs. Comme en témoigne cette affiche.

Cette plaque historique souligne l’existence de marchés d’esclaves à Montgomery. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Cette plaque historique souligne l’existence de marchés d’esclaves à Montgomery. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Imaginez : en 1850, des esclaves noirs enchaînés, mis à l’encan et envoyés dans les plantations de coton. « On pouvait acheter des gens dans cette rue », rappelle Tricia Crowley, qui vit à Montgomery depuis 40 ans.

Et à quelques enjambées de là, la première Maison-Blanche des États confédérés, ces États du Sud qui ont déclenché la guerre civile avec le Nord, sur fond d’esclavagisme.

Montgomery a été pendant quelques mois la première capitale des États confédérés. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Montgomery a été pendant quelques mois la première capitale des États confédérés. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Et entre les deux, l’église baptiste de Dexter Avenue : un véritable temple des mouvements de lutte de la communauté noire.

La première église où Martin Luther King a prêché, à Montgomery. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
La première église où Martin Luther King a prêché, à Montgomery. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

J’ai eu la chance de visiter cette église le 15 janvier dernier, jour férié en l’honneur de Martin Luther King. Il faut savoir que le grand leader noir, celui qui a dit « I have a dream » (j’ai un rêve) a commencé sa carrière de pasteur ici.

Beaucoup de monde à la commémoration de la naissance de Martin Luther King. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Beaucoup de monde à la commémoration de la naissance de Martin Luther King. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Pendant 90 minutes, on a joué du jazz, chanté et réfléchi sur l’héritage de M. King. Cinquante ans après son assassinat, le 4 avril 1968, le conseiller municipal de Montgomery, Elton Dean, a livré un bilan mitigé.

Je me demande comment le docteur King se sentirait aujourd’hui. Je pense que beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui aux États-Unis ne le rendraient pas très heureux. Beaucoup d’entre nous pensent que nous avons gagné, mais nous n’avons pas gagné.
Elton Dean, conseiller municipal de Montgomery
Elton Dean, élu municipal de Montgomery, et Todd Strange, maire de Montgomery, commémorent la naissance de Martin Luther King. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Elton Dean, élu municipal de Montgomery, et Todd Strange, maire de Montgomery, commémorent la naissance de Martin Luther King. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Et après Martin Luther King, pourquoi pas Rosa Parks? Cette jeune femme a lancé une révolution, le 1er décembre 1955, en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un autobus.

Une sculpture de Rosa Parks sur son banc d'autobus Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Une sculpture de Rosa Parks sur son banc d’autobus Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

À Montgomery, on trouve un musée Rosa Parks, qui nous fait revivre les années de la ségrégation, qui ont duré presque un siècle.

« Tout était séparé, il y avait des buvettes pour Noirs, des toilettes pour Noirs, des cinémas, même des trottoirs. C’est une honte », estime l’enseignante de français à la retraite Tricia Crowley.

Même les autobus étaient « ségrégués ».

Des places à l’avant pour les Blancs, à l’arrière pour les Noirs. Et c’est là que Rosa Parks prend toute son importance. Alors qu’un Blanc lui a demandé de lui donner sa place, elle a répondu « non ».

Elle a été arrêtée par le chauffeur d’autobus (parce qu’à cette époque, les chauffeurs disposaient d’armes à feu et de pouvoirs policiers).

Mais cela a déclenché le boycottage des autobus par la communauté noire, qui a mené à la première grande victoire du mouvement de lutte pour les droits civiques.

Le musée Rosa Parks vous fait revivre son voyage en autobus et son arrestation. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Le musée Rosa Parks vous fait revivre son voyage en autobus et son arrestation. Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Des milliers de personnes visitent chaque année le musée Rosa Parks, qui est géré par l’Université Troy de Montgomery. Ce musée très interactif vous plonge au cœur de l’époque de la ségrégation et du « racisme vicieux », comme le disait Martin Luther King dans son discours célèbre de 1963.

Et l’année suivante, le président Lyndon B. Johnson faisait adopter la loi des droits civiques, qui abolissait la ségrégation. Mais il y a les lois et les mentalités.

Être Noir en Alabama aujourd’hui, c’est comment?

Ces deux photos, de deux époques, en disent long :

Crimson Tide, l'équipe de football de l’Université de l’Alabama, s'est complètement transformée en 50 ans. Photo : Université de l’Alabama
Crimson Tide, l’équipe de football de l’Université de l’Alabama, s’est complètement transformée en 50 ans. Photo : Université de l’Alabama

L’équipe de football de l’Université de l’Alabama en 1967. Toute blanche! Ça a duré jusqu’en 1970. Celle qui vient de gagner le championnat américain est bien différente, mais ça ne signifie pas que tout est réglé.

Deux juristes, un Blanc et un Noir, en témoignent.

Bill Baxley, avocat et ex-procureur général de l’Alabama Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Bill Baxley, avocat et ex-procureur général de l’Alabama Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

« Je suis né en Alabama et j’ai fait toutes mes études dans les écoles où sévissait la ségrégation, sauf ma dernière, où l’Université de l’Alabama a accepté ses deux premiers étudiants noirs », raconte Bill Baxley, avocat et ex-ministre de la Justice.

Bill Baxley est devenu célèbre en Alabama en poursuivant des membres du Ku Klux Klan, qui avaient déclenché une bombe dans une église noire de Birmingham en 1968, et tué quatre jeunes filles. Il aura fallu plus de 30 ans avant de les faire condamner.

« Quand j’étais jeune, je n’aurais même pas osé rêver que Blancs et Noirs se côtoieraient dans les mêmes restaurants, les mêmes jurys et les mêmes bureaux, raconte l’homme de 80 ans. Ce n’est pas fini, mais c’est un changement majeur. »

Myron Thompson, juge à la Cour fédérale de l'Alabama Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque
Myron Thompson, juge à la Cour fédérale de l’Alabama Photo : Radio-Canada/Michel Labrecque

Je n’aime pas qu’on dise que, parce que je suis Noir, je pense comme ceci ou comme ça.

Myron Thompson
« Je suis un optimiste, mais aussi un réaliste », dit pour sa part Myron Thompson, 71 ans. Il a grandi en Alabama à l’époque de la ségrégation et il a dû s’expatrier au Nord pour aller à l’université. Et il a fini par devenir juge en Alabama, en siégeant à la Cour fédérale.

Quand même, Myron Thomson a contribué à transformer la situation des Noirs par certaines de ces décisions. Il a modifié les lois électorales pour faciliter l’élection de centaines de Noirs à différents postes ou encore à rendre inconstitutionnelle une loi de l’Alabama qui permettait aux policiers de tirer sur quelqu’un qui s’enfuit en courant.

« La ségrégation économique a remplacé la ségrégation légale », estime-t-il. Et les écoles publiques, où se retrouve une grande majorité de Noirs, « sont une faillite ». Bien sûr, les écoles ne subissent plus la ségrégation raciale, mais la majorité des Noirs habitent toujours dans des quartiers pauvres. « Et les meilleurs enseignants ou directeurs noirs se retrouvent dans des écoles blanches », conclut-il.

Certes, des avancées pour les Noirs de l’Alabama, il y en a eu, mais la bataille est loin d’être terminée.

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