Plusieurs études publiées dans deux revues prestigieuses, Science et Nature, font état d’une découverte majeure dans le domaine de la biochimie humaine qui pourrait avoir des applications cliniques dans le futur.

[EN VIDÉO] Interview : le microbiote intestinal, allié indispensable du système immunitaire Le microbiote intestinal regroupe l’ensemble des microbes présents dans notre intestin. Il permet un bon fonctionnement ainsi qu’une certaine protection du côlon. Gerard Eberl, responsable de l’unité Micro-environnement & Immunité à l’Institut Pasteur, nous en dit plus au cours de cette interview.

Imaginez qu’on connaisse tous les mécanismes (dans le paradigme réductionniste de la biologie) d’une voie d’expression protéique impliquée dans les maladies auto-immunes et inflammatoires, le cancer et la sénescence. Depuis le 10 septembre 2020, c’est le cas.

Cinq études publiées dans les revues Science et Nature font état de cette découverte majeure dans le domaine de la biochimie humaine.

Pour nous aider à bien comprendre les implications de ces résultats, nous avons interviewé Nicolas Manel, directeur de recherche à l’Institut national de la science et de la recherche médicale (Inserm), chef d’équipe à l’Institut Curie au département immunité et cancer.

Son laboratoire s’intéresse notamment aux relations entre les virus et le système immunitaire. Actuellement, son équipe travaille sur un projet de recherche visant à mieux comprendre comment nos cellules détectent les virus, c’est-à-dire comment une cellule se rend compte qu’elle est infectée. Ces travaux concernent directement les mécanismes de reconnaissance cellulaire du soi et du non-soi.

Une petite rétrospective de la découverte

Pour bien comprendre, mieux vaut commencer par le début. On sait depuis bien longtemps que du matériel génétique repéré dans le cytosol – le liquide dans lequel baignent les petits composants, aussi appelés organites, de nos cellules – engendre la production de marqueurs de l’inflammation et d’acteurs du système immunitaire comme les interférons (les interférons, nous en avons parlé très longuement un article précédent) et les cytokines.

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Depuis 2009, on en sait un peu plus. Une protéine nommée STING pour Stimulator of Interferon Gene est essentielle à la production des interférons.

Autrement dit, si on bloque son expression, pas d’interféron. C’est en 2013 qu’on avance un peu plus dans la compréhension complexe du mécanisme. On remarque qu’une protéine, qui se trouve dans le cytosol, synthétise un nouveau messager lorsque de l’acide désoxyribonucléique (ADN) est détecté.

Elle est nommée cGAMP, parce qu’elle est produite à partir du Guanine triphosphate (GTP) et de l’Adénosine triphosphate (ATP).

Cette dernière se lie à la protéine STING pour activer un facteur de régulation : IRF3 pour Interferon Regulatory Factor 3. La même année, on appréhende enfin les tenants et les aboutissants du mécanisme biologique.

On découvre que c’est l’expression d’une enzyme en amont, que l’on nomme cGAS, dont tout le reste découle. Dans l’ordre, cela donne ceci : la présence d’ADN dans le cytosol active cGAS qui produit cGAMP. cGAMP se lie à STING et active la voie de transcription IRF3 dont découle la sécrétion d’interférons et de cytokines, et la boucle est bouclée !

Passons maintenant à la découverte.

La voie d’expression cGAs est maintenant totalement connue dans le paradigme de la biologie actuelle. @ natali_mis, Adobe Stock

Dans le noyau, l’histoire d’amour entre cGAS et la chromatine

Futura : Pouvez-vous nous parler plus en détail de cette découverte ?

Nicolas Manel : Avant toute chose, il faut bien se rappeler que la détection des virus à ADN par des organismes est une chose universelle dans le vivant.

Des enzymes de restriction sont présentes chez des bactéries pour réaliser cette tâche. La voie CRISPR/Cas9, maintenant bien connue car utilisée en génie génétique, possède aussi cette fonction antivirale. Chez les mammifères, c’est cette voie dont vous parlez au-dessus qui détecte l’ADN d’un virus infectant une cellule.

Entre 2009 et 2018, on pense que tout se passe dans le cytosol, comme le suggèrent les études que vous avez mentionnées. Avec mon laboratoire, en 2018-2019, nous avons apporté de nouvelles données dans l’équation qui sont venues remettre en question la simplicité du mécanisme. On a montré que la moitié de cGAS se trouvait en réalité dans le noyau.

Dès lors, une question cruciale se pose : comment cGAS fait-elle la différence entre l’ADN du noyau (l’ADN du soi) et un ADN extérieur qui vient infecter la cellule ? En fait, ces données n’étaient pas très étonnantes.

Biologie une découverte qui pourrait révolutionner le traitement de nombreuses maladies
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Beaucoup de virus à ADN viennent se répliquer dans le noyau. Il est donc assez logique de postuler qu’il existe certainement des moyens de détection dirigés contre l’ADN viral dans le noyau.

Nous avons publié un papier dans la revue Cell, en 2018, qui démontre que le virus d’immunodéficience humaine (VIH) peut être détecté par cGAS dans le noyau.

En effet, il existe une différence majeure entre l’ADN viral et notre ADN. Celui du virus est nu tandis que le nôtre est lié à des protéines appelées histones, ce qui forme (en partie) ce que l’on appelle la chromatine.

Suite à cela, il a fallu comprendre le mécanisme de régulation de cGAS, c’est-à-dire, par quel mécanisme il s’exprime ou s’inhibe. En réalité, cGAS est lié aux histones 2A et 2B, et c’est pour cela qu’il ne se déclenche pas contre notre ADN.

Les travaux publiés la semaine dernière apportent la confirmation structurale, c’est-à-dire que l’on peut maintenant voir le mécanisme directement à l’œuvre.

Futura : Cette découverte ouvre-t-elle la voie de la recherche clinique ? Il a été montré que cette voie biochimique était impliquée dans le cadre de maladies auto-immunes, de cancers et de déclin cognitif.

Nicolas Manel : La voie vers la recherche clinique est déjà ouverte depuis un moment. cGAS est une cible majeure. Comme vous le soulignez, sa stimulation pourrait servir pour certaines immunothérapies cancéreuses, mais aussi contre des maladies infectieuses ou encore comme vaccin afin de simuler la production d’interférons.

Notre laboratoire collabore avec une start-up, Stimunity, dans le cadre de nos recherches cliniques. D’ailleurs, utiliser la voie cGAS est en cours d’étude pour servir de vaccin contre le SARS-CoV-2.

À l’inverse, son inhibition pourrait potentiellement servir chez certaines maladies rares de l’enfant ou dans le cadre de maladies inflammatoires, comme le lupus, afin de réduire la production d’interférons. Des études sont déjà publiées concernant des inhibiteurs de STING chez le modèle animal.

Chez l’Homme, il existe des molécules à l’étude dans le cadre d’essais cliniques de phase 2, notamment des activateurs de STING pour les immunothérapies.

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