Le projet de loi sur la protection des données personnelles, adopté début février par les députés, prévoit dans un amendement l’instauration d’un âge minimum légal en dessous duquel les adolescents devront avoir l’autorisation de leurs parents pour ouvrir un compte sur un réseau social.

Exercice de simulation. Votre fils, 13 ans, 3 mois et 10 secondes, vous tanne depuis un nombre incalculable de jours pour qu’il ait enfin l’autorisation d’aller rejoindre ses potes sur Facebook.

Vous vous dites qu’il est encore jeune, mais bon, que c’est normal, les ados veulent un peu d’indépendance, mais bon, Facebook quand même c’est étonnant comme demande pour un millenial plus prompt à envoyer des photos sur Snapchat.

Vaille que vaille, vous acceptez à la condition qu’il s’inscrive en votre présence, histoire de contrôler un tant soit peu les informations personnelles qu’il dissimule. Et il a de la chance, car pour l’instant le réseau social exige de lui-même un âge minimum de 13 ans tout rond pour y ouvrir un compte.

Cependant, cela devrait bientôt changer. Adopté début février en première lecture par les députés, un amendement au projet de loi sur la protection des données personnelles prévoit l’instauration d’une «majorité numérique» à 15 ans.

Autrement dit, en dessous de cet âge minimum légal, un adolescent devra avoir l’autorisation de ses parents ou de ses tuteurs légaux pour s’inscrire sur une plateforme, que ce soit Facebook, Snapchat, YouTube ou Instagram.

«L’objectif, c’est de s’assurer que lorsqu’un mineur donne son consentement, il soit conscient de l’usage de ses données personnelles par une plateforme numérique, résume la députée En marche Paula Forteza, rapporteure du projet de loi. Après plusieurs auditions, on a considéré qu’à 15 ans, on a atteint ce niveau de compréhension.»

Interdiction de collecter les données

Mais revenons au principe. Qu’entend-on par «majorité numérique» et d’où cela vient-il ? Il faudrait déjà parler de l’existant, ou plutôt de l’inexistant : le droit français ne fait en effet pas de différence entre les données personnelles des mineurs et celles des majeurs.

Cependant, en vertu du Children’s Online Privacy Protection Rule américain de 1997, plusieurs fois révisé, les plateformes numériques à l’image de Facebook ont interdiction de collecter les données des mineurs de moins de 13 ans.

C’est donc pour cela que le réseau social a mis en place une politique d’inscription avec un âge minimum légal au-dessus duquel le consentement des parents n’est plus requis.

Entre-temps, l’Union européenne s’est préoccupée du sort de nos données personnelles semées en ligne.

En 2016, la Commission européenne en effet adopté le RGDP, soit le règlement général sur la protection des données personnelles en Europe, qui impose aux États membres, à partir de son entrée en vigueur le 25 mai prochain, la mise en place d’un âge minimum requis – entre 13 et 16 ans – afin de protéger la navigation des mineurs.

D’où la proposition de révision de la loi informatique et libertés de 1978 pour entrer en conformité avec le droit communautaire.

«On s’est entendu sur l’âge de 15 ans car cela permet d’homogénéiser avec la majorité sexuelle, cela correspond à l’entrée au lycée, un moment où les jeunes peuvent comprendre les tenants et aboutissants de leur présence en ligne», précise encore Paula Forteza, malgré les débats vifs sur le seuil à donner à cette «majorité numérique».

Toutefois, ne fallait-il pas fixer cet âge minimum à partir de la réalité des usages numériques des adolescents, en particulier des 11-14 ans, massivement inscrits sur les réseaux sociaux comme l’ont soulevé les députées macroniste Christine Hennion et insoumise Danièle Obono ?

D’après plusieurs études de l’association Génération numérique et de la CNIL, plus de 60 % des 11-14 ans sont en effet inscrits sur au moins un réseau social : l’accord obligatoire de leurs parents entre 13 ans et 15 ans changera-t-il le rapport des ados à leurs traces numériques ?

Je défends l’option de fixer la majorité numérique à treize ans. Ceci permettrait de prendre en compte la réalité de l’accès au numérique des adolescents: 75% des 11-14 ans disposent d’un terminal connecté #mesdonneesperso#RGPD#DirectAN – 2/3 pic.twitter.com/zaxq8YeR9b
— Christine Hennion (@Ch_Hennion) 7 février 2018

Cyril di Palma, délégué général de l’association Génération numérique, en doute, même s’il souligne l’«enjeu de la protection» des données des mineurs, jusqu’à présent à la merci des grandes plateformes qui peuvent les cibler abondamment en publicité.

«Comment le contrôle du double consentement, des parents et de l’adolescent sera-t-il fait, et comment l’État et les plateformes vont-ils vérifier que les parents ont bien donné leur autorisation ? s’interroge-t-il. Qu’est-ce qui se passe pour les mineurs qui mentent sur leur âge au moment de s’inscrire ?»

«Une fausse promesse»

Car, selon les associations de protection de l’enfance, comme e-Enfance, en soi, le principe «louable» de «majorité numérique» ne fait que déplacer le problème.

«Cette mesure, qui a vocation à être protectrice, est une fausse promesse. Elle va faire croire aux parents qu’ils auront les moyens de protéger leurs enfants sur les réseaux sociaux, alors qu’il n’en est rien, soutient par exemple Justice Atlan, la directrice de cette association auditionnée par les parlementaires dans un entretien à la Croix.

L’illusion de règles incontournables risque même d’avoir des effets pervers en mettant les parents à distance des usages numériques.»

De son côté, la rapporteure du texte avance que les plateformes ont déjà pris les devants en réfléchissant à des fonctionnalités pour répondre aux nouvelles obligations, notamment à partir d’outils qui permettraient de vérifier des documents d’identité.

Autre solution avancée, la possibilité pour la CNIL de sanctionner lourdement les entreprises qui ne respectent pas la «majorité numérique» requise pour accéder à leurs services.

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