Des manifestants brandissent des portraits du président d'Amnesty international en Turquie, Taner Kiliç, pour demander sa libération, devant l'ambassade turque à Berlin, le 15 juin 2017
Des manifestants brandissent des portraits du président d'Amnesty international en Turquie, Taner Kiliç, pour demander sa libération, devant l'ambassade turque à Berlin, le 15 juin 2017

Un tribunal d’Istanbul a décidé jeudi de maintenir en détention le président d’Amnesty International en Turquie, dans un revirement spectaculaire moins de 24 heures après avoir ordonné sa remise en liberté conditionnelle, contestée par le parquet.

Taner Kiliç a été arrêté en juin 2017. Il est incarcéré depuis, accusé d’appartenir au mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau du putsch manqué de l’été 2016, ce qu’il nie fermement.

Lors d’une audience de son procès mercredi, un tribunal d’Istanbul avait ordonné sa remise en liberté conditionnelle, au grand soulagement de ses proches et d’Amnesty international.

Mais au terme d’un imbroglio judiciaire difficile à démêler, la même cour a décidé jeudi de le maintenir en prison pendant la durée du procès.

« Le tribunal d’Istanbul a maintenant annulé sa propre décision de libération prise hier. Taner restera en détention préventive », a tweeté Andrew Gardner, chercheur spécialiste de la Turquie à Amnesty basé à Istanbul.

M. Kiliç avait été emmené dans la nuit de sa prison d’Izmir (ouest) à une gendarmerie, pour être à nouveau placé en garde à vue.

Le procureur avait en effet fait appel de la décision rendue plus tôt auprès d’un autre tribunal qui a accédé à sa demande. Le tribunal d’Istanbul qui avait initialement ordonné sa libération, s’est plié à cette décision, a expliqué M. Gardner à l’AFP.

« Le tribunal a changé d’avis… Pourquoi ? Qui sait, aucune raison n’a été donnée », a tweeté Gauri van Gulik, directrice du programme Europe à Amnesty International.

Mme van Gulik a annoncé dans la foulée qu’elle allait être reçue par le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu à Ankara. « Ce qui sera à l’agenda est clair », a-t-elle ajouté.

– ‘Simulacre de justice’ –

Ce coup de théâtre n’est pas sans rappeler le rejet, en janvier, par deux tribunaux d’Istanbul d’une décision de la Cour constitutionnelle turque ordonnant la remise en liberté conditionnelle de deux journalistes et écrivains, Sahin Alpay et Mehmet Altan, arrêtés et écroués dans la foulée du putsch avorté de juillet 2016.

Le militant allemand des droits de l'Homme Peter Steudtner of Germany quitte la prison de Silivri à Istanbul après sa mise en liberté, le 26 octobre 2017
Le militant allemand des droits de l’Homme Peter Steudtner of Germany quitte la prison de Silivri à Istanbul après sa mise en liberté, le 26 octobre 2017

Inédite depuis l’instauration de l’état d’urgence fin juillet 2016, cette décision de la Cour constitutionnelle avait suscité un bref optimisme des organisations de défense des droits de l’Homme, mais les deux hommes sont encore derrière les barreaux.

M. Kiliç est jugé avec dix autres militants des droits de l’Homme, tous en liberté conditionnelle, dont la directrice d’Amnesty en Turquie, Idil Eser, un ressortissant allemand, Peter Steudtner, et un activiste suédois, Ali Gharavi. Ils sont accusés d’avoir aidé trois « organisations terroristes »: le mouvement du prédicateur Gülen, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et un groupuscule d’extrême gauche appelé DHKP-C.

En juillet dernier, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait publiquement accusé les militants arrêtés d’activités s’inscrivant « dans la continuité du (putsch manqué du) 15 juillet ».

Ce procès, dont la prochaine audience doit avoir lieu le 21 juin, a renforcé l’inquiétude quant à l’érosion des libertés en Turquie depuis la tentative de putsch, à la suite de laquelle 55.000 personnes ont été arrêtées, dont des journalistes critiques et des acteurs de la société civile.

« C’est le dernier exemple en date de la crise du système judiciaire turc qui ruine des vies et ébranle le droit à un procès équitable », à déclaré dans un communiqué le Secrétaire général d’Amnesty, Salil Shetty, qui dénonce « un simulacre de justice ».

M. Kiliç est notamment accusé d’avoir utilisé ByLock, une application de messagerie cryptée qu’Ankara considère comme le moyen de communication privilégié des putschistes et qui sert d’élément à charge dans plusieurs procès liés au coup d’Etat manqué.

Il a toujours démenti avoir téléchargé cette application, et Amnesty affirme avoir présenté à la justice plusieurs expertises démontrant qu’il n’y avait aucune trace de ByLock sur son téléphone.

« La France a appris avec une vive préoccupation le maintien en détention de M. Taner Kiliç », a réagi la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Agnès von der Mühll. « Nous continuons à demander sa libération rapide ».

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