En Côte d’Ivoire, ils étaient ministres, chargés de mission, porte-parole. Il s’agit des pro-Gbagbo exilés au Ghana. Ils ont côtoyé et soutenu l’ancien président, avant d’être entraînés dans sa chute… À Accra, où ils ont trouvé refuge, tous disent craindre pour leur sécurité. Et se préparent à un long – très long – séjour.
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Pro-Gbagbo exilés au Ghana
Une chemise défraîchie, un jean délavé et une barbe de deux semaines. Ancien chargé de mission de Laurent Gbagbo, ex-président des Jeunes patriotes à Man, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, Évariste Yaké a troqué ses costumes griffés contre des vêtements plus ordinaires.
Il est arrivé à Accra, la capitale du Ghana, quelques jours après la chute de l’ancien président ivoirien, le 11 avril.
Depuis, raconte-t-il, il vit « dans une famille d’accueil » – comprendre : il est hébergé par un ami. Sur la manière dont il est arrivé au Ghana et l’endroit où il vit désormais, il ne souhaite pas en dire plus. Comme beaucoup, Évariste Yaké craint pour sa sécurité.
Ce matin, il a rendez-vous avec Amos Beonaho, ex-président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), à Accra Mall, un centre commercial devenu le lieu de rencontre privilégié de ceux qui, longtemps, furent des inconditionnels de Laurent Gbagbo.
Beonaho arrive à bord d’un véhicule immatriculé en Côte d’Ivoire. Au volant, Olivier Yro, ex-président de l’Union des journalistes culturels de Côte d’Ivoire et ancien directeur de la communication du maire (refondateur) de la commune de Marcory, à Abidjan.
Yro et Beonaho se disent très préoccupés par les difficultés que rencontre la vingtaine de journalistes pro-Gbagbo qui a trouvé refuge à Accra et à Lomé (Togo).
Meubles et bijoux
Le malheur de Beonaho ? Avoir été nommé en février, en pleine crise postélectorale, au Conseil national de la presse (CNP, organe de régulation de la presse).
En théorie, une belle promotion. Dans les faits, rien de très significatif. « Je n’ai même pas touché mon premier salaire en tant que membre du CNP », assure-t-il.
À Accra, il vit seul. Quelques jours avant sa fuite, il a vendu précipitamment – et à bas prix – « [ses] voitures, [ses] meubles et les bijoux de [sa] femme ».
Son épouse, ancienne directrice locale de campagne de Gbagbo à Bangolo, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, a été arrêtée à Abidjan puis libérée, avant de réussir à obtenir un visa pour la France.
Parce que leurs avoirs ont parfois été gelés et que plusieurs d’entre eux sont dans la ligne de mire du procureur de la République d’Abidjan, Simplice Kouadio Koffi, aucun n’envisage pour l’instant de rentrer au pays.
Vingt-quatre proches de Gbagbo ne les ont pas rassurés
La mise en examen et le transfert à la prison de Boundiali (nord de la Côte d’Ivoire), le 9 juillet, de vingt-quatre proches de Gbagbo ne les ont pas rassurés.
Pourtant, affirme Benoît Kamena Brown, « le gouvernement sait bien que nous avons quitté le pays parce que nous étions menacés ou pourchassés, et que nous souffrons loin de la Côte d’Ivoire. Il doit nous aider à rentrer ».
Autrefois homme d’affaires prospère, Benoît Kamena Brown était un ami personnel de Laurent Gbagbo. Il gérait la célèbre « baie des milliardaires » de l’île Boulay, à Abidjan, et vient de fonder l’Association des réfugiés ivoiriens de la diaspora (Arid).
Pour le rencontrer, il faut s’enfoncer dans le quartier populaire de Kaneshie, à Accra. Il y vit avec femme et enfants « dans une villa appartenant à un ami ».
Accrochés aux rétroviseurs de sa voiture : deux petits drapeaux – un ivoirien, un ghanéen. Preuve peut-être qu’il commence à se faire à l’idée de rester.
Oeil pour oeil
Plus personne ne croit aux promesses de Koné Malachie et Moïse Koré, deux pasteurs évangélistes – eux aussi réfugiés à Accra – qui annonçaient un retour rapide (trente-trois jours) de Gbagbo au pouvoir.
Tous se préparent à un exil long et difficile. « Si nous ne faisons rien pour aider nos compatriotes, ils mourront de faim et de maladie.
Certains dorment dans des marchés, d’autres sous des échangeurs routiers, s’indigne Brown. Ce n’est pas l’image que Houphouët-Boigny aurait voulu donner de notre pays. »
Le discours de l’Arid demeure toutefois mesuré. Rien à voir avec celui de la Coalition internationale pour la libération de la Côte d’Ivoire (Cilci), créée par Touré Moussa Zéguen, le chef de la principale milice pro-Gbagbo, le Groupement des patriotes pour la paix (GPP).
Son nouveau mouvement, explique-t-il, a une vocation révolutionnaire : « Ce sera œil pour œil, dent pour dent. »
Lui dit avoir fui Abidjan après la chute de Gbagbo « à bord d’une pirogue et après avoir enjambé des corps ».
Son lieu de résidence, il préfère le garder secret, tout comme celui de Pasteur Gammi, patron du Mouvement ivoirien de libération de l’ouest de la Côte d’Ivoire (Miloci), qu’il a retrouvé à Accra.
Dans un accès de colère mal contenue, Zéguen dit « comprendre Ben Laden et tous les terroristes qui refusent la compromission avec le système occidental corrompu ».
Ira-t-il jusqu’à prendre les armes pour atteindre son objectif ? Il assure que non. Il dit se rendre régulièrement à Lomé et à Cotonou (Bénin), mais nie être en contact avec les anciens officiers de Gbagbo exilés à Accra.
Poudre d’escampette
Pour Ouattara Gnonzié, dernier ministre de la Communication de Gbagbo, « les nouvelles autorités à Abidjan n’ont pas fait en sorte que les responsables de l’ex-majorité présidentielle soient en sécurité.
Rester en Côte d’Ivoire ou y retourner serait totalement suicidaire ». Au maquis Tantie Marie, ce proche de Laurent Dona Fologo (l’ancien président du Conseil économique et social) évoque, les yeux humides, sa sortie d’Abidjan et le pillage de sa luxueuse villa des Deux-Plateaux.
« Je n’ai jamais songé que je serais un jour en exil et que cela durerait plus de trois mois », avoue-t-il.
Aucune des personnes rencontrées n’admet préparer ou même être favorable à un coup de force contre le nouveau chef de l’État ivoirien, mais tous mettent en garde : trop de frustration peut mener à la rébellion.
C’est ce que pense Justin Koné Katina, ex-ministre chargé du Budget de Laurent Gbagbo. Lui est en grande forme et reçoit, dans un costume bleu taillé sur mesure, à l’hôtel Mövenpick d’Accra.
« La chambre a été réservée pour moi par un chef d’État qui n’est même pas africain, afin que je puisse accorder des interviews », claironne-t-il.
Il rit des rumeurs de complots qui seraient préparés depuis le Ghana (rumeurs relayées par la presse ivoirienne), et dit « proscrire les coups d’État. Ce n’est ni dans ma philosophie politique, ni dans celle de Laurent Gbagbo ».
La justice ivoirienne l’accuse d’avoir conduit les opérations de nationalisation forcée de l’agence nationale de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et des filiales locales des banques françaises Société générale et BNP Paribas.
Un mandat d’arrêt a été émis contre lui. Redoute-t-il une extradition ? « Je crois que l’hospitalité du peuple ghanéen est profonde. Je n’ai aucun souci à me faire sur cette question. »
Assoa Adou, ex-ministre des Eaux et Forêts de Gbagbo, se montre moins sûr de lui. À Accra, il est devenu le porte-parole de la coordination du Front patriotique ivoirien (FPI) en exil.
Il rencontre fréquemment Lia Bi Douayoua, ancien ministre de la Communication, mais décline les demandes d’interview de peur que ses propos ne soient mal interprétés – d’autant que « la situation évolue en Côte d’Ivoire ».
« Beaucoup des proches de Gbagbo ne veulent peut-être pas collaborer avec Ouattara, ajoute un ancien de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). Mais ils ne veulent pas aller à la confrontation et souhaiteraient même que Ouattara leur évite des tracasseries. »
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Parce qu’il est né à Abengourou, dans l’est de la Côte d’Ivoire, Assoa Adou s’exprime couramment en ashanti, l’une des langues les plus parlées ici.
Avec son boubou fabriqué dans le nord du pays, on le prendrait presque pour un Ghanéen. Un camouflage réussi dont rêveraient beaucoup de refondateurs exilés.