Ramadan 2022 au rythme de l’inflation des prix en Afrique

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Le ramadan au rythme de l’inflation. Alors que dans certains pays voisins le jeûne musulman a débuté le 2 avril 2022, les fidèles au Burkina Faso ont dû attendre le lendemain. Mais devant une inflation dictée par l’insécurité, le Covid-19 et tout récemment une conjoncture internationale avec la guerre en Ukraine, il y en a qui auraient demandé le report du ramadan 2022 si cette possibilité était discutable.

Ramadan au rythme de l’inflation des prix en 2022

En cause, l’inaccessibilité des denrées alimentaires, pourtant nécessaires aux jeûneurs. Ces derniers mois, les céréales, l’huile alimentaire, les pâtes, le poisson ou les légumes s’achètent à des prix exorbitants, jamais enregistrés sur le marché.

Une flambée qui, dans ce pays où la majorité vit au rythme des revenus quotidiens, est synonyme de renonciation durant ce mois sacré où habituellement, il est de coutume de se faire plaisir sans compter.

À chaque ramadan, les prix flambent

La cinquantaine révolue, Abdoul Rasmané Ouédraogo est commerçant. Il détient une échoppe de cola qui jouxte la grande mosquée de Ouagadougou. Fervent croyant, le quinquagénaire a rarement manqué au jeûne du ramadan, ce rendez-vous qu’il considère comme « l’un des plus importants pour tout musulman ».

Pour ce fidèle, comme pour bien d’autres, le temps de jeûne rime avec de nouvelles habitudes alimentaires. Dans la pratique, les moments de rupture du jeûne sont, par exemple, des occasions de véritables festins auxquels s’invitent des mets de fête absents dans les assiettes au quotidien du fait de leurs coûts élevés.

Mais Abdoul Rasmané ne peut pas se permettre un tel luxe. La raison est simple : il se fait compter parmi la majorité de Burkinabè qui vit au jour le jour. Son revenu quotidien lui permet tout juste de subvenir à ses besoins et à ceux de son épouse et de leurs cinq enfants. À la veille du début du jeûne, l’angoisse se lit sur son visage.

Durant toute la journée, il n’a pu faire des recettes de plus de 1 000 francs CFA ? moins de 2 euros. Même pas le prix de trois kilos de riz vendus à 1 200 francs CFA, voire plus.

« Avec un tel revenu, je vous laisse imaginer ma première journée de jeûne. Il faudra acheter des céréales, de l’huile, un peu de sucre pour du jus, de la bouillie. C’est difficile, même lorsqu’il faut s’offrir le nécessaire au petit détail », s’agace le vendeur de cola.

Karim Kiemdé s’est habitué aux hausses de prix qui accompagnent souvent la période du ramadan

Karim Kiemdé s'est habitué aux hausses de prix qui accompagnent souvent la période du ramadan
Karim Kiemdé s’est habitué aux hausses de prix qui accompagnent souvent la période du ramadan

« La flambée des prix n’est pas un fait nouveau. Je suis donc mentalement préparé, et je vais me contenter de ce que je serai en mesure d’acheter », se résigne Karim Kiemdé, un docker.

Chaque année, avant et pendant le ramadan, sur les marchés d’Afrique, les denrées alimentaires subissent un renchérissement important du fait de la demande, car le ramadan a beau être le mois du jeûne, c’est aussi la période de l’année durant laquelle la consommation explose dans les pays musulmans.

Contexte mondial et insécurité

Si le faible pouvoir d’achat est pointé du doigt, les jeûneurs sont tout de même conscients de l’inflation qui frappe le pays et qui ne joue pas en leur faveur. En effet, depuis plusieurs semaines, voire des mois, les prix des denrées de grande consommation ont connu une envolée inédite au Burkina.

Les céréales, l’huile alimentaire, le poisson, la viande, le sucre et autres produits assez prisés en cette période de carême ont vu leur tarif prendre l’ascenseur, selon des chiffres du Réseau national des consommateurs du Faso (Rencof), un organisme de défense des droits des consommateurs. En une semaine, le kilogramme de lait en poudre est passé de 2 600 (3,96 euros) à 3 000 francs CFA.

La même masse du poisson frais, le moins cher sur le marché, s’achète désormais à 1 100 francs CFA. Le litre d’huile n’est parfois cédé qu’au prix de 1 500 francs CFA tandis que les prix des céréales grimpent de jour en en jour, constate le Rencof.

Pour beaucoup, il ne faut pas chercher loin les raisons de l’envolée des prix. L’insécurité qui ronge le pays depuis maintenant sept ans est le principal responsable de la situation.

« C’est connu, notre pays connaît des déplacements massifs de populations du fait du terrorisme. Il va sans dire que des agriculteurs et d’autres acteurs économiques ont dû abandonner leurs activités pour sauver leurs vies. Pour résumer, la contribution à l’économie s’est affaiblie, mais il y a beaucoup de bouches à nourrir », commente le docker Karim Kiemdé.

D’autre part, la mise en berne de l’économie s’explique par la guerre en Ukraine d’où les produits dérivés du blé sont importés, alors même que le Covid-19 avait déjà porté un coup au secteur du commerce avec « une désorganisation des chaînes de production et de transports au niveau mondial », comme l’indiquait fin février un rapport du ministère du Commerce burkinabè.

Le département du Commerce mentionnait dans son rapport qu’après des mois de paralysie, « le trafic maritime à l’échelle internationale a subi les conséquences d’une reprise croissante de l’activité ».

Toute chose qui s’est soldée par « la rareté des conteneurs, la surcharge des bateaux et la flambée des coûts du fret qui a ainsi connu une hausse vertigineuse en passant de 800 dollars en mars 2019 à 6 500 dollars en août 2021 pour les routes maritimes Asie/Europe/USA/Afrique ».

Chasse à la spéculation sans effet

En guise de thérapie à l’inflation et en prélude au ramadan, le gouvernement burkinabè avait, à la mi-mars, plafonné les prix de produits de grande consommation, comme le sucre, l’une des denrées les plus prisées en période de jeûne.

Dans les boutiques et supérettes, un kilogramme de sucre en poudre ne devrait pas être vendu à plus de 600 francs CFA tandis que le montant d’un kilogramme de sucre en carreaux est plafonné à 750 francs CFA. Mais dans la pratique, il faut parfois débourser bien plus.

C’est dire que le plafonnement des prix peine à produire l’effet escompté qui est de barrer la route aux spéculations. Dans le milieu commerçant, l’on rejette la faute sur le gouvernement.

« L’État ne met pas en place des mécanismes justes. Il ne se demande pas dans quelles conditions le grossiste fait parvenir les marchandises au détaillant.

Comment il transporte, quelles sont ses charges. Non, l’État s’en fout, il se contente de fixer des prix sans donner des moyens d’amortissement des charges pour les opérateurs économiques », fustige un commerçant qui a requis l’anonymat.

Jeûner pour la paix

En attendant un terrain d’entente entre gouvernement et opérateurs économiques pour juguler les prix, les jeûneurs trinquent en s’en remettant à Allah. « S’il y a une faveur par-dessus tout qu’on puisse demander à Dieu le long de ce ramadan, c’est de permettre que notre pays retrouve sa paix d’antan.

Que les millions de déplacés qui viennent gonfler les villes puissent retourner dans leurs localités. Que les activités paysannes soient de nouveau possibles dans certaines parties du territoire.

Que la guerre qui se passe à l’autre bout du monde (en Ukraine, NDLR) prenne fin et que le flux du commerce reprenne de plus belle », égrène, comme un chapelet, le commerçant Abdoul Rasmané Ouédraogo, dans l’espoir de meilleurs prochains ramadans.

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