La Rétrospective Géopolitique 2023 Kafunel revient sur les 10 principales évolutions géopolitiques en 2023 ainsi que les recompositions géopolitiques mondiales en 2023. Comment élaborer une stratégie solide dans un monde volatile et donc incertain ? Bienvenue dans une nouvelle ère géostratégique.
Table des matières
10 principales évolutions géopolitiques en 2023 | Kafunel
Les tensions entre les États-Unis et la Chine et l’affirmation croissante d’un certain nombre de puissances moyennes façonnent un nouveau monde.
Unipolaire il y a peu, notre environnement est désormais multipolaire.
En résumé :
- →1. L’importance de la géopolitique pour les stratégies d’entreprise est à son plus haut niveau depuis une génération ; les dirigeants doivent gérer les opportunités et les risques politiques.
- →2. La recherche de l’autosuffisance par les gouvernements sera motivée par les tensions géopolitiques, les incertitudes économiques et la durabilité environnementale.
- →3. Les développements géopolitiques continueront probablement d’influencer les stratégies de la chaîne d’approvisionnement, de modifier les destinations des investissements et d’augmenter les coûts pour les entreprises.
Bienvenue dans une nouvelle ère géostratégique
Les 10 principales tendances géopolitiques en 2023 sont susceptibles de perturber de nombreux marchés et entreprises, mais cela ne signifie pas qu’ils ne présentent que des risques négatifs. Il existe également des opportunités associées à nombre de ces questions, en fonction du secteur de l’entreprise, de son empreinte géographique et des choix stratégiques de ses dirigeants.
La montée du populisme et du nationalisme a également contribué à l’affaiblissement du multilatéralisme. En reprenant le contrôle de leur économie pour lutter contre la concurrence toujours plus exacerbée, un certain nombre de gouvernements ont remis en cause le rôle et l’influence des institutions qui en étaient les garants telle que l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces tendances se sont accélérées avec la pandémie de COVID-19, avant de s’amplifier après le début du conflit en Ukraine.
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Le temps de la mondialisation heureuse, inéluctable, s’est donc achevé. Momentanément ? L’histoire n’est pas écrite. En attendant, à la libéralisation des échanges s’est substitué leur encloisonnement.
En cause ?
Une dynamique géopolitique qui a pris le pas sur les considérations économiques dans les décisions et les stratégies commerciales. A cette volatilité géopolitique accrue s’ajoutent des perspectives à moyen terme incertaines, comme le montre notre analyse « Quel monde dans cinq ans ? ».
Toutefois, si le long terme est incertain, le court terme, en particulier en 2023, est un peu plus assuré. Au cours de l’année à venir, l’environnement géostratégique sera influencé par deux facteurs principaux.
La première est ce que nous appelons « la volatilité stabilisée ». La plupart des tendances récentes dans le domaine géopolitique et dans le mode d’intervention des gouvernements dans le domaine économique sont susceptibles de persister, perpétuant la volatilité.
Mais à moins d’un choc inédit – une extension à d’autres nations du conflit russo-ukrainien par exemple – cette volatilité ne devrait pas s’amplifier. La guerre en Ukraine, les positions officielles des États-Unis, de l’Union européenne et de la Chine, ainsi que les actions des principales politiques et économiques internationales continueront de façonner l’environnement mondial, tandis que la recherche d’une plus grande autonomie – idéalement de l’autosuffisance -, notamment dans le domaine technologique, continuera à peser sur la mondialisation.
Le deuxième facteur est la prévalence de la recherche de compromis. L’environnement géostratégique actuel pose une série de défis aigus aux gouvernements. En l’absence de solutions facilement applicables, les décideurs politiques devront faire des compromis et ce, sur tous les sujets aujourd’hui brulants : sécurité énergétique, objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), inflation, approvisionnement en ressources essentielles, insécurité alimentaire… Les intérêts des Etats étant divergents, les choix de compromis le seront également, ce qui compliquera encore l’environnement opérationnel des entreprises internationales.
Ces thèmes géostratégiques ne sont pas entièrement nouveaux en 2023. Ils représentent plutôt la poursuite et l’intensification de certaines des tendances en matière de risques politiques qui ont façonnées le monde en 2022. En fait, la plupart des tendances présentées dans les Perspectives géostratégiques 2023 sont des évolutions des questions déjà mises en évidence par nos travaux récents. Le fait que la quasi-totalité des 10 principales tendances de 2022 taient été amplifiées et non pas annihilées par le conflit russo-ukrainien témoigne de la persistance de ces risques politiques.
Chapitre 1 – La guerre en Ukraine
Thème : Volatilité stabilisée
La guerre en Ukraine est un choc géopolitique inédit depuis la fin de la guerre froide. En 2023, l’incertitude autour de la guerre et de ses conséquences restera très élevée, avec des impacts politiques et économiques régionaux et mondiaux importants.
Il est peu probable que le président russe Vladimir Poutine mette un terme au conflit en Ukraine tant qu’il ne pourra pas revendiquer une forme de victoire. Dans le même temps, l’armée ukrainienne continuera à défendre son territoire, surtout si elle reste soutenue matériellement et financièrement par les États-Unis et l’Union européenne. Le risque que cette guerre devienne une guerre d’usure augmentera si le conflit se poursuit.
S’il s’éternise, Vladimir Poutine pourrait subir des pressions sur le plan intérieur. Comme il est peu probable qu’il se retire du pouvoir volontairement, tout changement de régime serait probablement désordonné et pourrait même accroître le risque d’escalade au cas où des partisans de la ligne dure l’emporteraient. Le risque que l’OTAN soit entraînée dans le conflit pourrait s’accroître si Vladimir Poutine devait subir d’intenses pressions pour durcir le conflit.
Un tel scénario entraînera probablement des sanctions supplémentaires des marchés développés à l’encontre de la Russie, ce qui augmentera également l’impact sur les économies des pays sanctionnés. Dans ce cas, le risque de désaccord entre les États-Unis et l’UE sur le rythme et la nature des sanctions pourrait augmenter. Le positionnement de la Chine et de l’Inde, notamment jouera également un rôle clé dans l’évolution de l’environnement géopolitique.
Chapitre 2 – Découplage Chine-Occident
Thème : Volatilité stabilisée
Les relations entre les grandes puissances ont évolué d’un système de collaboration et de coopération vers une configuration plus bipolaire dans laquelle les économies des États-Unis et de l’UE se désengagent de la Chine, et vice versa. En 2023, Washington et Bruxelles continueront probablement à imposer de nouvelles mesures restrictives à l’encontre de la Chine. Dans le même temps, Pékin continuera probablement à modifier ses politiques intérieures et étrangères pour être moins imbriqué dans les chaînes de valeur occidentales.
Soutenu par l’ensemble du Congrès sur ce point, Washington continuera probablement à introduire de nouveaux contrôles des exportations et des limitations des investissements visant à réduire la dépendance de l’économie américaine vis-à-vis de la Chine pour les produits critiques et à limiter l’accès de la Chine aux technologies stratégiques. L’application des lois existantes imposera également de nouvelles restrictions au commerce et aux investissements bilatéraux.
L’UE et ses membres continueront probablement à imposer des restrictions plus importantes aux investissements chinois dans des secteurs critiques. Et l’on s’attend à ce que Bruxelles utilise les diverses politiques de sa « boîte à outils de défense commerciale » – notamment en ce qui concerne les subventions publiques, l’accès au marché et les questions environnementales – pour créer un terrain de jeu plus équitable pour les entreprises européennes vis-à-vis de leurs concurrents chinois.
Le Politburo de Pékin est susceptible d’étendre les politiques industrielles pour accélérer les efforts visant à devenir autonome dans les technologies stratégiques, en donnant notamment la priorité aux semi- conducteurs. La Chine cherchera probablement aussi à développer des relations économiques internationales qui ne dépendent pas du dollar américain et pourrait promouvoir la mobilisation de capitaux sur les marchés intérieurs.
L’activité de fusions et d’acquisitions entre la Chine et les marchés « occidentaux » est en baisse
Valeur des flux bilatéraux de fusions et acquisitions transfrontalières (milliards d’USD)
Chapitre 3 – Nouveaux États géopolitiquement émergents – les « swing states »
Thème : Volatilité stabilisée
Le monde multipolaire a créé des pressions croissantes sur les puissances moyennes pour qu’elles s’alignent sur un bloc géopolitique. Mais certaines, que l’on appelle les « Swing states », chercheront à entretenir des relations avec plusieurs puissances mondiales et à optimiser leur influence diplomatique. En 2023, l’Inde, le Brésil, la Turquie et l’Arabie saoudite figureront parmi les États les plus influents et auront un impact considérable sur les dynamiques liées à la guerre en Ukraine et à d’autres questions géopolitiques.
La position neutre de l’Inde vis-à-vis de la guerre en Ukraine sera probablement soumise à une pression croissante. New Delhi cherchera à renforcer ses alliances, notamment par le biais de la Quadrilatérale, en partie pour répondre à ses préoccupations concernant la puissance de la Chine. Elle poursuivra probablement aussi ses échanges avec la Russie, notamment pour l’énergie et, dans une moindre mesure, pour le matériel de défense. Sa présidence du G20 pourrait permettre à New Delhi de définir l’agenda mondial sur ces questions clés.
Le Brésil est également susceptible de renforcer ses liens énergétiques avec la Russie, tout en continuant à s’engager avec l’Ukraine. Plus généralement, le retour de Luiz Inácio Lula da Silva à la présidence devrait redynamiser l’engagement de Brasilia dans les forums multilatéraux et régionaux.
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La Turquie continuera à jouer un rôle essentiel dans la guerre, car elle vend des drones à l’Ukraine et s’oppose à certaines sanctions contre la Russie. L’adhésion d’Ankara à l’OTAN lui confère également une influence géopolitique, notamment par le biais de son influence sur l’adhésion de nouveaux membres à l’alliance.
L’Arabie saoudite continuera probablement à s’éloigner de son partenariat historique avec les États- Unis. Riyad aura une influence géopolitique particulière en raison de son rôle de leader de l’OPEP+.
Chapitre 4 – Accent sur l’autosuffisance économique
Thème : Volatilité stabilisée
Les récents développements géopolitiques incitent les Etats à réduire leur dépendance économique vis-à-vis d’autres pays, surtout lorsque ceux-ci s’avèrent être des rivaux stratégiques. C’est particulièrement vrai pour les secteurs jugés stratégiquement critiques.
La pandémie de COVID-19, l’agenda ESG, la concurrence entre les États-Unis et la Chine, le conflit en Ukraine notamment ont amené de nombreux gouvernements à conclure qu’ils avaient besoin d’être plus autonomes pour renforcer leur sécurité nationale. La priorité accordé à l’autosuffisance économique devrait se poursuivre en 2023.
Les gouvernements recherchent l’autosuffisance par le biais d’une variété d’incitations et de restrictions. Les trois grandes puissances continueront de faire partie des pays encadrant la concurrence économique en termes de sécurité. En 2023, cette tendance comprendra la poursuite de la législation et de la mise en œuvre de la stratégie numérique de l’UE, l’application de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) aux États-Unis et un regain d’intérêt pour la double circulation en Chine.
Ces initiatives ont tendance à être spécifiques à un secteur, en mettant l’accent sur les industries stratégiques. Par exemple, les États-Unis, l’UE, la Corée du Sud et d’autres pays créent des incitations à la production nationale de véhicules électriques (VE) et de leurs batteries. La politique américaine s’étend aux minerais critiques utilisés comme intrants dans les batteries, ce qui pourrait susciter des tensions commerciales, même avec leurs alliés.
Dans certains cas, cette autosuffisance est définie plus largement pour inclure les alliés et les partenaires, avec des politiques qui encouragent le nearshoring et le friendshoring.
Chapitre 5 – Concurrence technologique entre les grands blocs
Thème : Volatilité stabilisée
En 2023, la technologie restera un domaine stratégique de la concurrence géopolitique, entrainant la création de grands blocs technologiques fragmentés et distincts.
Les contrôles stricts des exportations de technologies en réponse à la guerre en Ukraine ont effectivement coupé la Russie des technologies des marchés les plus avancées dans ce domaine.
Les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et leurs alliés vont probablement restreindre encore davantage l’accès de la Chine aux technologies critiques, notamment les semi-conducteurs et les logiciels nécessaires à leur conception.
Annoncés en octobre 2022, les contrôles américains à l’exportation représentent un changement fondamental, l’objectif étant de limiter les progrès de la Chine dans ce domaine. La Chine est prête à répondre en utilisant de nouvelles lois sur le contrôle des exportations.
Les réglementations relatives aux investissements technologiques transfrontaliers vont probablement aussi s’étendre, l’UE et ses États membres exerçant une surveillance accrue. Et même si le mandat du Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) s’élargit, les États-Unis devraient adopter un programme de contrôle des investissements « sortants ».
Dans le même temps, des réglementations incitatives telles que la loi américaine CHIPS et Science Act interdiront les investissements sensibles en Chine et dans d’autres « pays préoccupants ».
Les lois sur la localisation des données et les normes technologiques divergentes peuvent également durcir les frontières technologiques.
La prolifération des réglementations et des cadres juridiques dans des marchés influents comme la Chine, l’Indonésie et l’Inde risque de compliquer les opérations numériques.
Les normes gagneront également en importance sur le plan géopolitique, car les États-Unis et l’Union européenne collaborent sur les technologies émergentes, tandis que la Chine continue d’exercer son influence au sein des organisations internationales.
La régulation favorise la fragmentation des technologies
Nombre d’interventions gouvernementales en matière de politique numérique
Chapitre 6 – L’impératif de sécurité énergétique
Thème : Compromis politiques
En 2022, la sécurité énergétique est devenue une priorité pour les décideurs politiques, en particulier en Europe. Les gouvernements poursuivent simultanément plusieurs objectifs en matière de sécurité énergétique : fiabilité de l’approvisionnement, accessibilité financière pour les ménages et les entreprises, et développement durable. Les décideurs politiques sont susceptibles de diverger dans la hiérarchisation de ces objectifs en 2023, ce qui conduira à un paysage énergétique mondial plus complexe.
La plupart des gouvernements continueront à donner la priorité à la fiabilité de l’approvisionnement pour soutenir les ménages et l’activité économique. Ils chercheront notamment à établir de nouvelles relations commerciales dans le domaine de l’énergie et à développer la production nationale d’énergie, y compris les hydrocarbures, le charbon et les énergies renouvelables. Certains gouvernements soutiendront également la production d’énergie nucléaire et investiront dans les technologies émergentes telles que l’hydrogène vert et bleu.
Dans ce domaine, la question financière sera également une préoccupation majeure. Les gouvernements européens continueront à soutenir les consommateurs et les entreprises en réduisant les taxes sur l’énergie et en réglementant les prix de gros ou de détail. Pour de nombreux marchés émergents, le caractère abordable des subventions énergétiques constituera un défi plus important, car les prêteurs internationaux feront probablement pression sur les gouvernements pour qu’ils réduisent les subventions, ce qui pourrait aggraver les troubles sociaux.
Les progrès vers les objectifs en matière de développement durable seront variables. L’Australie et les États-Unis devraient continuer à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique à mesure que les lois sur le climat récemment adoptées seront mises en œuvre. Quant à l’initiative REPowerEU, elle continuera à accélérer la transition énergétique dans l’UE.
D’autres gouvernements pourraient également réaliser des investissements dans ce domaine, qui se traduiraient en fin de compte par une plus grande fiabilité et un approvisionnement amélioré à l’énergie. Mais les politiques en matière de développement durable dépendent en grande partie des dotations énergétiques de chaque pays. En effet, les modèles économiques des pays riches en hydrocarbures continuent à dépendre des combustibles traditionnels.
Chapitre 7 – Des politiques ESG à plusieurs vitesses
Thème : Compromis politiques
Ces dernières années, les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ont pris de plus en plus de place dans les agendas des dirigeants. En 2022, la non prise en compte de l’ESG sur certains marchés et les tensions géopolitiques internationales ont mis en évidence le fait que la réalisation des objectifs ESG sera difficile. En 2023, les gouvernements feront probablement des compromis pour remplir les objectifs politiques ESG, créant un environnement réglementaire plus incertain.
Dans le domaine de l’environnement, les gouvernements et les entreprises devront relever des défis à court terme pour atteindre leurs contributions déterminées au niveau national (CDN) et leurs objectifs « net zéro » dans un contexte de dépendance accrue à court terme aux combustibles fossiles en raison de la guerre en Ukraine. De nombreux gouvernements chercheront à accélérer la transition énergétique. Et comme les événements climatiques extrêmes continuent de dévaster certaines régions et de perturber l’économie mondiale, certains gouvernements investiront simultanément dans des mesures d’adaptation et de transition.
Les politiques sociales sont susceptibles de diverger d’un pays à l’autre. Sur des marchés tels que les États-Unis et l’Union européenne, les gouvernements continueront à interdire le recours au travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Le Japon fera partie des pays qui exigeront davantage de transparence sur l’utilisation du capital humain.
Les questions de gouvernance se concentreront probablement sur la réalisation et la diffusion des rapports extra financiers des entreprises et sur l’établissement de rôles et de mandats ESG pour les conseils d’administration des entreprises – l’UE étant le leader incontesté de ces réglementations. La géopolitique pourrait être considérée comme le nouveau « G » de l’ESG. Et davantage de gouvernements pourraient mettre en place des règles de divulgation liées à la diversité des conseils d’administration.
Les pays du G20 divergent fortement dans leurs efforts en matière de politique climatique pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris
Score de la politique climatique du MIT Green Future Index
Source: Green Future Index 2022, MIT Technology Review.
Chapitre 8 – Le paradoxe inflation-récession
Thème : Compromis politiques
La sortie de la pandémie de COVID-19, une politique monétaire historiquement souple et l’impact de la guerre en Ukraine sur les prix des matières premières ont fait grimper l’inflation à des niveaux jamais vus depuis un demi-siècle. Les marchés développés ont été particulièrement touchés. L’inflation élevée devrait persister en 2023, alors même que le resserrement des taux d’intérêt des banques centrales pourrait faire entrer les économies en récession.
La Réserve fédérale américaine devrait maintenir ses taux d’intérêt à des niveaux élevés, entrainant à sa suite un certain nombre de banques centrales. Le Japon fera figure d’exception avec une politique monétaire relativement souple, sans parvenir à relancer la croissance économique.
Un resserrement agressif des taux signifie que les États-Unis, la zone euro et d’autres marchés développés sont susceptibles d’entrer en récession et de voir les taux de chômage grimper. Cette politique monétaire pourrait entraîner davantage de changements de gouvernement et d’instabilité politique, en particulier dans le contexte des préoccupations actuelles concernant les inégalités sur certains marchés.
Les marchés émergents seront également confrontés à des difficultés économiques en 2023. L’alimentation et le carburant représentent une part importante des dépenses des ménages dans ces marchés, ce qui accroît leur vulnérabilité et le risque de troubles sociaux. La hausse des taux d’intérêt américains continuera probablement à affaiblir les monnaies nationales, ce qui pourrait aggraver l’inflation en raison de la hausse des coûts d’importation. Et la baisse de la demande des marchés développés pourrait freiner les exportations.
La hausse des taux d’intérêt constituera également un risque important pour les gouvernements très endettés, notamment ceux dont la dette est libellée en dollars américains. Les gouvernements devront probablement augmenter leurs recettes fiscales pour faire face à des remboursements de dettes plus élevés. Malgré cela, les défauts souverains et les crises économiques sont probables en 2023 – ce qui pourrait entraîner une instabilité politique dans certains pays.
Chapitre 9 – Insécurité et instabilité alimentaires
Thème : Compromis politiques
En 2021, près d’un tiers de la population mondiale n’a pu bénéficier d’une alimentation correcte. En mars 2022, les prix alimentaires mondiaux ont atteint un niveau record. Le changement climatique et les politiques associées sont un moteur essentiel de l’insécurité alimentaire mondiale. La guerre en Ukraine et les réponses politiques associées en sont un autre. L’insécurité alimentaire devrait donc rester un défi majeur en 2023, augmentant le risque d’instabilité politique dans un certain nombre de pays, avec les dommages collatéraux que l’on peut imaginer.
La guerre en Ukraine continuera probablement à peser sur l’approvisionnement mondial en engrais azotés, en blé et en huiles de cuisson. Bien que l’Initiative pour les céréales de la mer Noire ait débloqué des exportations critiques de blé en 2022, la stabilité des approvisionnements est précaire. Le risque de pénurie sera particulièrement élevé pour les pays dépendant des exportations agricoles ukrainiennes, comme l’Égypte, l’Indonésie, le Pakistan et le Liban.
Il est également possible que d’autres événements climatiques extrêmes exacerbent l’insécurité alimentaire, à l’image des inondations sans précédent qui ont frappé 11 millions de personnes au Pakistan en août 2022. Dans l’hémisphère sud, certaines zones comme Afrique subsaharienne resteront probablement les plus fragiles face à ces événements en raison de facteurs géographiques, exacerbés par des niveaux plus élevés d’instabilité politique et de contraintes économiques.
Les gouvernements devront relever le défi de stabiliser les prix dans un contexte de taux d’intérêt élevés et de coûts d’importation élevés. Davantage de gouvernements pourraient imposer des contrôles à l’exportation de produits agricoles, comme l’ont fait l’Inde et l’Indonésie en 2022. Si tel est le cas, l’absence d’une action mondiale coordonnée se traduira par une nouvelle situation d’insécurité alimentaire dans un certain nombre de pays, augmentant le risque d’instabilité politique.
Chapitre 10 – Les gouvernements de gauche en Amérique latine
Thème : Compromis politiques
Comme en Argentine et au Mexique, des politiciens de gauche ont récemment été élus à la présidence au Brésil, en Colombie, au Chili, en Bolivie et au Pérou. Ce changement de cap est peut-être une réaction électorale aux politiques économiques et sanitaires menées lors de la pandémie de COVID-19. En 2023, la pression croissante pour résoudre les difficultés économiques et sociales sera compliquée par des mandats politiques parfois faibles, des défis économiques et une tension – sinon des rivalités – géopolitique accrues.
Les économies latino-américaines sont des producteurs clés de matières premières agricoles. C’est la raison pour laquelle leurs choix politiques peuvent avoir une influence sur la sécurité alimentaire mondiale. Elles sont également des fournisseurs mondiaux essentiels de minéraux rares, notamment le cuivre et le lithium.
Certains gouvernements pourraient suivre l’exemple de l’état mexicain qui a augmenté sa participation dans le secteur de l’énergie. Mais ils peuvent être confrontés à des compromis liés à l’attraction des investissements et à l’augmentation du contrôle gouvernemental sur les ressources stratégiques.
Le ralentissement de la croissance économique et le niveau élevé de la dette pourraient limiter les projets des gouvernements de gauche visant à étendre les programmes de protection sociale et de développement économique, ainsi qu’à préserver les ressources naturelles et la biodiversité.
S’ils ne sont pas en mesure de tenir leurs promesses, l’instabilité politique risque de s’accroître, notamment en raison des demandes croissantes des populations autochtones et des niveaux élevés de criminalité dans certains territoires.
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De nombreux gouvernements d’Amérique latine chercheront à jouer des rivalités entre les États-Unis et la Chine pour attirer davantage d’investissements, notamment en mettant en avant leur proximité avec les États-Unis comme une opportunité de nearshoring.
L’environnement géopolitique restera complexe, alors que l’Argentine cherche à rejoindre les BRICS , que la Colombie renoue des liens diplomatiques avec le Venezuela et que le Mexique s’oppose de plus en plus à la diplomatie américaine dans la région.
Priorités géostratégiques
Tous ces sujets géopolitiques posent à la fois des défis et des opportunités pour les entreprises mondialisées. C’est le cas des politiques ESG. Parce qu’elles sont à plusieurs vitesses selon les régions du monde, elles sont susceptibles de créer des nouvelles exigences de conformité et pourraient augmenter le coût du capital pour certaines entreprises.
Mais, dans le même temps, elles peuvent offrir de nouvelles opportunités d’investissement et de croissance pour qui saura les saisir.
De même, le découplage entre la Chine et l’Occident pourrait limiter les possibilités de transactions transfrontalières tout en offrant aux entreprises une opportunité stratégique d’instaurer plus de transparence et de résilience dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Pour prospérer dans une ère de volatilité et d’incertitude géopolitiques, les entreprises devront développer des approches plus stratégiques pour gérer tous les types de risques.
Chacune des 10 questions géopolitiques présentées et explorées dans ces Perspectives géostratégiques 2023 affectera les entreprises de différentes manières et nécessitera donc des actions spécifiques pour profiter des opportunités offertes, tout en atténuant les défis qu’ils posent.
Cinq grandes actions géostratégiques peuvent être mises en œuvre pour aider les entreprises à prospérer dans un contexte de volatilité stabilisée et de compromis politiques en 2023 :
1. Gérer la hausse des coûts
L’inflation est déjà élevée sur de nombreux marchés dans le monde. En 2023, ces tensions inflationnistes devraient perdurer. Les entreprises doivent donc s’attendre à une hausse des coûts de l’énergie, de la main-d’œuvre et des intrants de production, y compris les matières premières agricoles et les semi-conducteurs.
En outre, les politiques gouvernementales pourraient faire augmenter les coûts de conformité réglementaire et la pression fiscales de certaines entreprises. Les dirigeants doivent évaluer les postes de coûts en hausse et les gérer de manière proactive.
Comment ?
La restructuration des chaînes d’approvisionnement, en collaboration avec les fournisseurs et les clients, peut permettre de limiter les hausses de prix.
Les entreprises peuvent aussi déployer des stratégies visant à améliorer l’efficacité des modèles d’exploitation transfrontaliers par le biais des prix de transfert. Enfin, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la décarbonisation des processus commerciaux pourraient réduire les coûts énergétiques de certaines entreprises.
2. Évaluer les écosystèmes des fournisseurs
Les 10 principales questions géopolitiques en 2023 sont susceptibles d’avoir un impact sur les chaînes d’approvisionnement – c’est la deuxième année consécutive pour laquelle c’est le cas.
Les tensions géopolitiques et la concurrence entre les gouvernements pour atteindre l’autosuffisance en produits géostratégiques continueront de compliquer les chaînes d’approvisionnement transfrontalières existantes.
Les changements stratégiques de la chaîne d’approvisionnement seront probablement les plus importants autour du secteur technologique – y compris les entreprises du secteur ainsi que leurs fournisseurs et clients.
Les dirigeants doivent examiner les partenaires de leur chaîne d’approvisionnement et les risques potentiels qu’ils posent dans le cadre d’une évaluation multidimensionnelle des risques et identifier les possibilités de tirer parti des stratégies de chaîne d’approvisionnement de nearshoring, onshoring ou friendshoring.
Le positionnement des chaînes d’approvisionnement pour soutenir la croissance et la résilience des entreprises à moyen et long terme nécessitera des stratégies qui tiennent compte de la durabilité et d’autres considérations ESG en plus de la dynamique géopolitique.
3. Explorer les opportunités sur les marchés « amis ».
La recherche de l’autosuffisance économique oblige les entreprises à réévaluer leurs stratégies. Les modèles commerciaux internationaux persisteront dans le monde multipolaire qui émerge aujourd’hui, mais ils devront s’adapter aux nouvelles réalités géopolitiques.
Les stratégies les plus solides tiendront compte du fait que les alliances géopolitiques auront probablement plus d’impact sur les décisions commerciales que les considérations économiques dans les années à venir.
Les dirigeants devraient explorer les opportunités de croissance et d’investissement sur leurs marchés nationaux, car les gouvernements sont susceptibles d’offrir des financements préférentiels, des taux d’imposition réduits ou d’autres incitations à la production onshore dans divers secteurs géostratégiques.
Les dirigeants doivent également évaluer le réseau d’alliances et de partenaires commerciaux du gouvernement de leur pays d’origine, car les entreprises sont susceptibles d’être confrontées à des niveaux de risque géopolitique plus faibles sur ces marchés « amis ».
4. Aligner les stratégies sur les priorités des parties prenantes
En raison de l’influence grandissante de l’ensemble des parties prenantes (clients, fournisseurs, consommateurs, actionnaires…), les entreprises doivent gérer de manière proactive les risques politiques dynamiques.
Les dirigeants peuvent alors créer une stratégie de croissance conçue pour répondre aux exigences de leurs parties prenantes. Par exemple, la stratégie de durabilité et d’ESG d’une entreprise peut être conçue pour satisfaire les demandes des clients, des employés, des investisseurs et des décideurs politiques – en atténuant de manière proactive l’impact des futures réglementations ESG et des processus de conformité potentiels tout en générant une plus grande valeur financière.
Cependant, les priorités des différentes parties prenantes peuvent parfois diverger, ce qui complique les efforts des entreprises. Les dirigeants doivent privilégier les actions stratégiques qui s’alignent sur les priorités des parties prenantes et qui ouvrent simultanément de nouvelles opportunités commerciales – comme une stratégie de délocalisation pour faire avancer les objectifs d’autosuffisance des gouvernements tout en tirant parti des nouvelles technologies et des viviers de talents.
5. Effectuer une planification de scénarios
Pour limiter les incertitudes, il est recommandé de procéder à une analyse de scénarios – l’exploration systématique de multiples futurs plausibles.
Cela est vrai pour de nombreux développements individuels mis en évidence dans les Perspectives géostratégiques 2023 – notamment la guerre en Ukraine, le découplage entre la Chine et l’Occident et la montée en puissance des États émergents – les « swing states » – dans le domaine géopolitique – et c’est également vrai au niveau macroéconomique mondial.
Pour élaborer leur stratégie d’entreprise, les dirigeants ne doivent pas se fier à une seule série de prédictions sur les perspectives de la mondialisation, car elles pourraient s’avérer incorrectes. Ils doivent plutôt évaluer les conséquences commerciales potentielles et les impératifs stratégiques de plusieurs environnements opérationnels mondiaux alternatifs, plutôt que d’essayer de prédire un résultat précis.
Ce qu’il faut retenir
L’importance des facteurs géopolitiques dans la stratégie d’entreprise n’a jamais été si forte. Les entreprises doivent intégrer l’analyse géopolitique dans leur gouvernance, leurs modèles économiques et leurs stratégies.
Les dirigeants doivent entreprendre une gestion systématique du risque politique par le biais de structures et de processus de gouvernance réinventés.
Il est important que cela comprenne une évaluation régulière de la manière dont les développements géopolitiques affectent la stratégie actuelle et l’inclusion proactive de l’analyse du risque politique dans les décisions de fusions et acquisitions, d’entrée et de sortie de marché, de chaîne d’approvisionnement et d’empreinte internationale.
En intégrant l’analyse géopolitique dans l’ADN de l’entreprise, les dirigeants permettront à leurs entreprises de mieux prendre en compte les risques politiques lors de la prise de décisions stratégiques, ce qui leur donnera un avantage crucial vis-à-vis de leurs concurrents dans un environnement géopolitique turbulent.
Par Kafunel Avec Ey.com/fr
A propos de cet article
Famke Krumbmüller
EY EMEIA Leader, Geostrategic Business Group
Spécialiste en analyse politique et en stratégie, multilingue, j’aide les entreprises à comprendre et à gérer le risque politique. Je suis passionnée par la politique européenne et mondiale, le business, l’innovation et l’entreprenariat.