C’est la troisième mutinerie de la semaine, depuis le début de l’année 2018, à être matée dans ce complexe pénitentiaire de l’Etat de Goiás, dans le centre-ouest du Brésil. Dans cette même prison d’Aparecida, des affrontements entre deux bandes rivales du crime organisé ont fait, en début de semaine, neuf morts, quatorze blessés et une centaine d’évadés.
Il y a un an, à la même époque, la prison de Manaus, en Amazonie, avait connu une mutinerie occasionnant la mort de 56 prisonniers dans des conditions atroces, qui avaient choqué tout le pays…
La situation carcérale au Brésil est passée de catastrophique à explosive. L’administration pénitentiaire brésilienne est débordée, les prisons sont en proie aux gangs et les conditions de détention, souvent insalubres, sont totalement insuffisantes pour faire face au nombre de prisonniers. Le Brésil détient la troisième plus importante population carcérale au monde.
La Direction générale de l’administration pénitentiaire, qui se félicitait en comptant les blessés de n’avoir eu aucun mort ni aucun évadé lors de la troisième mutinerie de la semaine au centre pénitentiaire d’Aparecida, a pourtant de plus en plus de peine à contenir la situation.
L’intervention des forces spéciales et de la police militaire en moins de trois heures a permis de mettre fin à la rébellion avant que la situation ne dégénère comme en début de semaine.
Lundi 1er janvier 2018, les deux factions du crime organisé au Brésil qui se livrent une guerre sans merci, notamment dans les prisons du pays, le « Premier commando de la capitale (PCC) » de São Paulo et le « Commando rouge (CV) » de Rio de Janeiro, ont provoqué des affrontements entre prisonniers appartenant aux gangs rivaux dans les quartiers fermés de la prison, qui ont fait neuf morts, dont les corps ont été retrouvés décapités et brûlés vif, quatorze blessés et 106 évadés dont seulement 27 ont été repris.
La population carcérale a doublé en 11 ans
Le chef du syndicat des gardiens pénitentiaires brésiliens, Jorimar Bastos, dénonce dans des propos publiés lundi 8 janvier par le journal Folha de São Paolo, le manque de moyens alloués aux prisons, comme celle d’Aparecida à Goiâna où seuls cinq gardiens étaient, selon lui, affectés à la surveillance de 900 détenus.
Selon un rapport du ministère de la Justice du Brésil publié en décembre dernier, la population carcérale du Brésil a plus que doublé de 2005 à 2016, avec un taux d’occupation de 197%, soit près de deux détenus pour une place, voire jusqu’à quatre dans certains Etats, soit un total de 726 712 détenus (chiffre officiel de la situation en juin 2016) pour une capacité d’accueil de 368 049 places.
Le Brésil est passé au troisième rang mondial des pays ayant la plus grande population carcérale, après les Etats-Unis et la Chine mais devant la Russie. Cette population se compose, d’après le ministère de la Justice du Brésil, de 5,8% de femmes détenues dont 40% sont en attente de jugement. Le record de surpopulation carcérale est détenu par l’Etat d’Amazonie avec un taux d’occupation de 484%.
« Entrer dans une prison brésilienne… c’est revenir au Moyen Âge »
Pour dénoncer la situation pénitentiaire au Brésil, l’association Human Rights Watch (HRW) écrivait dans un rapport de 2017 : « Entrer dans une prison brésilienne, c’est comme faire un saut en arrière dans le temps et revenir au Moyen Âge ». Le sous-équipement des infrastructures carcérales, totalement dépassées par la surpopulation, crée des situations désastreuses, régulièrement dénoncées par les ONG.
Les prisonniers, dont plus de la moitié sont généralement en attente de jugement, croupissent entassés dans des cellules insalubres , souvent humides, chaudes, sombres, peu ventilées et sans eau courante où il faut parfois se battre pour avoir un peu de place pour dormir, rapportent les ONG qui ajoutent que dans ces cellules prolifèrent de nombreuses maladies comme la tuberculose ou le VIH Sida dont la prévalence serait en prison 60 fois supérieure au reste du pays.
Mais pour l’ONG Amnesty International, une des grandes sources d’inquiétude de l’univers carcéral brésilien (selon le rapport 2017), c’est la fréquence des actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés aux détenus par les policiers et les gardiens de prison.
Le journal O Globo avait récupéré des vidéos faites par un surveillant de prison, montrant des détenus frappés et paralysés avec des pistolets à impulsion électrique par des gardiens. L’affaire avait choqué et le bureau du procureur général de l’Etat de Goias, responsable de la surveillance du système pénitentiaire avait lancé une enquête.
Quelques gardiens avaient été suspendus, mais d’autres affaires et d’autres témoignages, restés sans suite, attestent régulièrement pour les ONG de la fréquence de mauvais traitements.
Certains intervenants dans les prisons restent cagoulés, pour éviter les représailles à l’extérieur, car la violence est aussi l’affaire des gangs qui contrôlent les prisons de l’intérieur et le trafic de drogue local.
Car la drogue, et en particulier la cocaïne, est le nerf de la guerre que se livrent les deux grandes organisations criminelles, le «Premier commando de la capitale», le PCC, qui est né en 1993 pour venger les morts de la mutinerie de Carandiru, et le «Commando Rouge» (Commando Vermelho), le CV.
Ces organisations, dirigées depuis l’intérieur des prisons, contrôlent aussi le trafic à l’extérieur et peuvent agir bien au-delà des prisons et créent un climat de très grande violence à l’intérieur et à l’extérieur qui échappe le plus souvent aux autorités.
â–º à (re)lire: Au Brésil, l’impitoyable lutte d’influence des barons de la drogue en prison
Un sous-comité des Nations unies pour la prévention de la torture (SPT) constatait déjà en 2016 que l’Etat avait des difficultés à contrôler ce qui se passait à l’intérieur des prisons. Par exemple en ce moment, une vidéo faite avec un téléphone portable, largement diffusée en ce début d’année 2018 sur les réseaux sociaux, montre une « fête » dans une prison de Porto Alegre.
On y voit une table recouverte de plus d’une centaine de lignes de cocaïne et une dizaine de prisonniers qui font la queue pour venir « snifer » en dansant sur des tubes de musique locale. La police aurait lancé une enquête.
130 morts dans les prisons brésiliennes début 2017
La reprise des mutineries dans les prisons brésiliennes inquiète les autorités, car les choses n’ont pas véritablement changé depuis des années. Les investissements n’ont pas été à la hauteur des besoins.
La population carcérale est de plus en plus nombreuse et l’ensemble des problèmes se sont plutôt détériorés. De plus, cette période de l’année rappelle l’embrasement qu’a connu le Brésil au début de l’année 2017.
Une série de mutineries qui avait commencé dans le centre pénitentiaire de Manaus dans le nord du pays. Dans cette prison, dans la nuit du 1er janvier durant dix-sept heures, des dizaines de surveillants et de détenus sont pris en otage, 56 sont tués. Cinq jours plus tard, 31 détenus sont assassinés dans l’Etat du Roraima.
De nouveau, quatre sont tués dans une autre prison de Manaus. Puis à côté de Natal, dans la prison d’Alcaçus une bataille entre détenus et policiers fait 26 morts.
Le bilan humain est énorme. Les actes de violence perpétrés sur les détenus par les prisonniers eux-mêmes terrifient les populations: de nombreuses victimes ont été décapitées, brûlées et certaines ont même eu le cœur arraché.
Pour le sociologue Sergio Adorno, auteur d’un ouvrage sur la situation des prisons «L’objectif de ces actions est de montrer, par la violence de l’acte, que le pouvoir (en l’occurrence de l’Etat), ne peut pas intervenir. C’est une façon d’introduire la terreur au sein des conflits».
Les 111 morts du pénitencier de Carandiru
Derrière ces horreurs plane le souvenir d’une terrible tragédie plus ancienne qui a marqué toute une génération, racontée dans un film de Hector Babenco réalisé en 2005, Carandiru.
Le 2 octobre 1992 dans la maison d’arrêt de São Paulo à Carandiru, qui compte quelque 8 000 prisonniers, une bagarre dégénère en mutinerie. Le gouverneur de l’Etat ne s’embarrasse pas de négociations et ordonne au colonel Ubiratan Guimarães de la police militaire de donner l’assaut.
68 policiers participent à l’opération qui se solde par un bilan de 111 prisonniers tués, alors que les mutins n’ont pas résisté et se sont rendus rapidement. La population, en découvrant le massacre, est horrifiée.
En 2001, le colonel Guimarães est condamné à plus de 600 années de prison (six ans par prisonnier tué), mais il est blanchi en appel car il n’a fait qu’obéir aux ordres. Il sera assassiné quelques temps plus tard, sur la façade de son domicile un tag dit : « on récolte ce qu’on sème ».
Face à tous ces drames et à la situation catastrophique du système carcéral brésilien, de nombreux politiques ont annoncé des mesures: déploiement d’hommes, construction de nouvelles prisons ou encore formation de nouveaux agents.
Mais comme le déclarait déjà en 2017 le ministre de la Justice du Brésil Alexandre de Morães à propos de la réforme du système pénitentiaire, «il ne sert à rien d’appliquer une réforme si le système reste pourri par la corruption». Un commentaire qui semble toujours d’actualité.