Ce sont de graves accusations que Human Rights Watch publie ce mercredi 26 juin. Après dix-huit mois d’enquête, l’organisation de défense des droits de l’homme accuse Yahya Jammeh de violences sexuelles. L’ex-président gambien, qui a régné durant vingt-deux ans, est soupçonné d’avoir mis en place un véritable système pour abuser de jeunes femmes.
Trois victimes témoignent, mais également des proches de l’ex-président dans cette enquête de Human Rights Watch. L’une des victimes qui accuse Yahya Jammeh est Toufah Jallow. En décembre 2014, elle vient d’avoir 18 ans lorsqu’elle remporte le concours de Miss Gambie. Yahya Jammeh demande à la rencontrer, explique-t-elle. Plusieurs fois.
Argent, ordinateur, eau courante dans la maison familiale, le président multiplie les cadeaux, prépare le terrain pour arriver à ses fins, selon le témoignage de la jeune femme : « À ce moment-là, il m’a demandé s’il pouvait m’épouser, raconte Toufah Jallow. J’étais très naïve. Je pensais que je pouvais refuser son offre et continuer mes études. Donc, j’ai dit « non » ».
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En disant « non », Toufah Jallow va provoquer la colère de Yahya Jammeh, poursuit-elle. Il oblige alors la jeune femme à revenir à la présidence en juin 2015. « Yahya Jammeh m’a invitée au palais, encore une fois. J’ai alors commencé à pleurer, à le supplier et à m’excuser, mais cela ne lui a rien fait», détaille Toufah Jallow.
« Il a frotté son sexe sur ma figure et il m’a forcée à me baisser. J’ai essayé de me débattre et il m’a injecté alors une seringue. Il m’a sodomisée et il m’a dit des choses pour que je regrette de l’avoir rejeté, de lui avoir dit « non » dès le départ. » Toufah Jallow appelle les autres victimes à raconter les abus de Yahya Jammeh. Elle sera, pour sa part, entendue prochainement à Banjul par la Commission vérité et réconciliation.
Un système Yahya Jammeh révélé par des ONG
Selon Human Rights Watch (HRW) et Trial, Yahya Jammeh avait mis en place tout un service de protocole bien huilé. Reed Brody, conseiller juridique à HRW, explique comment fonctionnait ce système : « Yahya Jammeh avait tout un système, presque un harem, des femmes qui travaillaient au palais présidentiel, mais dont le vrai boulot, c’était de coucher avec lui. »
« Il allait par exemple à des réunions, à des meetings publics, et il disait à ses collaborateurs : « Je veux celle-là« , relate Reed Brody. On a interviewé huit personnes qui travaillaient dans sa protection rapprochée ou au palais présidentiel, qui nous ont expliqué comment, en fait, il sélectionnait lui-même les jeunes femmes pour assouvir ses fantasmes sexuels. »
Une culture du silence
En Gambie, sur les près de 700 dossiers, pas un seul ne mentionne une agression sexuelle de Yahya Jammeh au Centre des victimes.
Pourtant, des histoires sont connues, certaines sont sorties dans la presse. Le problème est le même au bureau des affaires féminines de la Commission vérité et réconciliation. Sa responsable, Yadicon Njie Eribo, explique : « Ce sont des histoires que l’on entend ici ou là, mais on espère que les victimes vont prendre la parole et expliquer leur histoire pour qu’on puisse mener des enquêtes ».
Les témoignages des victimes sont durs à recueillir, à cause d’une culture du silence dans ce petit pays où tout le monde peut se croiser. Fatou Baldeh, présidente d’une association féministe, décrit ce que peuvent subir certaines victimes ayant témoigné :
« J’ai discuté avec des femmes qui ont été abusées sexuellement par des hommes très puissants sous Jammeh. Mais pour ces femmes qui osent témoigner publiquement du viol qu’elles ont subi, les conséquences peuvent être très graves. »
« Ces femmes peuvent être discriminées, abusées. Elles peuvent être contraintes de divorcer ou être rejetées par leur famille. Il y a un grand de nombre de facteurs qui expliquent le silence des victimes », ajoute-t-elle.
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Pour le moment, une dizaine de femmes seulement sont venues témoigner devant la Commission vérité et réconciliation, qui achève sa cinquième session d’auditions.