Comment ethnographier les pratiques de communication

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Comment ethnographier les pratiques de communication. L’un des principaux concepts de l’anthropologie de la communication est celui de compétence de communication. Contrairement à la notion de compétence linguistique au centre des approches formelles du langage, celle-ci ne porte pas sur la seule maîtrise des règles grammaticales, mais plus largement sur les normes socioculturelles qui régissent les usages de la langue.

Modèle SPEAKING : la méthode de communication efficace de Dell Hymes

Le modèle Speaking de Hymes
Le modèle Speaking de Hymes

En communication générale, ou aussi en communication d’entreprise, il faut une rétroaction ou un feed-back pour que tout fonctionne au mieux. Les spécialistes de l’école Palo Alto ont fait une analyse de la communication, sur les points à analyser pour une communication sans faille.

C’est en 1967 que le sociolinguiste anthropologue Dell Hymes a mis en place le modèle SPEAKING, la méthode d’analyse de communication efficace. Les parties théoriques de ce modèle sont déjà nombreuses sur internet, donc dans cet article, je miserai surtout sur les illustrations pour être plus explicite.

Le modèle SPEAKING est un modèle pour optimiser la communication pour éviter les malentendus et les failles communicationnelles. Pour cela, nous avons le modèle de communication efficace, comprenant 8 paramètres.

Ethnographier les pratiques de communication

speaking de dell hymes ok
speaking de dell hymes ok

Il s’agit de savoir parler correctement, mais également de pouvoir déterminer quand parler, de quoi, avec qui et de quelle manière.

De manière corrélative, l’anthropologie de la communication ne s’intéresse pas à une communauté linguistique abstraite, mais à ce que l’on appelle à la suite de Gumperz une communauté langagière (speech community).

On entend par là tout groupe de personnes qui partagent une même langue, mais aussi les mêmes façons de parler et un même ensemble de normes à propos des usages du langage.

On étudiera alors par exemple les façons de parler propres à un groupe social donné (ce qu’on appelle des sociolectes), à l’image du travail pionnier de Labov sur le parler noir américain.

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Seule l’enquête de terrain permet d’identifier et de décrire une communauté langagière et d’en cerner les contours.

Cela exige d’adopter un principe de relativisme méthodologique concernant les critères d’inclusion ou d’exclusion au groupe.

Si, dans une société, certaines espèces animales ou les esprits des ancêtres sont considérés comme des interlocuteurs légitimes, alors il faut les compter parmi les membres de cette communauté langagière.

Dans cette perspective, les anthropologues se sont employés à étudier les moyens (tant linguistiques qu’extralinguistiques) par lesquels, dans un contexte rituel notamment, les participants sont amenés à prêter une voix à une entité invisible ou non humaine ou à un artefact chargé d’incarner sa présence (tels un masque, une statue ou un instrument de musique).

L’anthropologie de la communication a élaboré un ensemble de concepts et de méthodes pour définir le plus précisément possible les façons de parler à l’intérieur d’une communauté langagière donnée.

Selon Hymes, l’unité d’analyse la plus pertinente est ce qu’il appelle l’événement de communication (communicative event ou speech event). Il entend par là toute séquence d’activité où le langage (ou plus largement la communication) joue un rôle constitutif et non pas seulement accessoire.

Cela peut être une prière religieuse, une plaidoirie judiciaire, une conférence savante, une joute verbale ou encore des brèves de comptoir. Hymes a proposé un modèle pour guider l’analyse des événements de communication en les décomposant en une série de paramètres socialement pertinents.

Il lui a donné un nom en forme d’acronyme : SPEAKING.

Pour illustrer la présentation de ce modèle, nous nous appuierons sur un bref exemple (tiré de The Ethnography of Communication. An introduction de Muriel Saville-Troike, 1982) : une assemblée villageoise chez les Bambara du Mali.

S comme Situation : quand et où l’événement peut-il avoir lieu ?

speaking
speaking

Une assemblée coutumière se tient généralement en journée sur la place publique du village, sous l’arbre à palabres, car il s’agit d’un événement qui intéresse toute la communauté.

Le paramètre « S » ou Setting

Le premier paramètre détermine le cadre de la communication, on peut parler du cadre physique et du cadre socioculturel.

LE CADRE MATÉRIEL OU PHYSIQUE

Le cadre physique prend en compte la scène de communication. Les paramètres et les attitudes à adopter dépendent des conditions physiques. Pour cela, le temps et le lieu sont les paramètres à identifier. En gros, il faut bien choisir le « bon moment, au bon endroit ».

Le lieu peut varier de formel à informel. Il y a des endroits qui nécessitent des contraintes particulières comme un tribunal par exemple, qui est un endroit formel.

Le temps est aussi très important pour la réussite d’un échange. Par exemple, pour l’organisation d’un événement en mois d’octobre, par rapport au climat à Madagascar, il n’est pas trop conseillé d’opter pour un style champêtre, un événement à l’extérieur.

LE CADRE SOCIOCULTUREL

Cela prend en compte le domaine où se déroule la communication. On peut aussi l’appeler cadre psychologique, car l’attitude dépendra de la scène culturelle et sociale.

Il faut pour cela bien analyser le domaine et la culture, suivant le cadre physique comme disait Paul Watzlawick : « on ne communique pas, on participe à une communication ».

On peut prendre en compte différents degrés de domaine comme le domaine familial, le domaine professionnel, le domaine religieux, etc.

Par exemple, vu le problème de la sécurité à Madagascar, on ne va pas se balader ou aller chez les marchands de friperies en portant des bijoux en or ou valeureux, même les bijoux fantaisie pas cher attirent les pickpockets. C’est ça prendre en compte le cadre social.

P comme Participants : qui peut participer à l’événement ?

Comment ethnographier les pratiques de communication 1

Pour répondre à cette question, il convient d’enrichir le modèle dyadique de l’émetteur et du récepteur pour envisager, à la suite de Goffman, l’ensemble des statuts et des rôles que les participants peuvent assumer au cours de l’événement.

Du côté de l’émetteur, le locuteur (celui qui parle) peut différer de l’énonciateur (celui au nom de qui on parle).

Du côté du récepteur, le destinataire principal se distingue du public, ce dernier pouvant inclure des personnes à portée de voix, mais auxquelles le message n’est pas principalement destiné.

Les stratégies d’adresse indirecte (qui servent par exemple à critiquer quelqu’un de manière détournée) sont une bonne illustration du fait que le destinataire réel d’un message peut différer de son destinataire apparent.

Dans le cas d’une palabre bambara, tous les hommes du village peuvent participer, mais en principe pas les femmes.

« P » ou Participant

dell hymes - speaking ok
dell hymes – speaking ok

Lors d’une communication, on peut avoir plusieurs interlocuteurs. Mais les participants ne sont pas seulement ceux qui participent directement aux échanges.

Dell Hymes dans son étude a confirmé qu’on qualifie de participants ceux qui participent directement ou indirectement à la communication. En effet, on peut distinguer plusieurs types de récepteurs dans l’analyse du modèle SPEAKING.

LES TYPES DE RÉCEPTEURS

Le récepteur allocutaire et le récepteur non-allocutaire. On peut qualifier de récepteur allocutaire toute personne directement ciblée par le message.

Évidemment, un récepteur non-allocutaire est donc celui qui reçoit le message malgré le fait que l’émetteur ne s’adresse pas directement à lui.

Pour être plus claire, voyons un exemple : lors d’une annonce écrite pour la distribution d’appareil auditif gratuit au sein d’une commune, on cible ceux qui ont un problème auditif.

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Mais tous ceux qui passent peuvent lire l’annonce, même s’ils ne sont pas ciblés.On peut donc dire que ces personnes sont des récepteurs non allocutaires.

On peut aussi distinguer le récepteur ratifié et non ratifié. On qualifie de ratifiées les personnes dont la présence est acceptée pendant la communication. Les récepteurs non ratifiés sont ceux qui reçoivent la communication sans y être invités.

Par exemple, lors d’une réunion administrative au sein d’une entreprise ou au sein d’une société, une décision est prise par les responsables administratifs.

Ces personnes sont des récepteurs ratifiés. Mais à ce moment, la femme de ménage passe et entend cette décision à travers la porte, donc c’est un récepteur non ratifié.

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Le récepteur peut aussi être anonyme ou personnalisé. Un récepteur est dit anonyme lorsqu’il ne présente aucune relation personnelle avec l’émetteur du message.

Même si cette relation existe, on le qualifie d’anonyme lorsque la relation n’est pas manifestée. Par exemple lors du discours du président de la République, le peuple est un récepteur anonyme, car personne ne manifeste aucune personnalisation de la communication.

LES CARACTÉRISTIQUES DES PARTICIPANTS

Ces caractéristiques sont vraiment importantes. On peut distinguer l’importance numérique et la répartition.

L’importance numérique qualifie le nombre de participants et on peut en distinguer 3 sortes :

  • la communication interpersonnelle ou interindividuelle, entre deux personnes
  • ♦ la communication de groupe, entre plusieurs personnes
  • ♦ la communication médiatique, sur les médias comme la radio, la télévision ou la presse écrite.

Pour la répartition, il y en a aussi 3 sortes :

  • la communication unilatérale, par le modèle linéaire de Shannon et Weaver, c’est à dire de l’émetteur au récepteur sans feed-back.
  • la communication réciproque, suivant le modèle de Ferdinand de Saussure qui favorise l’échange.
  • la communication médiatisée qui utilise un média quelconque. Il y a la diffusion minoritaire comme un appel téléphonique et la diffusion majoritaire, comme une émission de télé-réalité par exemple.

LA PRÉSENCE ET LA NON-PRÉSENCE

La présence détermine les situations de face à face, c’est-à-dire quand les interlocuteurs se voient directement. Tandis qu’on parle de non-présence les situations qui nécessitent des intermédiaires.

Ends ou objectifs pour « E »

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speaking2

Dans une communication d’entreprise, l’objectif contribue beaucoup aux enjeux. C’est pourquoi le modèle SPEAKING prend en compte les objectifs de la communication.

Pour cela, nous avons les 6 fonctions de communication établies par Jackobson. Selon ce linguiste, la communication présente 6 fonctions, selon les éléments du message.

Les voici :

  • la fonction référentielle : fait référence au contexte général de la communication
  • la fonction expressive ou émotive : correspondant à l’émetteur. Ce dernier communique ses sentiments, ses ressentis. On peut voir une fonction émotive dans la phrase : « j’ai faim »
  • la fonction conative : également appelée impressive, cette fonction va susciter une réaction au récepteur. La fonction conative vise à inciter le récepteur à réagir comme dans « ferme la porte ! »
  • la fonction métalinguistique : au niveau du code linguistique, c’est donner plus d’explication, d’améliorer les codes communicationnels. Par exemple, au lieu de « j’ai faim », on peut dire « je n’ai rien mangé depuis ce matin, c’est normal si j’ai faim »
  • la fonction phatique : elle sert à commencer, à maintenir et à mettre fin à la communication. Il y a le phatique d’appel comme « allô », le phatique de maintien comme « ne quittez pas la ligne » et le phatique de clôture comme « je vous souhaite une bonne journée, au revoir »
  • la fonction poétique : c’est la beauté du message à proprement dit. Cette fonction concerne surtout les figures de style et les petits jeux de mots pour améliorer un message.

Les 6 fonctions de Jackobson

« A » ou Acts du modèle SPEAKING

dell hymes - speaking
dell hymes – speaking

Le terme « acts » est un peu implicite pour ce paramètre. En effet, il s’agit des différentes séquences de la communication par ordre chronologique.

Ce paramètre prend aussi en compte le fond et la forme de la communication. On peut distinguer pour cela la communication ritualisée et la communication non ritualisée.

La communication ritualisée est celle qui suit un cours logique et qui nécessite quelques rituels à suivre.

Par exemple lors d’une inauguration, il y a un programme à suivre qui ne sera pas interrompu par d’autres.

Par contre, lorsque la communication est libre, on la qualifie de non ritualisée. Par exemple lors d’une réunion entre amis, plusieurs sujets de discussion peuvent avoir lieu et en couper d’autres.

Le paramètre « K » pour Key

speaking de dell hymes
speaking de dell hymes

Key ou tonalité, en communication désigne en quelque sorte l’atmosphère de communication. On peut donc distinguer :

  • la tonalité positive lorsque l’atmosphère est détendue, voire joyeuse comme lors d’une fête de fin d’année
  • la tonalité neutre comme lors d’une simple discussion ou d’une réunion d’information
  • la tonalité négative lors d’un conflit

Instruments pour le paramètre « I »

prise-de-parole-bien maitriser
prise-de-parole-bien maitriser

C’est l’ensemble des instruments qu’on peut utiliser pour communiquer. Il y a plusieurs instruments, mais je tiens à noter que dans une communication, on peut utiliser simultanément plusieurs instruments.

On peut distinguer :

  • la communication verbale, c’est-à-dire tout moyen utilisant la langue comme la parole, les écrits, etc.
  • la communication non verbale qui n’emploie pas le langage.

Par exemple les gestes, les attitudes, la posture, etc.

  • il y a aussi la communication numérique qui peut être verbale ou non-verbale. C’est dans le cas où on emploie des outils numériques comme les réseaux sociaux, les médias ou seulement la technologie pour communiquer.

Le paramètre « N » ou Norms

prise-parole-public
prise-parole-public

Il s’agit des règles à suivre lors des échanges. En termes de normes, on peut en distinguer 3 sortes de normes communicationnelles :

  • les normes langagières, c’est le langage utilisé dépendra de la situation de communication.
  • Pour cela, nous avons les différentes sortes de langage : soutenu, courant, familier et technique
  • les normes interactives ou appelées normes d’interactions qui est la connexion et les effets conatifs des uns envers les autres
  • les normes d’interprétation qui est surtout présent au niveau du récepteur. Il s’agit du sens du message. On peut inclure la connotation et la dénotation dans ces normes d’interprétation.

Le dernier paramètre du modèle SPEAKING : Gender pour G

Anthropologie de la communication
Anthropologie de la communication

Notre sociolinguiste Dell Hymes n’a pas vraiment rendu cette partie de son étude assez explicite. C’est en gros le genre de communication, le type d’activité selon le langage.

Le type de discours peut déterminer le genre de la communication. Par exemple, pour une conférence de presse, le genre de communication utilisé est la communication journalistique.

Pour conclure, le modèle SPEAKING est le modèle de communication à ne pas négliger pour une communication réussie.

Elle est aussi importante pour la mise en place des différentes stratégies marketing avec les autres formes d’analyse comme SWOT, QQOQCP, etc.

D’ailleurs, ce modèle est le plus prisé à la filière STICOM dans l’étude de la communication organisationnelle.

Alors, parce que « tout est communication », n’hésitez pas à appliquer ce modèle même dans la vie quotidienne.

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