Coronavirus : L’ibuprofène est-il réellement dangereux face au Covid-19 ? Alors que le ministre de la Santé avait alerté en mars sur les dangers de l’ibuprofène en cas de Covid-19, plusieurs études ont depuis démenti cette alerte
MEDICAMENT – Alors que le ministre de la Santé avait alerté en mars sur les dangers de l’ibuprofène en cas de Covid-19, plusieurs études ont depuis démenti cette alerte
On savait que l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 avait provoqué en France quantité de débats houleux, d’articles contradictoires et de fausses informations. On connaît beaucoup moins une autre spécificité française dans la série « médicaments vs Sars-Cov-2 » : l’ibuprofène, nettement plus utilisé, est considéré comme dangereux depuis mars.
Pourtant, plusieurs études ont montré depuis que cet anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) ne présentait pas un risque supplémentaire pour les patients.
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Des études démentent la dangerosité de l’ibuprofène
Revenons au début d’année 2020, époque où l’on découvrait le coronavirus. « En mars, il y a un avertissement de la Direction générale de la santé contre l’utilisation des AINS en général, et de l’ibuprofène en particulier, dans le Covid suite à des cas », explique le spécialiste en pharmacologie médicale Nicholas Moore.
Cet expert de la pharmacovigilance et de la cardiologie intervenait ce mardi durant une conférence organisée par le laboratoire Zambon, qui commercialise notamment des médicaments à base d’ibuprofène (Spedifen, Spifen).
L’information fait ensuite son chemin. Le 14 mars, le ministère de la Santé, Olivier Véran, alerte, notamment sur Twitter, sur la dangerosité de l’ibuprofène.
Une position qui émergeait du terrain, notamment de patients hospitalisés à Bordeaux et Toulouse. Elle conquiert plusieurs pays européens. Et repose sur un biais, critique Nicholas Moore.
ibuprofène est-il réellement dangereux face au Covid-19 ?
« On n’est pas surpris que la plupart des cas graves aient été exposés à l’ibuprofène [qui soulage les douleurs et maux de tête] ». Ce n’est pas une preuve suffisante pour incriminer le produit.
Un point de vue partagé par une équipe de chercheurs espagnols qui s’est intéressée au parcours de cette « fake news » (selon leurs mots).
Ils en concluent, dans cet article de Misinformation Review, que l’impact de la désinformation est d’autant plus massif que ce sont des sources crédibles qui la colportent. Ici le ministre de la Santé et les médias, qui n’ont pas démenti l’information…
Cette alerte a depuis été démentie par des études scientifiques. « Depuis mars, on a bien avancé, reprend Nicholas Moore. Une bonne dizaine d’études ont été faites.
Est-ce que les AINS augmentent le risque d’attraper le Covid-19 ? Non. Est-ce que quand on est positif, on a davantage de risques d’avoir une forme grave ? On a neuf études qui montrent qu’il n’y a pas de risque supplémentaire de décès. »
Dont une britannique, datant du 14 août et s’appuyant sur près de 2 millions de personnes , qui conclut : « [il n’y a] aucune différence de risque de décès lié au COVID-19 associé à l’utilisation actuelle des AINS par rapport à la non-utilisation »
En France, pourtant, une revue de pharmacovigilance de l’Agence nationale de la sécurité du médicament datant de mai 2020 reste sur ce principe de précaution. « Cette recommandation d’éviter la prise d’AINS pour des symptômes précoces suspects de Covid-19 reste tout à fait d’actualité », conclut le rapport.
Insuffisant, critique le spécialiste en pharmacovigilance. « En tout et pour tout, on voit que l’immense majorité des études montre qu’il n’y a aucun risque à prendre des AINS, une seule montre une augmentation du risque et deux une protection, ce qui est compatible avec l’effet anti-inflammatoire dans une maladie, le Covid-19, qui provoque une inflammation pulmonaire. »
Une exception française ?
« Pour paraphraser les conclusions de l’Organisation mondiale de la santé, dans le Covid-19, il n’y a aucune raison de ne pas utiliser d’AINS », synthétise Nicholas Moore.
Dans ses recommandations, l’OMS a bien ajouté en mai l’ibuprofène pour traiter les douleurs et les fièvres dans le Covid-19.
« Aucun autre pays à part la France n’a émis une vigilance sur l’ibuprofène », ajoute-t-il. Précisant que l’ Agence européenne du médicament (EMA) est également revenu sur cette alerte.
Sans surprise, laboratoires pharmaceutiques et officines espèrent que les autorités de santé françaises corrigeront leur discours sur ce médicament particulièrement utilisé dans le pays. Et boudé depuis des mois.
Une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur la consommation de médicaments pendant le confinement dévoile en effet que les ventes d’ibuprofène ont lourdement chuté en mars en France, « pour atteindre – 80 %.
Ce phénomène peut être rattaché, pour la partie initiale, à la mise en garde par les autorités sanitaires françaises concernant l’utilisation des anti-inflammatoires, et en particulier l’ibuprofène, pour un risque potentiel d’aggravation de la Covid-19. »
Mais il n’y a pas que les laboratoires qui espèrent cette mise à jour. Les médecins également. « Toutes les théories de départ qui, par prudence, ont fait interdire l’ibuprofène ne tiennent pas la route, insiste Nicholas Moore.
Cela demande à être revu. Mais c’est difficile, une fois que c’est installé, de modifier ce discours », regrette-t-il. « Le gouvernement a bien changé d’avis sur le port des masques, il peut le faire sur les AINS… », ironise Pascale Bazerolle Bouché, pharmacienne en Savoie.
Prudence tout de même
Est-ce à dire qu’on peut conseiller au grand public de se gaver d’ibuprofène dès les premiers symptômes du Covid-19 ? « Par prudence, prenez du paracétamol pour traiter les symptômes précoces de Sars-Cov-2, conseille Nicholas Moore.
Si ça ne suffit pas, c’est au médecin de voir s’il augmente le paracétamol, s’il donne des anti-inflammatoires ou s’il faut hospitaliser. »
Pour ces médecins, tout dépend évidemment du profil du patient. « Et donc des facteurs de risque, Covid ou pas Covid d’ailleurs ! », complète Alain Serrie, chef de service de médecine de la douleur à Lariboisière (AP-HP).
Il n’y a pas que pour le Covid que cette molécule peut s’avérer utile. Car elle soulage tout type de douleurs importantes, du post-opératoire aux migraines en passant par les règles douloureuses.
Les AINS sont plus efficaces que le paracétamol et ne provoquent pas d’addiction, à la différence des opiacées, responsables d’une véritable épidémie aux Etats-Unis.
Mais, comme toute molécule, elle n’est pas sans danger. Certains patients doivent les éviter en cas de grossesse, d’insuffisance hépatique, rénale et cardiaque, d’ulcère et de perforation digestive, d’allergie…
Et chacun doit bien respecter les doses et la durée. « Aucun médicament n’est anodin, tout est dans la dose et le pharmacien reste le gardien des poisons », martèle Pascale Bazerolle Bouché.
En effet, pour limiter les accidents et étant donné que les AINS font partie des médicaments les plus consommés en automédication, l’ANSM a décidé depuis janvier 2020 de ne plus disposer ces plaquettes en libre-service dans les officines.
Et l’ANSM de rappeler que « ces médicaments sont sûrs et efficaces lorsqu’ils sont correctement utilisés, mais présentent des risques lors d’une utilisation inadéquate ».
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