C’est une rencontre qui fait figure d’événement politique majeur en Côte d’Ivoire. Les anciens chefs d’État Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se sont retrouvés ce lundi 29 juillet 2019, à Bruxelles.
Au siège du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), ce lundi matin, les visages des employés sont radieux. Regroupés devant la mythique salle du Bureau politique où Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire et fondateur du parti, a présidé d’importantes réunions durant des années, ils commentent la rencontre tant de fois annoncée entre les deux anciens ennemis politiques.
D’abord annoncé samedi, puis dimanche, ce rendez-vous entre Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo a finalement eu lieu ce lundi matin à Bruxelles, après plusieurs mois de préparation par les équipes des deux anciens présidents ivoiriens.
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« Réconciliation nationale »
« Un acte fort, à la fois républicain et fraternel, qui doit être partagé et soutenu dans l’amorce de la réconciliation nationale ». Ce sont les mots de Laurent Gbagbo pour qualifier sa rencontre avec Henri Konan Bédié.
Dans un communiqué final publié à l’issue de la rencontre, les deux hommes se sont « particulièrement réjouis de cette première rencontre depuis la fin de la crise postélectorale intervenue à la proclamation des résultats du second tour de l’élection présidentielle en novembre 2010 » et ont « tenu à exprimer leur compassion et leur solidarité au peuple de Côte d’Ivoire pour les traumatismes et les nombreux préjudices subis au cours de cette crise », saluant par ailleurs « la mémoire de toutes les victimes et des personnes malheureusement disparues pendant ces tristes et douloureux événements ».
Sur le plan politique, Henri Konan Bédié, qui « s’est particulièrement réjoui de l’acquittement du président Laurent Gbagbo », affirme également souhaiter son « retour rapide en Côte d’Ivoire pour participer activement au processus de réconciliation nationale ».
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Critiques contre « l’ingérence de l’exécutif »
Affirmant avoir « convenu [ensemble] de l’urgente nécessité d’œuvrer pour le retour d’une paix définitive et durable en Côte d’Ivoire », Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo écrivent « déplorer les atteintes portées aux acquis démocratiques et à l’État de droit en Côte d’Ivoire » et s’insurgent contre ce qu’ils qualifient d’« ingérence du pouvoir exécutif » dans le fonctionnement des partis politiques. Ils ont plaidé en chœur pour « la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires, et le retour en sécurité de tous les exilés ».
Les deux anciens présidents se sont également exprimé sur l’âpre débat qui fait rage sur la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) réclamant un « réforme profonde » de l’institution présidée depuis 2010 par Youssouf Bakayoko.
Après la rencontre formelle, les deux hommes ont déjeuné ensemble, en compagnie, notamment d’Henriette Bedié, épouse d’Henri Konan Bédié, et de Nady Bamba, seconde épouse de Laurent Gbagbo.
Une rencontre préparée pendant plusieurs mois
Chaque mot a été minutieusement pesé. Toute la nuit de dimanche à lundi, les équipes des deux hommes ont travaillé sur ce communiqué final. Chacun des deux leaders a reçu copie de ce projet de communiqué avant d’y apporter ses corrections.
Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif en chef du PDCI, cheville ouvrière de ce rapprochement, et Assoa Adou, secrétaire général de la dissidence du Front populaire ivoirien avaient quitté Abidjan pour Paris dès vendredi, accompagnés de leurs proches.
Samedi, le second a rejoint Bruxelles, où vit Laurent Gbagbo depuis sa libération conditionnelle par la CPI en février dernier. En compagnie du journaliste Franck Anderson Kouassi, porte-parole du FPI resté fidèle à Laurent Gbagbo, et d’Emmanuel Acka, proche de l’ancien président, ils ont travaillé avec une équipe du PDCI conduite par Narcisse N’Dri, porte-parole d’Henri Konan Bédié pour peaufiner les derniers détails de cette rencontre qui fait figure d’événement politique majeur en Côte d’Ivoire.
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À Abidjan, tous les yeux étaient rivés sur Bruxelles, des militants du PDCI, à ceux du FPI – les deux tendances confondues, dont celle de Pascal Affi N’Guessan, snobé pour la circonstance par Henri Konan Bédié – en passant par ceux du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, d’Alassane Ouattara).
Assoa avait pris soin de préparer ses militants à cette rencontre : « Nous suivrons les instructions que les présidents Bédié et Gbagbo donneront », avait-il prévenu à l’issue d’une rencontre à Abidjan avec des responsables du PDCI.
Le RHDP affiche sa sérénité
Au sein du pouvoir, on tente de minimiser les effets de cette rencontre sur l’état d’esprit des militants du RHDP, en évoquant les chiffres des dernières élections, boycottées par une importante partie de l’opposition.
« Au niveau du Parlement, nous ne sommes pas loin de la majorité absolue. Nous avons 130 mairies, 24 régions. Je crois que la représentativité du RHDP doit non seulement nous assurer la victoire [à la présidentielle d’octobre 2020] », nuance Adama Bictogo, proche du président Alassane Ouattara, avant d’affirmer que « s’il y a des gens qui doivent avoir peur, c’est bien au sein de l’opposition, parce que Bédié et Gbagbo, c’est 1+1=1. Il n’y aura aucune valeur ajoutée d’une rencontre entre eux. »
« Le pouvoir veut montrer sa sérénité face à cette rencontre, il reste qu’il doit avoir quand même une certaine crainte », objecte le politologue Sylvain N’Guessan. Même si l’idée d’une alliance formelle est toujours en discussion, ce rapprochement entre les deux hommes pourrait cependant inquiéter le RHDP, qui n’est plus la même coalition qui a pris le pouvoir en 2010 face à Laurent Gbagbo.
La rupture entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, puis Guillaume Soro – les trois acteurs principaux du RHDP en 2010 – d’une part, et les rapprochements entre Bédié et Soro, puis Bédié et Gbagbo, sonne comme une confirmation de la recomposition totale du paysage politique ivoirien.