Les composantes qui définissent la maladie, ses symptômes et. ses thérapeutiques sont d’ordre socioculturel et linguistique. La recherche en ethnomé- decine et en anthropologie de la maladie a souligné l’importance de ces dimensions et peu de chercheurs les mettent en question (Kleinman 1980, Worsley 1982, Young 1982 ).
Cependant, lorsqu’une description de la maladie nous est, proposée, les anthropologues optent souvent pour une stratégie réductrice. Ainsi certains mettent l’accent sur le contexte social et culturel, notamment sur les composantes métaphysiques et religieuses qui sous-tendent les conceptions indigènes de la maladie.
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Dans ces cas, le langage — catégories lexicales, métaphores et exégèses — fait partie intégrante de l’ethnographie comme s’il s’agissait d’un « échafaudage » qui donne accès au réseau sémantique et à la vision du monde de la société considérée. Les travaux de Victor Turner sur la conception lunda de la. maladie (1967) illustrent cette méthode.
Les études cognitives proposent un modèle de description totalement différent : elles explorent des classifications. locales de champs d’expériences et de savoirs, et tentent d’en révéler la structure sémantique sous-jacente. Par exemple, l’étude de Frake de l’ethnomédecine subanun (1961) aux Philippines porte sur la compétence cognitive nécessaire aux diagnostics.
Elle s’attache à décrire, des contrastes sémantiques qui rendent compte de la structure du lexique de la maladie, de ses symptômes et de leurs interprétations diagnostiques. Mais le lecteur en apprend peu sur l’utilisation de ces informations au cours des conversations quotidiennes à propos de la maladie ou des « entretiens institués avec les puissances surnaturelles ».
Il existe une troisième voie, celle qui réunit les apports des anthropologies symboliques et cognitives (Colby, Fernandez et Kronenfeld 1981, Ohnuki-Tierney 1981). Ainsi, certaines études (Sapir and Crocker 1977) portent sur la fonction rhétorique, cognitive et pragmatique de la métaphore. Cette orientation ouvre des horizons nouveaux.
Mais s’il faut souligner l’importance de la mise en forme symbolique et cognitive qui émerge lors du processus ď identification, d’interprétation et de socialisation de la maladie, je pense qu’il faut aussi mettre en avant l’importance du fait de communication au cours duquel les constituants socioculturels et linguistiques de ces processus entrent en interaction.
En résumé, les symboles, les métaphores et le raisonnement à propos de la maladie ne viennent pas au monde dans un vide ; ils apparaissent au cours d’un processus socialement situé et contextualisé (Firth 1957). Les dimensions symboliques et cognitives par lesquelles la maladie est pensée doivent être décrites et analysées en tenant compte des positions négociées entre des participants à une interaction ; celle-ci se déroule en un lieu et un temps donnés.
Parler la maladie. Querelles et langage chez les Ide du Cameroun
[article]
Bertrand Masquelier
Journal des Africanistes Année 1993 63-1 pp. 21-33