L’architecture actuelle du territoire national sénégalais est le fruit d’une longue évolution administrative qui a pris ses fondements des entités territoriales des anciens royaumes malgré les multiples remodelages territoriaux lors de la colonisation.

Pendant cette période coloniale, les différentes parties du territoire ont connu plusieurs décompositions et recompositions, en fonction des conquêtes et annexions, des résistances et hostilités des populations et surtout des stratégies adoptées par les colonisateurs pour d’abord mieux contrôler et ensuite apaiser les régions conquises.

Depuis l’indépendance de l’État du Sénégal, plusieurs découpages de l’espace national se sont produits et les différents morcellements sont accompagnés par divers types de gouvernances territoriales qui tentent de canaliser toute l’organisation du territoire et la gestion aussi bien des communautés qui y vivent que des potentielles ressources naturelles (DIOP, 2006).

Cette floraison de nouveaux territoires nourrit des sentiments contradictoires chez les populations concernées. Si les habitants des nouvelles entités créées se réjouissent presque toujours de la « promotion » de leurs toutes nouvelles collectivités (région, département, communauté rurale), par contre ceux des anciens territoires amputés n’admettent presque jamais les raisons et motifs avancés.

Cette situation accentue dans les deux cas les sentiments identitaires autour des territoires, chaque minorité cherchant à traduire dans une revendication territoriale intransigeante la volonté de s’affirmer et de se distinguer (BADIE 1995 : 7).

Morcellement de la région « naturelle » de la Casamance

Carte de la Basse Casamance -
Carte de la Basse Casamance –

C’est le cas de la région « naturelle » de la Casamance, correspondant à la zone écogéographique du même nom, qui, depuis la colonisation ne cesse de passer de morcellement à recomposition et continue de récuser son intégration dans le territoire national sénégalais (WIESSER-BARBIER, 1994).

Cette région est devenue un espace à contestation, pire, un espace à conflit, rendant difficile la promotion d’une bonne gouvernance territoriale.

La scission de la Casamance en entités distinctes (cercles avant, régions actuellement), déjà de mise lors de la colonisation après chaque insurrection, y semble être érigée comme une panacée aux conflits (DRAMÉ, 1998).

Ainsi, depuis 1960, la Casamance a connu plusieurs découpages administratifs qui semblent à chaque fois reprendre les contours des différents morcellements coloniaux, comme si, à l’image de l’histoire et paraphrasant Thucydide, la cartographie de la Casamance était aussi un éternel recommencement.

Loin d’apporter des réponses à une situation déjà très complexe, ces territoires éclatés sont source de nouveaux différends entre l’Etat et le mouvement séparatiste, d’une part, les élus locaux et les populations locales, d’autre part.

L’évolution cartographique de cette région traduit actuellement bien des formes spatiales émergentes, aux contours imprécis, qui invitent à penser l’éphémère, le provisoire, l’instable (MBEMBE, 1999).

Elle reflète surtout une volonté manifeste des élus centraux ou locaux qui se sont succédé, de contrôler et de mieux maîtriser cet espace. Elle entretient tout aussi un sentiment de rejet et de refus d’une gestion administrative et territoriale qui, comme réponse aux frustrations et contestations de certaines populations, décompose le territoire comme pour circonscrire les revendications.

Les vrais enjeux de ces morcellements sont-ils stratégiques par rapport au conflit, politiques par rapport à la stabilité des pouvoirs centraux successifs, ou économiques pour un réel développement de la Casamance ?

Est-il pertinent d’éclater encore des territoires déjà contestés et chercher en même temps à y impulser un développement local ?

Une recomposition territoriale autour d’entités administratives consensuelles ne semble-t-elle pas pertinente pour amorcer une gouvernance territoriale efficace, apaisée et durable ?

Carte 1 : Région naturelle de la Casamance

Carte 1 : Région naturelle de la Casamance
Carte 1 : Région naturelle de la Casamance

L’évolution cartographique de l’espace de la Casamance semble suivre, dans les différentes périodes étudiées, les mêmes processus de recomposition comme si la gouvernance de son territoire était un éternel recommencement. Les divers royaumes, malgré leur mobilité spatiale gardaient un ancrage ethnique.

Cet héritage a souvent été perturbé et parfois consolidé par la gouvernance coloniale, marquée par son instabilité territoriale.

 Et depuis l’indépendance, le visage de la Casamance ne cesse de reprendre des contours déjà connus d’espaces vécus dans le passé.

La Casamance des royaumes : une gouvernance traditionnelle

Découpages administratifs et gouvernance territoriale en région naturelle de la Casamance
Découpages administratifs et gouvernance territoriale en région naturelle de la Casamance

La Casamance a longtemps été une région hétéroclite caractérisée par un ensemble de dépendances qui ont façonné et remodelé successivement l’organisation territoriale de cet espace. Sa position géographique et son climat très favorable expliquent la présence très ancienne d’une diversité de ses peuples.

Deux versions très proches mais avec une nuance tribale expliquent l’origine du nom Casamance. Au XVème siècle, le roi (Mansa) d’une des diverses tribus de la région, les Kassas, donna son nom à la région : Kassa-Mansa (Roi des Kassas) (ROCHE, 1985 : 23 ; CISSOKO et BA 1988 : 53, Cité par DIOP, 2006 : 29).  Chez les Baïnounk, Kassa-Mansa signifie plutôt la case du roi.

La région naturelle de la Casamance garde l’empreinte d’une ancienne répartition spatiale des principaux groupes ethniques dans ses territoires.

Les Baïnounks, les Bahula (Mankagnes), les Manjacks et les Diolas occupaient la partie côtière, à l’ouest.

Les Peulhs, venus dans la région par nomadisme, se sont sédentarisés au centre, dans le Fouladou, appelé aussi Firdou.

Et les Mandingues ou Socés, originaires du Mandé (le Mali actuel) se sont installés dans la partie orientale, plus proche de leur terre d’origine (DIOP, 2006 : 29).

Ces principaux groupes ethniques ont, à des périodes différentes, dominé les quatre grands royaumes qui ont marqué l’histoire de la Casamance :  les royaumes du Baïnounk, du Kassa, du Gabou, et du Fouladou (ou Firdou) (carte 2).

Chacun de ces royaumes, à son apogée, a vu son influence s’étendre parfois sur toute la région naturelle de la Casamance, voire plus, jusqu’au fleuve Gambie au nord, jusqu’à la partie septentrionale de la Guinée-Bissau, au sud et aux confins de l’empire du Mali à l’est (BOULÈGUE, 1972 ; ROCHE, 1985 ; NIANE, 1989 ; DIOP, 2006).

En Casamance, la gestion traditionnelle des différentes entités territoriales et la vie en société des individus ont toujours été régies par des principes et règles des groupes ethniques et se faisaient sous le contrôle des chefs locaux. Chaque groupe ethnique avait sa propre empreinte identitaire dans la gestion des affaires de la famille, du clan et de la communauté

Carte 2: La répartition ethnique de la Casamance en 1850

Carte 4 : Carte des divisions administratives de la Casamance de 1944 à 1958
Carte 4 : Carte des divisions administratives de la Casamance de 1944 à 1958 Source : Atlas (1977) et Roche (1985)

La première période d’occupation coloniale a été dominée par le compas et la règle, deux instruments qui ont guidé le morcellement de l’espace sénégambien, dicté les frontières des aires de dominations des colonisateurs et réglé la concurrence entre les conquérants (anglais, portugais et français) qui se disputaient le territoire de la Casamance.

L’instabilité territoriale de la gouvernance coloniale : le puzzle territorial d’un perpétuel remodelage entre 1895 et 1960

Carte 2: La répartition ethnique de la Casamance en 1850
Carte 2: La répartition ethnique de la Casamance en 1850
Revue de géographie du laboratoire Leïdi – ISSN0051 – 2515 –N°11, décembre 2013

L’incorporation tardive de toute la Casamance dans la colonie du Sénégal est finalisée et ratifiée par la convention franco-portugaise du 12 mai 1886 par un troc territorial lors duquel Ziguinchor est cédé à la France en échange du Rio Kasini.

Les frontières des Colonies sont définitivement figées en Sénégambie. « La suprématie française dans la région est désormais établie en droit. La Casamance est délimitée. Il reste à l’administrer » (NGAÏDÉ, 2009 : 51).

Dans une perspective de gestion de la « peuplade » et d’exploitation des ressources, le colonisateur met en place une administration militaire, accompagnée par plusieurs découpages du territoire dans une stratégie de maîtrise et de gestion des résistances et des hostilités des populations. Cette gouvernance coloniale a été fortement influencée par la rigueur des conditions physiques du milieu et la diversité des caractéristiques sociales et politiques des provinces conquises.

« La pratique coloniale a réussi plus ou moins à subordonner les structures politiques préexistantes au projet de la métropole française » (DIOP, 2006 : 49).

La résistance du territoire

Fig. 1. — La Casamance.
Fig. 1. — La Casamance.

Après la fixation des frontières de la « Colonie du Sénégal et ses dépendances », s’installe une période de gestion administrative, particulièrement entre 18953 et 1944, pendant laquelle, la

Casamance, plus que les autres dépendances du Sénégal, a connu la plus grande instabilité de son territoire (carte 3). Les remodelages successifs par différentes séquences de décomposition-recomposition du puzzle territorial étaient la principale stratégie adoptée par l’administration coloniale face aux rébellions, aux refus de soumission et à l’opiniâtreté de la résistance, dans un milieu particulièrement hostile.

L’hostilité territoriale n’était pas la même partout en Casamance. La partie occidentale (Basse Casamance), composée de forêts denses sub-guinéennes, avait la particularité d’être difficilement pénétrables.

Le Delta marécageux du fleuve Casamance était peuplé de mangroves et constituait en même temps le lit d’innombrables cours d’eau et un lacis de marigots qui dictaient les voies de pénétration à l’intérieur du territoire. Ces conditions naturelles du milieu qui ralentissaient énormément la conquête coloniale, exposaient aussi idéalement aux actions sporadiques, razzias et pillages dans ces territoires refuges que constituait le pays diola (PÉLISSIER, 1966 ; NGAÏDÉ, 2009).

Cette résistance du territoire diminuait par contre d’ouest en est. En effet, en Moyenne Casamance, la forêt claire devient beaucoup moins dense et plus pénétrable en pays mandingue moins agressive. Elle disparait progressivement vers l’est en Haute Casamance, laissant place à une savane arborée, plus propice à la transhumance du bétail (Atlas du Sénégal, 1977).

Ce milieu plus ouvert et propice à la transhumance du bétail est ainsi la zone de prédilection des éleveurs peul. Le réseau enchevêtré de cours d’eau qui canalise les déplacements et rend très hostile la forêt en pays diola s’estompe en pays mandingue et dans le fouladou peul où la docilité est rendue au milieu par les grands espaces de pâturage et l’hydrographie s’y limitant à la seule vallée du fleuve Casamance.

À l’hostilité du milieu physique en pays diola s’ajoute le caractère répulsif de ses populations face à toute forme d’autorité (CHARPY, 1994 : 482). Leur opiniâtre résistance prenait plusieurs formes : attaques surprises des convois, refus de payer l’impôt, razzias etc. Le pays des Bayots, entre Ziguinchor et Kamobeul était d’ailleurs réputé pour les embuscades souvent tendues aux étrangers et à leurs collaborateurs qui s’y aventuraient.

Les populations « indigènes » s’attaquaient aux embarcations leur exigeant parfois des droits de passage (NGAÏDÉ, 2009 : 50). Les conquérants se retrouvaient ainsi de plus en plus isolés dans un milieu hostile où résistances et rixes étaient fréquentes. « De nombreux administrateurs s’usèrent à cette tâche ingrate et difficile. Soixante-quatorze ans après leur entrée officielle en

Basse Casamance, les français se trouvaient toujours confrontés à un épineux problème d’autorité » (ROCHE, 1985 : 280).

Pendant la colonisation, les populations locales ont subi une double agression. D’abord, une occupation militaire pour les contraindre à la soumission et à l’asservissement. Et ensuite, une étape de démantèlement et de partage de leur territoire entre les différents colonisateurs pour un zonage de leur influence, suivie d’une phase de morcellement stratégique et à volonté à l’intérieur des zones d’influence dont l’objectif est de diviser pour mieux maîtriser cette mosaïque de communautés.

L’administration coloniale, une gouvernance militaire du territoire

Histoire de la Casamance naturelle et son mythique découpage administratif...
Histoire de la Casamance naturelle et son mythique découpage administratif…

En Casamance, devant le manque de repères comparables aux autres Colonies, l’administration coloniale a d’abord cherché des compromis territoriaux en signant des traités et conventions avec les royaumes locaux. Ces accords lui permettaient de négocier des actions de recensement, de classement, d’étiquetage, de circonscription et d’administration des tribus et des ethnies (NGAÏDÉ, 2009 : 52).

Par rapport au reste de la colonie du Sénégal, l’originalité de l’organisation territoriale de la Casamance a été l’introduction du District de Casamance en 1891 comme circonscription hiérarchiquement au-dessus de l’unique cercle existant (Sédhiou), sous le commandement d’un militaire, chargé aussi de la direction politique (CHARPY, 1994 : 486).

Ce district verra, l’année suivante, la création d’un deuxième cercle, celui de Karabane et connaîtra par la suite plusieurs réformes. La création d’un District en Casamance alors que le reste du Sénégal est organisé en cercles illustre bien les difficultés de l’administration française à y reproduire son propre modèle d’organisation territorial, caractérisé par une forte centralisation (NGAÏDÉ, 2009 : 52). Dans la pratique, la

Casamance tarde à trouver un statut conforme aux attentes de la puissance coloniale (DARBON, 1988). Par contre, même si la spatialité des cercles a énormément varié dans le temps, la notion de cercle comme circonscription a survécu jusqu’à la décolonisation et même après 1960.

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