La terre au Sénégal appartient-elle aux autochtones ? Une interrogation qui hante le sommeil de toute une génération. Seuls 5% des terres du Sénégal sont immatriculées. Une situation qui a poussé à la mise en place d’une Commission nationale de réforme foncière (CNRF) dont les résultats sont incessamment attendus.

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Deux régimes fonciers coexistent au Sénégal pour administrer le droit de propriété : le régime de l’immatriculation et celui du domaine national. Toutes les terres du territoire national sont soumises respectivement à ces deux régimes quant à leur gestion et à leur mode d’administration.

Les deux régimes fonciers

Le régime de l’immatriculation recouvre toutes les terres, situées aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural, qui  ont fait l’objet d’une immatriculation au nom de particuliers – personne physique ou personne morale- qui garantit leur droit de propriété définitif et inattaquable sur des portions de terrains délimitées.

En matière immobilière, c’est là une manifestation du gage de la propriété privée garantie  par l’article 15 de la Constitution.

Quant au régime du domaine national, il s’applique sur l’ensemble des terres, aussi bien urbaines que rurales, qui ne sont pas immatriculées et qui relevaient jusque-là du régime du droit coutumier.

Ce régime résulte de la réforme foncière intervenue en 1964 suite aux conclusions de l’étude faite sur le régime coutumier.

95% des terres appartiennent au domaine national

Abdoulaye Dièye, chercheur à l’Initiative Prospective agricole et rurale (IPAR), un institut de recherche et de renforcement de capacités sur les questions agricoles et foncières basé à Dakar, affirme que  » 95% des terres appartiennent au domaine national, les 5% restants sont partagés entre l’Etat et des tiers privés ».

SENEGAL-ENVIRONMENT-SEA
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Des constructions le long de la plage dakaroise. La justice reçoit souvent des plaintes relatives aux constructions irrégulières sur la côte. 

Face à cette situation, l’Etat cherche des solutions à travers la Commission nationale de réforme foncière (CNRF). Pour environ 14 millions de Sénégalais, seuls 152.000 titres fonciers sont délivrés.

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La CNRF, créée fin 2012, doit proposer une loi en décembre 2015 pour y remédier et permettre de développer l’investissement privé national comme étranger.

Le régime foncier au Sénégal est dominé par le domaine national. Mais la loi sur le domaine national pose problème, en ce sens qu’elle ne prévoit ni la transmissibilité, ni l’aliénabilité encore moins la cessibilité des terres.

Ce qui veut dire que ceux qui sont considérés comme les propriétaires ne disposent pas de droit réel.

Or, les pratiques courantes font que ceux qui cultivent les terres de façon régulière considèrent que celles-ci leur appartiennent, que ce sont leurs terres, les terres de leurs parents. Mais sur le plan juridique, ces terres ne leur appartiennent pas .

Les causes historiques de cette situation

Traditionnellement, les terres étaient détenues par la communauté et gérées par les ‘’Lamane’’ qui les administraient et les attribuaient, afin qu’elles soient exploitées avec un souci d’équité. Feu Kéba Mbaye, un des plus grands juristes sénégalais, expliquait qu’en Afrique ‘’la terre est une création divine, comme le ciel, comme l’air comme les mers.

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Elle est à Dieu, aux dieux et aux ancêtres’’. Ce principe a été consacré par un décret de 1955. Les autorités coloniales ont essayé d’imposer leur conception occidentale du droit de propriété. Le Sénégal indépendant se trouve donc avec un régime de droit foncier assez particulier puisqu’il consacre deux conceptions a priori opposées.

Le code du domaine national est donc créé et toutes les terres non immatriculées y sont versées (95%). Les lois de 1964 et 1976 consacrent cette option qui protège le droit d’exploitation du paysan (État, investisseurs) et le préserve au profit de la collectivité.

Le droit coutumier est aboli et les Lamane sont remplacés par l’État. Ce qui amenait une sécurisation du système pour des investisseurs. Les détenteurs des terres, bien que spoliés, conservaient leur droit d’exploiter.

Du plan d’action foncier de 1996 au régime d’Abdoulaye Wade

Le plan d’action foncier adopté en 1996 favorise les investisseurs en autorisant un créancier de tout paysan affectataire à saisir et même transformer ledit titre d’affection en titre foncier. On accordait aux créanciers étrangers des droits refusés aux paysans sénégalais.

SENEGAL-FOOD-POVERTY
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La privatisation des terres au profit des industriels majoritairement étrangers a des conséquences désastreuses. 

La privatisation des terres au profit des industriels majoritairement étrangers a des conséquences désastreuses : expulsion des paysans réduits à la mendicité pour vivre, exclusion, création d’une classe ouvrière rurale.

Dans ce contexte, après 40 ans de socialisme, Abdoulaye Wade arrive au pouvoir en 2000. Il  lance des projets de grande ampleur : Retour vers l’agriculture (REVA) en vue de lutter contre l’émigration des jeunes en leur assurant du travail et la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA), pour assurer l’autosuffisance alimentaire.

Ces projets sont axés sur la promotion du secteur agro-industriel et le développement des biocarburants. Il engage donc une réforme du droit foncier pour rendre la terre disponible afin de pouvoir l’exploiter.

Sous Wade (2000-2012), 17% des terres arables du Sénégal ont été accordés à 17 entreprises privées (10 sénégalaises et 7 étrangères), soit 657,753 hectares de terres.

‘‘Ce chiffre représente 16.45% des terres cultivables du pays.  Ces transactions se sont faites souvent dans des conditions peu transparentes au détriment des petits producteurs ruraux’’, précise l’Institut panafricain de recherche, de formation et d’action pour la Citoyenneté, la Consommation et le Développement en Afrique (CICODEV Africa), une ONG basée à Dakar.

Des conflits éclatent. La population locale se sent spoliée, d’autant plus que les investisseurs ne tiennent pas leurs promesses de contrepartie.

Législation foncière

Le régime foncier sénégalais est régi par la loi du régime foncier du 17 juin 1964 relative au domaine national, le décret d’application de juillet 1964, la loi du 2 juillet 1976 portant code du domaine de l’Etat, et la loi de la décentralisation de 1996.

Il y a aussi la loi de 1996 portant code des collectivités territoriales, la loi de mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, aux communes et aux communautés rurales  et celle de mars 2011 portant régime de la propriété foncière.

La loi du régime foncier du 17 juin 1964 relative au domaine national a créé quatre catégories de terres : les zones urbaines, les zones classées, les zones pionnières et les zones de terroir. Pour sa part, la loi du 2 juillet 1976 portant code du domaine de l’Etat, en son article1, fixe deux régimes : le domaine privé et le domaine public :

Le domaine public de l’Etat se répartit en deux catégories: le domaine public naturel et le domaine public.

Le  domaine privé est composé  des biens et droits mobiliers et immobiliers acquis par l’Etat à titre gratuit ou onéreux selon les modes du droit commun, des immeubles acquis par l’Etat par voie d’expropriation, des immeubles immatriculés au nom de l’Etat, de  immeubles préemptés par l’Etat.

Il y a aussi les biens et droits mobiliers et immobiliers dont la confiscation est prononcée au profit de l’Etat ainsi que les immeubles abandonnés dont l’incorporation au domaine est prononcée en application des dispositions de l’article 82 du décret de  juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière.

Dans la loi foncière, les terres sont réparties entre trois ensembles chacun doté d’un régime propre: la propriété privée,  la propriété publique et les terres rurales qui sont dans leur quasi-totalité soumises au régime de la domanialité nationale qui constitue le régime de droit commun. 

Ce régime se caractérise entre autres par un accès gratuit à la terre, un accès à la terre lié à la preuve d’une capacité de mise en valeur et par l’administration de ces terres par les collectivités décentralisées- les conseils ruraux – sous la tutelle de l’Etat.

La loi sur le domaine national est neutre sur le plan de l’égalité entre hommes et femmes eu égard au foncier.

Des terres sécurisées, malgré les menaces de l’homme

En milieu rural, il y a une forte pression sur le foncier, occasionnant de nombreux litiges fonciers, notamment dans l’agglomération dakaroise qui concentre 24 % de la population sénégalaise sur 0,28 % du territoire national. Elle assure en même temps 55% du PIB.

SENEGAL-ECONOMY-CONSTRUCTION-PROPERTY
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Des immeubles en construction dans un quartier populaire de Dakar en 2010.

Malgré cela, les terres sont suffisamment sécurisées au Sénégal au plan juridique. En effet, il y a deux catégories de terres.

Les problèmes rencontrés dans la sécurisation de ces deux catégories de terres relèvent de leur administration et gestion.

Autrement dit de l’intervention de l’homme et surtout de ceux qui sont chargés de cette gestion et administration qui se prévalent de l’impunité.

Administration et immatriculation

L’immatriculation fait l’objet d’une procédure initiée par le Receveur des domaines territorialement compétent, autrement dit Receveur responsable de l’administration du territoire où est situé le terrain immatriculé. 

Cette procédure d’immatriculation comprend dix phases dont la première est l’instruction du dossier par le Receveur territorialement compétent en relation avec les services de l’Urbanisme et du Cadastre de la zone concernée.

Il est ensuite transmis à la Commission de contrôle des opérations domaniales (CCOD) logée à la Direction de l’enregistrement des domaines et du timbre (DEDT) qui émet un avis.

Il s’ensuit une enquête de commodo incommodo ayant pour objet d’informer ceux qui pourraient prétendre détenir des droits sur le terrain, avant le retour du dossier à la DEDT.

Après cela, un décret doit prescrire l’immatriculation de la terre, avant la transmission du décret au Receveur initiateur de la procédure.

Le décret est à son tour publié au Journal officiel.Les deux dernières étapes sont le bornage définitif du terrain par le Cadastre et son immatriculation au nom de l’Etat dans le registre de livre foncier de la Conservation foncière territorialement compétant (attribution d’un numéro dans la série des titres fonciers créés).

Transfert de propriété

Suite au décès d’une personne propriétaire d’un immeuble immatriculé au Livre foncier, ses héritiers doivent demander une mutation par décès dudit titre foncier afin qu’il puisse leur être transféré.

Dans le cas d’un partage de la succession, la mutation par décès se fera en même temps que le partage par morcellement.

Les héritiers du défunt, par le biais d’un notaire ou leur mandataire désigné par un acte notarié, peuvent initier la démarche.

Selon le code de la famille, deux régimes successoraux sont applicables : une succession de droit musulman proche du droit musulman classique et une succession de droit moderne proche du droit français, le dernier étant plus favorable aux femmes que le premier.

Chacun peut choisir qu’à son décès, sa succession soit assurée, soit suivant le droit musulman, soit suivant le droit moderne.

Pour cela la personne doit manifester sa volonté de son vivant. En l’absence de choix, le droit moderne s’applique.

Pour les choix du type de succession, l’homme et la femme sont placés sur un pied d’égalité.

Cependant, si le droit moderne n’effectue pas de distinction entre l’homme et la femme dans le partage successoral, le droit musulman confère deux parts aux garçons mais une seule part à la fille.

En droit musulman, l’épouse hérite du quart de la succession, en l’absence de descendance (fils ou filles du défunt) ; du huitième quand le défunt laisse des enfants. 

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L’article 610 du code de la famille indique que s’il y a plusieurs veuves, elles se partagent le huitième de la succession. 

Par contre, selon le droit commun, l’homme et la femme, le frère et la sœur ont la même part. La loi ne fait aucune distinction entre garçons et filles sur l’accès à la terre.

En tout cas, selon Alpha Bâ, chercheur au Groupe d’études et de recherches genre et Sociétés (GESTEE) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, 4% de la population féminine ont accès à la terre au Sénégal. Les parties souvent destinées aux femmes ne sont pas exploitables ou sont loin de leurs lieux d’habitation.

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