Aujourd’hui est la journée mondiale contre les mutilations sexuelles. L’occasion de se souvenir que, selon les estimations de l’OMS, entre 130 et 140 millions de femmes ont subi une forme de mutilation génitale. Chaque année, ce sont 3 millions de filles qui sont exposées à des mutilations génitales. Reportage sur la reconstruction des femmes après l’excision.

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A l’hôpital Bicêtre, aux portes de Paris, on répare les sexes des femmes mutilées. Mais aussi les âmes. Car la reconstruction des victimes, comme leur souffrance, n’est pas qu’une affaire de clitoris.

Excision : Une souffrance qui va au-delà du physique

Et si la souffrance des femmes excisées dépassait le cadre de cette mutilation ? Et s’il ne suffisait pas d’être privée de clitoris pour être privée de plaisir ?

Ni d’en retrouver un pour monter aux rideaux ? Ces questions-là traverseraient l’esprit de quiconque aurait pu assister à une des réunions de service de l’antenne dédiée aux femmes excisées de l’hôpital Bicêtre*.

Autour de la table, elles sont trois : la gynécologue et chirurgienne Emmanuelle Antonetti-Ndiaye, la thérapeute victimologue et anthropologue Sokhna Fall, et la sexologue Laura Beltran. Trois femmes qui parlent d’excision : c’est-à-dire de violence et de sexe. Leur ton est souvent grave, leurs échanges, très vifs, et leurs mots, si crus qu’on se surprend à rire après avoir pleuré d’effroi.

Le dossier d’une de leurs patientes en main, la gynécologue ouvre la réunion du jour :

J’ai dit à cette femme qu’elle a un beau périnée et que l’opération de reconstruction du clitoris ne paraît pas fondamentale pour elle.

La sexologue s’étonne : « Tu leur dis, à chaque fois, que leur sexe est beau ? Enfin, je veux dire : quand c’est le cas ? C’est une très bonne idée, je trouve. »

Est ensuite abordé le cas d’une ex-patiente qui se plaint de ne pas avoir d’orgasme à chaque rapport, alors qu’elle a été opérée du clitoris il y a un an.

La thérapeute Sokhna Fall s’emporte : « Il serait temps que les femmes comprennent que, même avec un clitoris grand comme la tour Eiffel, on ne jouit pas à chaque fois. »

(*) L’unité de soins des femmes excisées à l’hôpital Bicêtre dépend du service de gynécologie et d’obstétrique du professeur Hervé Fernandez. 78, rue du Général-Leclerc, Le Kremlin-Bicêtre (94),

01 45 21 77 78.

Condamnées au plaisir vaginal ?

Quand ces trois professionnelles confrontent leurs diagnostics, les idées reçues sur l’excision s’effondrent.

Non, les femmes excisées ne sont pas condamnées au seul plaisir vaginal, car elles n’ont subi qu’une ablation partielle du clitoris, dont la partie enfouie reste stimulable.

Certaines patientes reçues ici ont donc une vie sexuelle épanouie tout en éprouvant une souffrance psychologique liée à leur excision; et d’autres ne parviennent pas à jouir, sans que le lien entre ces difficultés et leur mutilation soit établi.

Car qui dit excision dit aussi trop souvent mariages forcés, violences conjugales et trahison familiale. Comme le résume Sokhna Fall :

Loin d’être circonscrite à l’ablation du clitoris, cette mutilation est généralement le symptôme le plus visible d’une série d’atteintes à l’intégrité de la femme.

C’est pour répondre à la diversité des souffrances générées par l’excision que l’hôpital Bicêtre a mis en place cette unité pluridisciplinaire : la plupart des services hospitaliers dédiés aux femmes excisées leur offre pour seule possibilité de réparer leur sexe via un acte chirurgical, alors qu’ici toutes les patientes sont obligatoirement suivies par la gynécologue chirurgienne, la victimologue et la sexologue de l’unité. Chacune ayant ses propres outils thérapeutiques.

Ainsi Emmanuelle Antonetti-Ndiaye commence-t-elle toutes ses consultations en tendant un miroir aux femmes excisées : « Je leur fais voir leur sexe, qu’elles connaissent souvent peu ou mal. J’évalue aussi l’opportunité d’une reconstruction chirurgicale : chez certaines femmes, qui ont conservé un beau relief clitoridien, l’opération va avoir assez peu d’impact au niveau purement physique.»

Sokhna Fall, elle, libère la parole des patientes afin d’identifier ce qui fait souffrance dans chaque excision.

La colère, dans le cas de Fatou, qui en veut terriblement « à sa famille et à l’homme qu’on l’a forcée à épouser ».

La honte, en ce qui concerne Khady, qui raconte : « Lorsque j’allais à la piscine, au collège, j’étais obligée de me cacher, de crainte que les autres filles ne s’aperçoivent que je n’étais pas comme elles. »

Bien souvent, il y a aussi la peur des hommes et de l’acte sexuel. Et c’est là qu’intervient la sexologue Laura Beltran : « Si une femme se plaint de douleurs, je lui explique qu’il est normal d’avoir mal quand on est contrainte à un acte sexuel. En décryptant les mécanismes du plaisir, je les aide à faire le tri entre ce qui relève de l’excision et le reste. »

Se reconstruire avant de reconstruire

A l’hôpital Bicêtre, on « guérit » donc de l’excision à petits pas, en parvenant à mettre un nom sur la singularité de sa souffrance.

« Ce qu’on veut éviter à tout prix, c’est la fétichisation de l’opération. S’il est possible d’opérer un sexe, on n’opère pas la honte, ni la peur, ni le sentiment d’être anormale », souligne Sokhna Fall.

Reconstruire le clitoris d’une femme qui ne serait pas reconstruite elle-même ne sert à rien.

complète Emmanuelle Antonetti-Ndiaye. « Voilà pourquoi je dis souvent, en riant, que je n’opère les femmes que lorsque cela ne paraît plus nécessaire. »

Les parcours thérapeutiques au sein de cette unité sont donc très longs : six mois dans le meilleur des cas, et jusqu’à quatre ans dans les situations les plus complexes. A l’issue du traitement, seules 10 % des patientes reçues choisiront de se faire opérer.

Et c’est justement un des cas évoqués aujourd’hui lors de la réunion de service : « Cette femme est de nouveau venue au rendez-vous avec son mari, avec qui cela se passe très bien au lit », résume la sexologue.

« On a bien travaillé avec cette patiente. Je l’ai trouvée rayonnante », complète la psychologue.

« Sa seule demande, aujourd’hui, c’est de pouvoir montrer son sexe à son conjoint. Elle n’a pas voulu le faire au début de leur relation, et c’est devenu tabou entre eux », reprend Laura Beltran.

Emmanuelle Antonetti-Ndiaye donne alors son feu vert pour une intervention chirurgicale, qui offrira à cette femme la possibilité de recouvrer son intégrité physique et de briser le dernier tabou lié à cette mutilation.

Car soigner l’excision, c’est aussi, et surtout, respecter l’histoire de chaque femme. Et admettre que chaque excision, comme sa réparation, prend un sens spécifique.

Clitoridoplastie : l’opération qui répare

Le clitoris est composé d’une partie externe donc visible et d’une partie interne, qui peut mesurer jusqu’à 10 cm. Même excisées, les femmes ont donc toujours un clitoris enfoui , susceptible de leur procurer du plaisir par le biais d’une stimulation « à travers » la peau.

La clitoridoplastie est une chirurgie réparatrice, inventée en 2001 par l’urologue français Pierre Foldes, qui permet de redonner à la femme un clitoris fonctionnel après une excision.

Cette technique consiste à inciser le pubis afin d’aller chercher le moignon de clitoris et de l’extérioriser. La France est le seul pays au monde où cette opération chirurgicale est remboursée à 100 %. Il y aurait aujourd’hui sur le territoire français environ 60 000 femmes excisées.

Redevenir « comme toutes les femmes »

Fatou, 34 ans : « J’ai toujours voulu me faire réparer, et j’ai profité de mon divorce pour me lancer dans la démarche. C’était enfin le moment de m’occuper de moi. Je ressentais peu de plaisir avec mon ex-mari, et la thérapie m’a permis de comprendre que les violences conjugales que je subissais ne m’avaient sûrement pas aidée.

De toute façon, pour moi le sexe était tabou : quand Emmanuelle Antonetti-Ndiaye m’a montré le mien, avec son miroir, je n’ai pas été capable de le reconnaître.

Je ne savais pas à quoi ressemblait un sexe féminin. Pendant mes relations, je le cachais. Il n’y a qu’un homme à qui je n’avais pas dit que j’avais été excisée qui l’a regardé. Il m’a demandé ensuite :

Pourquoi tu t’es laissé faire ?

Comme si c’était de ma faute ! J’ai été opérée il y a un an, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de refaire l’amour. Ce qui me procure du bonheur, c’est l’idée d’être enfin comme toutes les femmes.

J’ai l’impression qu’en récupérant ce bout de moi qu’on ne voulait pas que j’aie, c’est ma vie entière qui a été rachetée. Et je ne laisserai plus jamais personne décider à ma place de ce qui est bon pour moi. »

Se dire « mon clitoris m’appartient »

Amina, 45 ans : « J’ai été excisée à l’âge de 13 ans. Cela ne m’a pas empêchée d’avoir une vie sexuelle épanouissante… jusqu’à ce que ma belle-mère apprenne que j’avais été mutilée et en fasse une obsession. Du jour au lendemain, je me suis sentie montrée du doigt, et je n’ai plus réussi à prendre de plaisir. Mon corps n’avait pas changé, mais dans ma tête plus rien n’était comme avant.

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J’ai été opérée il y a trois ans, et cela a changé ma vie. Le simple fait de voir mon clitoris m’a complètement débloquée : j’ai retrouvé le plaisir et découvert de nouvelles sensations. Mon clitoris, j’aime le regarder, le sentir, me dire qu’il m’appartient. J’ai vécu pendant trente ans sans lui, et je suis si heureuse de l’avoir retrouvé. Il y a des femmes excisées qui ne se considèrent pas comme des victimes, et l’opération n’est pas forcément nécessaire pour elles. En ce qui me concerne, cette intervention m’a sauvé la vie : je me sens complètement femme et tellement libérée aujourd’hui ! »

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