2.2 Le créole capverdien (crioulo)

Presque tous les Capverdiens (nationaux) parlent le créole, appelé en français capverdien. Au Cap-Vert, on l’appelle crioulocaboverdiano,crioulo de Cabo Verdelíngua caboverdiana ou encore simplement kriol à l’île São Vicente, la seconde île la plus peuplée des îles du Cap-Vert. En fait, l’appellation correcte de cette langue est «créole capverdien» (« crioulo cabo-verdiano »), mais dans l’usage quotidien la langue est simplement appelée «créole» (« crioulo ») par ses locuteurs. La désignation de «capverdien» (« caboverdiano ») ou de «langue capverdienne» (« língua caboverdiana ») est utilisée dans la législation pour désigner la langue normalisée (standardisée).

Le créole est une langue véhiculaire forgée à partir du portugais et de différentes langues d’Afrique. C’est l’un des plus vieux créoles parlés dans le monde. La proportion de la population qui utilise le créole capverdien comme langue maternelle s’élève à plus de 99 %; les immigrants arrivant au Cap-Vert, surtout des Africains et des Chinois, apprennent rapidement le créole et l’utilisent comme langue véhiculaire, puis comme langue maternelle après une génération. Le créole capverdien est donc une langue assimilatrice, ce que n’est pas le portugais. Au Cap-Vert, malgré un niveau de scolarité relativement élevé en éducation, le créole capverdien demeure indélogeable dans sa fonction de langue maternelle.

Malgré l’étroitesse du territoire, la situation insulaire implique que chacune des neuf îles du Cap-Vert a élaboré sa propre façon de parler créole. Chacune de ces îles possède sa variété différente, mais les universitaires du Cap-Vert les désignent généralement par le terme de «variantes» (en portugais: variantes). 

On peut opposer deux grandes «variantes» : le capverdiensotavento (env. 65 %) ou créole des Îles-sous-le-Vent sur les îles de Santiago (São Tiago), Maio, Fogo et Brava, et le capverdien barlavento (env. 35 %) ou créole des Îles-du-Ventsur les îles de Santo Antão, São Vicente, São Nicolau, Sal, et Boa Vista. Au point de vue linguistique, les variantes les plus importantes sont celles de Fogo, de Santiago, de São Nicolau et de Santo Antão, et toute étude approfondie de la langue créole devrait prendre en compte au moins ces quatre variantes. 

Aujourd’hui, on peut considérer le dialecte de l’île São Vicente comme un dénominateur commun des dialectes barlavento. Au point de vue social, les variantes les plus importantes sont celle de Santiago et celle de São Vicente.

Les variantes des deux principaux centres urbains, Praia et Mindelo, sont les variantes comptant le plus grand nombre de locuteurs.

Voici un exemple de créole capverdien (extrait de : Nicolas QUINT, Parlons capverdien, langue et culture, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 20-21):

CaboverdianoCapverdien (traduction)
PURMERU LISOM : FLA MANTENHA

1. Djom é berdiánu di Santiágu. 
Anne é minina di Fránsa.
2. Djom : Es korpu ?
3. Anne : Alê-m li, es bida ?
4. Djom : Alê-m li dretu, gentis é módi ?
5. Anne : Tudu sta dretu ? Di bo ?
6. Djom : Támbi sta dretu, grásas-a Diós !
7. Anne : Módi bu tchoma ?
8. Djom : M-tchoma Djom. Di bo, é módi ?
9. Anne : M-tchoma Anne.
10. Djom : Undi bu mora ?
11. Anne : M-mora na Práia. A-bo undi bu mora ?
12. Djom : A-mi m-mora na Somáda.
PREMIÈRE LEÇON : LES SALUTATIONS

1. Jean est un Capverdien de l’île de Santiago. 
Anne est une jeune fille originaire de France.
2. Jean : est-ce que tu vas bien ?
3. Anne : je vais bien, (et) toi comment vas-tu ?
4. Jean : je vais bien, comment va ta famille ?
5. Anne : tout le monde va bien. Et ta famille ?
6. Jean : ils vont bien aussi, Dieu merci.
7. Anne : comment t’appelles-tu ?
8. Jean : je m’appelle Jean. Et toi, comment t’appelles-tu ?
9. Anne : je m’appelle Anne.
10. Jean : où habites-tu ?
11. Anne : j’habite à Praia. Et toi, où habites-tu ?
12. Jean : moi, j’habite à Assomada.

Les différences dialectales constituent la barrière principale en vue d’une éventuelle standardisation du créole capverdien, voire de son officialisation.

La plupart des initiatives faisant la promotion officielle du créole sont venues de la plus grande île, Santiago, ce qui a causé un certain scepticisme dans les autres îles du pays, car les insulaires tiennent beaucoup à leur propre variété locale.

Par exemple, à São Vicente, beaucoup de gens s’opposent vigoureusement au statut officiel du créole, car ils craignent l’imposition du capverdien (badiu) de l’île de Santiago. Voici un exemple à partir de la variété de Santiago (source: Wikipedia):

Créole capverdienTraduction en portugaisTraduction française
Ôi Cábu Vêrdi,
Bô qu’ê nhâ dôr más sublími
Ôi Cábu Vêrdi,
Bô qu’ê nhâ angústia, nhâ paxõ
Nhâ vída nâce
Dí disafíu dí bú clíma ingrátu
Vontádi férru ê bô nâ nhâ pêtu
Gôstu pâ lúta ê bô nâ nhâs bráçu
Bô qu’ê nhâ guérra,
Nhâ dôci amôr
Oi Cabo Verde,
Tu que és a minha dor mais sublime
Oi Cabo Verde,
Tu que és a minha angústia, a minha paixão
Minha vida nasceu
Do desafio do teu clíma ingrátu
A vontade de ferro és tu no meu peito
O gosto pela luta és tu nos meus braços
Tu que és a minha guerra,
O meu doce amor
Salut Cap-Vert,
Toi qui es ma douleur plus sublime
Salut Cap-Vert,
Toi, qui es mon angoisse, ma passion
Ma vie est née
Du défi de ton clima ingrat
La volonté d’acier est sur ma poitrine
Le goût pour le combat est dans mes bras
Toi qui es ma guerre
Ô Mon doux amour

On peut constater que les mots du lexique entre le créole et le portugais sont relativement rapprochés, ce qui démontre manifestement la filiation linguistique : Cábu Vêrdi/Cabo Verde, sublími/sublime, angústia/angústia, paxõ/paixão, nâce/nasceu, disafíu/desafio, clíma ingrátu/clíma ingrátu, Vontádi férru/vontade de ferro, pêtu/peito, Gôstu /gosto, bráçu/braços, guérra/guerra, amôr/amor.

Quoi qu’il en soit, ces variétés entre les îles du Cap-Vert sont intercompréhensibles de la part de tous les insulaires du pays. La langue n’étant pas standardisée ni normalisée, le système d’écriture (alphabet latin) peut varier entre le capverdien sotavento et le capverdien barlavento. C’est pourquoi le Décret-loi no 67/98 du 31 décembre a proposé un alphabet unifié appelé ALUPEC :

ALUPEC = Alfabeto Unificado para a Escrita do Cabo-verdiano (ou Alphabet unifié pour l’écriture du capverdien)

L’article 1er du décret-loi approuvait l’adoption de l’alphabet unifié à titre expérimental:

Article 1erEst approuvé à titre expérimental l’alphabet unifié pour l’écriture de la langue capverdienne (ou créole), ci-après dénommé ALUPEC (Alphabet unifié pour l’écriture du capverdien), dont les bases sont publiées en annexe.

Dix ans plus tard, le Décret-loi no 8/ 2009 instituant l’ALUPEC comme alphabet capverdien rendait cet alphabet officiel :

Article 1erFondation de l’Alphabet capverdien

1) L’Alphabet unifié pour l’écriture du capverdien (ALUPEC), approuvé à titre expérimental, par le décret- loi no 67/98 du 31 décembre, est établi comme alphabet capverdien.

2) L’Alphabet capverdien fonctionne comme un système graphique national pour écrire la langue capverdienne.

Le créole capverdien est également parlé en Guinée-Bissau (env. 100 000 locuteurs) et au Sénégal (env. 55 000), mais aussi aux États-Unis, en France, aux Pays-Bas, ainsi que dans tous les autres pays d’adoption comme en Angola. Par ailleurs, le Cap-Vert accueille près de deux millions de Sénégalais pour qui le français demeure encore une langue véhiculaire.

Bien que le créole soit la langue maternelle de presque toute la population du Cap-Vert, le portugais est encore la seule langue officielle. Comme le portugais est utilisé dans la vie quotidienne (école, administration publique, les procédures statutaires, etc.), le portugais et créole vivent dans un état de diglossie. À la suite de cette large présence du portugais, on peut observer un processus de décréoalisation (descrioulização) dans tous les variantes du créole capverdien.

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