Justice pénale internationale et violences électorales : Les enjeux de la CPI au Kenya

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Quels sont les enjeux de la CPI au Kenya sur la justice pénale internationale et violences électorales ? Le 27 août 2010, le président du Kenya, Mwai Kibaki, signe la nouvelle constitution du pays, récemment approuvée par référendum par plus de deux tiers des votants. Ce moment historique est marqué par une cérémonie fastueuse à laquelle sont invités, entre autres, les chefs d’État des pays voisins. Parmi les dignitaires invités se trouve le président soudanais Omar el-Béchir, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) et accusé de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

Justice pénale internationale et violences électorales

Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 2
Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 2

La CPI a délivré deux mandats d’arrêt internationaux contre lui. Le Kenya, en tant qu’État partie de la Cour depuis 2005, est dans l’obligation d’arrêter el-Béchir et de le traduire devant la CPI.

Toutefois, le gouvernement kenyan refuse de reconnaître cette obligation juridique et préfère se conformer à une résolution de l’Union africaine (UA) demandant à ses pays membres de ne pas coopérer avec la CPI au nom du parti-pris anti-Africain qui la caractériserait.

Cette constitution fondatrice de la « Deuxième République », censée inaugurer une nouvelle ère de consolidation de la démocratie et de l’État de droit, naît donc avec une malformation congénitale.

Au moment même de l’affirmation proclamée d’un renouveau démocratique, le droit pénal international est ouvertement bafoué – et ce, malgré les nombreuses promesses de coopération pleine et entière faites par le gouvernement kenyan à la CPI dans le cadre des enquêtes de la Cour sur les crimes contre l’humanité commis sur le territoire national à la suite des élections générales du 27 décembre 2007.

Cette cérémonie, ainsi que la présence remarquable d’un de ses invités, illustrent bien les ambiguïtés et les tensions caractéristiques des relations que le Kenya entretient avec la CPI et plus généralement avec la justice pénale internationale.

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L’impunité connaît une longue histoire au Kenya. Depuis l’indépendance en 1963, la corruption, souvent à très grande échelle, reste impunie.

Encore plus flagrante est l’impunité totale dont jouissent les responsables de violences politiques meurtrières commises depuis vingt ans. En effet, à partir de 1991- 1992, le Kenya connait régulièrement des poussées de violence lors des élections générales quinquennales, à l’exception notable de l’élection de 2002.

Les périodes électorales et post électorales de 1992 et de 1997 ont ainsi provoqué la mort de milliers de personnes et contraint des centaines de milliers d’autres à se déplacer. Ce sont néanmoins les violences survenues au cours des élections de 2007 qui ont le plus retenu l’attention internationale.

Durant deux mois et jusqu’à la signature d’un accord de partage du pouvoir entre les deux principaux candidats à la présidence, plus de 1 300 personnes sont tuées et des centaines de milliers d’autres doivent fuir leur demeure et leurs terres.

Les enjeux de la CPI au Kenya

Le président kényan Uhuru Kenyatta devant la CPI
Le président kényan Uhuru Kenyatta devant la CPI

Cet article se propose d’analyser les enjeux de la CPI au Kenya dans un contexte où les institutions nationales sont manifestement incapables de poursuivre les auteurs de ces violences.

Bien qu’au Kenya, la justice pénale internationale semble être la seule possibilité pour que les responsables de ces crimes commis à grande échelle répondent de leurs actes, ses résultats s’annoncent sans doute décevants. La CPI a ses limites. Une limite quantitative tout d’abord.

Selon les dires du procureur, même dans le meilleur des scénarios, seules six personnes pourront être poursuivies. Des centaines d’autres responsables resteront impunis, conformément à la triste tradition kenyane. Une limite d’impact ensuite.

Il est en effet loin d’être certain que cette action judiciaire internationale pourra jouer un quelconque rôle dissuasif lors des prochaines élections prévues pour 2012. Enfin, une limite d’efficacité, voire de pertinence.

La principale faiblesse du processus judiciaire en cours tient au fait que les principaux responsables des violences commises se trouvent parmi les députés et ministres chargés d’accompagner et de mettre en place ce même processus judiciaire. Même si ils se prononcent publiquement en faveur des poursuites nationales ou internationales, à huis clos, ils peuvent les compromettre, voire les saboter.

VIOLENCES POLITIQUES AU KENYA

Justice pénale internationale et violences électorales
Justice pénale internationale et violences électorales

Bien que qualifiées de violences « ethniques » par la majorité des observateurs, les attaques qui ont eu lieu durant les vingt dernières années ne sont pas basées sur une haine primordiale, mais bien plutôt sur des rivalités politiques.

Ces dernières s’expriment certes souvent dans un langage ethnique chauviniste, prompt à instrumentaliser les problèmes fonciers réels et les inégalités d’accès à la terre, souvent perçues comme des inégalités ethniques.

Néanmoins, une observation attentive démontre que ce sont avant tout les alliances politiques et les cycles électoraux qui déterminent en grande partie les auteurs et les victimes des violences, ainsi que la nature et la temporalité de ces dernières.

Les conflits violents survenus au Kenya ont connu deux phases. La première, entre 1991 et 1998, se caractérisait par la violence étatique et paraétatique contre ceux qui appuyaient le multipartisme et les partis d’opposition.

La deuxième, en 2007-2008, beaucoup plus intense, est le fait d’une pluralité d’acteurs : les protagonistes du conflit politique (d’un bord comme de l’autre) et les agents étatiques, en l’occurrence des policiers.

La violence étatique durant les années 1990

fatou bensuda - Justice pénale internationale et violences électorales
fatou bensuda – Justice pénale internationale et violences électorales

La violence politique à grande échelle, phénomène inconnu depuis l’indépendance du Kenya, a éclaté en 1991. Elle a coïncidé avec l’intensification du mouvement politique revendiquant le retour au multipartisme. En effet, depuis 1982, le Kenya était un régime de parti unique, contrôlé par la Kanu, Kenya African National Union.

Cependant, suite à une campagne nationale soutenue et à la pression exercée par des bailleurs de fonds, le président Daniel arap Moi a consenti en 1991 à amender la constitution et à autoriser le pluralisme politique.

Dans la province de la Rift Valley, ainsi que dans quelques districts voisins, des « guerriers » issus essentiellement des groupes ethniques kalenjin et massaï, base politique de la Kanu sous Moi, ont attaqué des personnes de l’ethnie kikuyu et d’autres groupes ethniques comme les Luo, minoritaires dans la province, mais dont la plupart appuyaient le multipartisme et les partis d’opposition en construction.

Dans la plupart des cas avérés, il apparaît que les attaques ont été organisées et financées par des agents très haut placés de l’État et du parti au pouvoir, notamment des députés et des ministres (Human Rights Watch, 1993 ; Kiliku Commission, 1992 ; NCCK, 1992). Les premières élections pluralistes organisées sous le régime Moi furent remportées en décembre 1992 par Moi et son parti, la Kanu.

En plus des intimidations évoquées plus haut, elles furent caractérisées par une fraude massive. Les attaques continuèrent après les élections, apparemment pour punir les communautés qui n’avaient pas voté pour la Kanu. Au total, environ 1 500 personnes furent tuées et au moins 300 000 ont dû se déplacer (Human Rights Watch, 1993).

Ces abus massifs des droits humains ont été documentés, notamment par une commission d’enquête du Parlement kenyan (Kiliku Commission, 1992, voir aussi NCCK, 1992), mais en vain, puisque personne n’a été tenu pour responsable.

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Ce scénario s’est répété aux élections suivantes, organisées en décembre 1997. Encore une fois, des groupes ethniques proches des partis d’opposition dans des zones dominées par la Kanu ont subi des attaques.

Cette fois-ci néanmoins, les agressions commencèrent d’abord sur la Côte, et ce n’est qu’après les élections qu’elles éclatèrent dans la Rift Valley.

Comme en 1991-1993, de nombreux auteurs estiment que des politiciens et certains de leurs alliés importants sont impliqués dans ces violences (Bertrand, 1994 ; Grignon, Maupeu, 1998 ; Kagwanja, 1998 ; Mazrui, 1998). Moi et son parti sont de nouveau réélus au terme d’un processus électoral jugé frauduleux (Ajulu, 1998 ; Tostensen, Andreassen, Tronvoll, 1998).

Une enquête officielle est à nouveau diligentée, mais son rapport (Akiwumi Commission, 1999) n’occasionne aucune poursuite et les responsables présumés, dont des ministres et des hauts fonctionnaires, restent impunis.

Au bord de l’abîme : les violences postélectorales de 2007-2008

Justice pénale internationale et violences électorales cpi
Justice pénale internationale et violences électorales cpi

Les élections de 2002 n’ont occasionné presque aucune violence. Beaucoup d’observateurs en conclurent que le Kenya était parvenu à se défaire définitivement du spectre de la violence politique et que les prochaines élections (celles de 2007) se passeraient pacifiquement.

Pourtant, une lecture plus attentive conduisait à une analyse plus prudente. Les élections de 2002 avaient la particularité de ne pas être organisées selon des clivages ethniques. Elles étaient animées par des coalitions temporaires qui rassemblaient largement plusieurs groupes ethniques, ce qui explique en partie l’absence de violence (Brown, 2004 ; Kamungi, 2009).

Occulter cet élément essentiel, caractéristique des élections de 2002, a conduit à penser trop vite que les élections de 2007 allaient se dérouler sans heurts.

Pourtant, de nombreux indicateurs pouvaient très légitimement nourrir une plus grande inquiétude et faire redouter un risque élevé de violences :

le réalignement des forces politiques en fonction des ethnies, une campagne électorale très tendue et une course à la présidence très serrée, selon tous les sondages, entre Kibaki et le candidat principal de l’opposition, Raila Odinga, ainsi que du maquignonnage au sein de la Commission électorale (Brown, 2009, p. 391-392 ; Kiai, 2008, p. 142).

Le dépouillement des votes s’est fait de façon irrégulière. Malgré une avance initiale importante en faveur d’Odinga, Kibaki a été déclaré vainqueur à la dernière minute [1]

Pour de plus amples détails, voir Throup (2008).. Très rapidement, des émeutes ont éclaté à Kisumu et dans d’autres zones peuplées par les Luo, groupe ethnique d’Odinga, qui avançaient qu’on les avait injustement empêchés d’accéder à leur tour à la présidence [2]

Le premier Président du Kenya, Jomo Kenyatta (1963-1978), était…. À la suite de ces contestations violentes relativement spontanées qui ont causé peu de morts, des formes plus organisées – et mortelles – de violence ont vu le jour, dont certaines pourraient constituer des crimes contre l’humanité selon les définitions de la justice pénale internationale. Elles ont pris trois formes et ont été le fait de l’ensemble de la classe politique.

Des attaques ont ainsi été menées contre les ethnies soutenant généralement Kibaki et sa coalition, organisée autour de son parti, le PNU (Party of National Unity). Ensuite, des contrattaques ont été organisées à l’encontre des groupes ethniques favorables à Odinga et à son parti, l’ODM (Orange Democratic Movement).

Durant cette période, des policiers ont recouru à une violence massive contre des civils non armés qui cherchaient à manifester pacifiquement contre les irrégularités du dépouillement et à contester le résultat officiel de la présidentielle. Ces différentes formes de violences ont concouru pour un tiers chacune aux 1 300 morts que l’on a eu à déplorer en cette période postélectorale.

À l’image de précédentes élections, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et des politiciens de très haut niveau (à la fois du PNU et de l’ODM) ont été accusés d’avoir organisé et financé ces attaques (International Crisis Group, 2008 ; Kenya National Commission on Human Rights, 2008 ; Waki Commission, 2008) [3]

Sur les causes des violences, consulter Anderson et Lochery….

Bensuda Justice pénale internationale et violences électorales
Bensuda Justice pénale internationale et violences électorales

Ces conflits ont paralysé le pays, traumatisé ses citoyens, divisé familles, amis et voisins, et choqué la communauté internationale. Ils ont duré deux mois et ne se sont apaisés qu’à la signature d’un accord national de partage de pouvoir entre les deux candidats.

Accord selon lequel Kibaki garderait la présidence et Odinga deviendrait Premier ministre, poste spécialement créé pour lui. La signature de cet accord est en grande partie due aux efforts de Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, désigné chef d’un panel d’éminentes personnalités africaines. Ce panel, chargé d’assurer la médiation entre les protagonistes du conflit, était soutenu par l’UA et les bailleurs de fonds occidentaux

MÉCANISMES NATIONAUX D’ENQUÊTE ET D’IMPUTABILITÉ

Justice pénale internationale et violences électorales 3
Justice pénale internationale et violences électorales 3

11Malgré une enquête de qualité documentant avec précision les crimes commis après les élections de 2007, aucun mécanisme national n’a été mis en place afin de traduire les présumés coupables devant une instance judiciaire ou quasi judiciaire.

Pourtant différentes options nationales auraient été envisageables, mais face au manque de volonté du gouvernement de les considérer sérieusement, il apparaît que seule la juridiction internationale de La Haye est actuellement en mesure de permettre d’entamer des poursuites et d’envisager les différentes responsabilités.

La Commission Waki

La commission d’enquête sur les violences postélectorales, communément appelée la Commission Waki (du nom de son président, le juge Philip Waki), a déposé son rapport en octobre 2008.

Reconnaissant le haut niveau de corruption et le manque de crédibilité du pouvoir judiciaire kenyan, la Commission a recommandé la création d’un tribunal spécial pour poursuivre les personnes responsables des crimes les plus graves. Dans le même ordre d’idée, la Commission préconisait la large ouverture du Tribunal à l’étranger : un procureur étranger ; deux juges issus du Commonwealth et un seulement du Kenya.

La Commission savait que son rapport risquait d’être ignoré, à l’image de tous ceux qui l’avaient précédé. De plus, beaucoup des présumés coupables susceptibles d’être poursuivis par le Tribunal hybride que la Commission appelait de ses vœux siégeaient au Parlement et au Conseil de ministres, rendant les tentatives de blocages très probables.

La Commission imagina un ingénieux mécanisme susceptible de rendre plus difficile l’enterrement de son rapport. Le juge Waki remit à Annan une enveloppe scellée contenant les noms de la vingtaine de personnes soupçonnées d’être les principaux responsables des violences. Les documents étayant les présomptions de la Commission accompagnaient cette liste.

Dans le cas où le gouvernement kenyan ne prendrait pas les mesures nécessaires pour poursuivre les responsables, l’ancien secrétaire général de l’ONU était ainsi chargé de transmettre le dossier à Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI. Forte de cette menace de poursuite devant la CPI, la Commission Waki se dotait d’un moyen de pression important sur le gouvernement, qui fut contraint de considérer avec sérieux la création d’un tribunal spécial.

Le Tribunal spécial

Le président kényan Uhuru Kenyatta devant la CPI
Le président kényan Uhuru Kenyatta devant la CPI

Tout à tour, le Président, le Premier ministre, le Conseil des ministres et le Parlement exprimèrent leur désir de mettre en application l’intégralité des recommandations de la Commission Waki. Néanmoins, l’étude de ces tentatives ratées démontre que les intérêts des politiciens l’ont emporté sur ceux de la justice.

En février 2009, après des mois d’inaction et alors qu’Annan avait déjà accordé un délai supplémentaire, le gouvernement présenta un projet de loi pour l’établissement d’un tribunal hybride. La loi n’obtint pourtant pas la majorité requise, trop de députés s’y opposèrent au nom de raisons d’ailleurs contradictoires.

Pour les uns, la loi proposée présentait trop de faiblesses, notamment celle du pardon présidentiel susceptible de perpétuer l’impunité. Les autres, au contraire, craignaient l’efficacité du Tribunal et s’opposaient catégoriquement à une juridiction dotée du pouvoir de traduire certains de leurs représentants en justice. Pour les députés préoccupés d’échapper à toute poursuite, la menace de l’ouverture d’une enquête par la CPI à La Haye paraissait encore trop éloignée.

Le gouvernement promit d’améliorer le projet de loi et de le présenter de nouveau. Mais devant l’inertie du gouvernement, Annan, irrité par la mauvaise volonté manifeste du gouvernement kenyan, décida de ne plus accorder de délai supplémentaire. En juillet 2009, il remit l’enveloppe Waki au procureur de la CPI. Face à la menace de plus en plus précise de l’intervention de la CPI, le gouvernement décida d’agir. Il évalua plusieurs options, dont celle du retrait du Kenya de la CPI [5]

Précisons néanmoins que le retrait d’un pays de la CPI ne lève….

La fermeté du ministre de la Justice
La fermeté du ministre de la Justice

Mais aucun consensus ne put se dégager au niveau du Conseil des ministres. À la fin du mois de juillet, Kibaki annonça en conférence de presse que le Conseil de ministres renonçait à l’idée de créer un tribunal spécial, mais qu’il initierait à la place une réforme complète des pouvoirs judiciaire et policier.

Réforme qui permettrait, selon le gouvernement, de poursuivre les responsables des violences de 2007 devant des cours nationales ordinaires – un scénario peu crédible. De plus, Kibaki laissa entendre que le mandat de la Commission vérité, justice et réconciliation (Truth, Justice and Reconciliation Commission, TJRC), dont il est question plus loin, pourrait être modifié afin de rendre possibles des poursuites judiciaires.

En novembre 2009, face à l’inaction du gouvernement, un député sans portefeuille, Gitobu Imanyara, présenta au Parlement une nouvelle version du projet de loi portant sur la création d’un tribunal spécial, débarrassée des échappatoires qui minaient la première version.

De nouveau, le gouvernement exprima publiquement son appui, mais cette proposition de loi connut le même sort que la précédente. Chaque fois que le projet de loi devait être débattu, un boycottage informel rendait impossible son adoption du fait d’un quorum insuffisant.

Au regard de ce parcours, il apparait très peu probable que le Tribunal spécial ne voie jamais le jour. De plus, même si ce Tribunal était créé, il adviendra trop tard pour empêcher la CPI d’agir, alors que c’était pour plusieurs députés une des justifications majeures de son existence.

Les autres instances nationales

Au niveau des juridictions nationales, il apparaît que le système kenyan n’est pas en mesure de poursuivre les personnes responsables des violences de 2007- 2008. Trois ans après la signature de l’Accord national, aucun membre de l’élite politique ou commerciale kenyane n’a été poursuivi pour des crimes liés aux violences postélectorales.

Seuls quatre citoyens ordinaires ont été traduits devant la justice nationale et un seul a été condamné pour le crime d’avoir tué deux policiers à Kericho (Wainaina, 2010). Crime peu représentatif de l’ensemble des violences commises puisqu’on estime à plus de 400 le nombre de civils tués par les policiers (Commission Waki, 2008, pp. 311, 346, 417-418).

La seule autre instance nationale active dans le domaine est la Commission vérité, justice et réconciliation (TJRC), dont la création était prévue dans l’Accord national. Inspirée par le modèle sud-africain, elle a été dotée d’un mandat beaucoup plus large.

La Commission a ainsi été chargée d’enquêter sur l’ensemble des violations des droits humains commises entre décembre 1963, date de l’indépendance du pays, et février 2008, date de la signature de l’Accord national, soit une période de 45 ans. La Commission n’a pas le pouvoir d’entamer une procédure judiciaire, mais le gouvernement peut décider de poursuivre une personne sur la base des faits démontrés par la Commission.

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Malgré ces possibilités, la Commission n’est pas parvenue à convaincre les Kenyans de sa crédibilité. La nomination de son président, intervenue avant le démarrage de ses activités, a largement contribué à cette défiance. Bien que Bethuel Kiplagat soit un diplomate très respecté pour ses médiations dans divers conflits dans la Corne de l’Afrique, sa réputation au Kenya est beaucoup plus polémique.

Il est connu pour avoir été un allié important de l’ancien leader autoritaire Daniel arap Moi. Il est aussi associé à des affaires douteuses et plusieurs commissions d’enquête, travaillant sur l’assassinat en 1980 du ministre des Affaires étrangères Robert Ouko en 1980, sur un massacre commis par l’armée à Wangalla en 1984 ou encore sur l’appropriation illégale de terres, ont cité son nom dans leurs rapports.

Cette présidence a très largement discrédité la TJRC auprès de la majorité des organisations de la société civile. Elles ont d’ailleurs pour la plupart refusé de coopérer avec elle. Le gouvernement ne semble pas non plus appuyer ses activités, car elle ne reçoit pas suffisamment de ressources pour financer toutes ses activités.

Enfin, le mandat accordé à la TJRC semble attester de l’aspect symbolique de son existence. Alors qu’elle est censée couvrir 45 ans de violations, elle doit rendre son rapport en novembre 2011, soit avant le début de la prochaine campagne électorale.

Il apparaît raisonnable de conclure que le gouvernement kenyan ne dispose ni de la volonté, ni de la capacité de poursuivre les personnes ayant la plus grande responsabilité dans les violences politiques des années 1990 et les violences postélectorales de 2007-2008.

La CPI, au titre de la complémentarité des juridictions, a été notamment créée pour pallier ce genre de lacune. Bien que la Cour ne soit compétente que pour les crimes commis après 2005, laissant probablement impunies les violences politiques des années 1990, la CPI serait en mesure de poursuivre les responsables des violences de 2007-2008, jouant ainsi son rôle de juridiction de dernière instance, mais avec quels effets ?

LA DERNIÈRE INSTANCE : LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Uhuru Kenyatta, le président kényan
Uhuru Kenyatta, le président kényan

La CPI a joué un rôle majeur dans les débats politiques kenyans, avant même l’ouverture d’une enquête. Les discussions relatives au Tribunal spécial hybride (international / national) proposé par la Commission Waki ne peuvent se comprendre sans intégrer la possible intervention de La Haye.

La classe politique savait que, si le Tribunal spécial n’était pas créé, la CPI ferait très probablement usage de ses prérogatives. C’est à ce titre que certains députés appuyèrent l’idée d’un tribunal spécial dans la mesure où il paraîtrait suffisamment sérieux pour empêcher l’intervention de la Cour, mais en même temps pas assez efficace pour faire aboutir les poursuites.

Inversement, certains députés qui n’avaient aucune responsabilité dans les violences préconisèrent le renvoi devant la CPI et s’opposèrent au Tribunal hybride jugé à l’avance peu indépendant. Position qu’ils n’auraient sans doute pas adoptée en l’absence d’une instance supérieure de justice.

Cette position semblait néanmoins être celle de la majorité des Kenyans qui, selon les sondages, ne faisait pas confiance à toute forme de processus judiciaire national. Le slogan suivant remporta à ce titre un vif succès : « Don’t be vague, let’s go to The Hague » [6]

« Ne restons pas dans le vague, allons à Den Haag (La Haye) ».. Il apparaît ainsi que la possibilité d’intervention de la CPI a eu des effets parfois contradictoires. Alors qu’elle a découragé certains d’embrasser le projet d’une juridiction nationale, elle n’est pas non plus parvenue à contraindre le gouvernement kenyan à entamer des poursuites judiciaires crédibles ou à établir de nouveaux processus qui seraient en mesure de le faire. Devant cette impossibilité au niveau national, le procureur a donc demandé aux juges de la CPI d’autoriser l’ouverture d’une enquête officielle.

L’ouverture d’une enquête

Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 2
Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 2

Le procureur de la CPI a déposé sa requête d’ouverture en novembre 2009. Sa demande s’appuyait sur trois sources d’informations principales : les documents de la Commission Waki transmis par Kofi Annan, un rapport détaillé de la Kenya National Commission on Human Rights (2008), et des enquêtes non officielles, y compris des interviews réalisées au Kenya avec des victimes.

C’était la première et unique fois que le procureur Luis Moreno-Ocampo ouvrait une enquête de sa propre initiative en faisant usage de son pouvoir proprio motu, raison pour laquelle il avait besoin de l’autorisation de la Chambre préliminaire de la CPI.

Il est loin d’être certain que le procureur se serait intéressé à la situation au Kenya sans la fameuse enveloppe de la Commission Waki et sans la renommée internationale de l’intermédiaire par lequel elle lui est parvenue, Kofi Annan. Selon le Statut de Rome, une enquête ne peut être ouverte devant la CPI que selon trois procédures : le déferrement par un État partie sur le territoire duquel les crimes ont été commis ou dont est originaire l’accusé, le déferrement par le Conseil de sécurité ou la procédure de proprio motu.

À ce jour, seuls trois États ont fait appel à la CPI (Ouganda, République démocratique de Congo et République centrafricaine), le Conseil de sécurité n’a déferré qu’une situation, celle du Darfour, et le procureur n’a fait usage de son pouvoir d’initiative que pour le Kenya.

Ni la Commission Waki, ni Annan, ni le procureur lui-même ne pouvaient garantir que la Cour allait accepter d’ouvrir une enquête. Au regard de la gravité des situations prévalant au Nord de l’Ouganda, en RDC ou au Darfour, la situation du Kenya avec ses 1 300 morts pouvait paraître peu susceptible de convaincre le procureur ou même la Chambre préliminaire d’ouvrir une enquête.

Néanmoins, en mars 2010, la Chambre préliminaire II de la CPI fit droit à la requête du procureur. La décision n’a pas été unanime, mais le désaccord n’était pas lié à la question du nombre de morts, mais plutôt à la nature des crimes commis.

Dans une opinion dissidente, un des trois juges a expliqué que, selon son interprétation, les crimes dont il était question ne constituaient pas des crimes contre l’humanité, car ils n’avaient pas « été commis dans le cadre d’une attaque lancée en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation » (CPI, 2010a).

L’attention qu’a attirée le conflit kenyan sur la scène internationale a sans doute influé sur la décision de la Chambre préliminaire – peut-être aussi la position stratégique du Kenya et le risque de retombées régionales désastreuses de violences ultérieures au Kenya.

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Malgré l’ouverture de l’enquête, le Bureau du procureur de la CPI a reconnu que la traduction devant la justice internationale de quatre à six personnes, tel que prévu, ne constituerait pas une réponse suffisante aux crimes commis au Kenya.

Il a donc adopté la stratégie dite des « trois volets » (three-pronged approach). Les plus hauts responsables seraient jugés à La Haye, le Tribunal spécial, proposé par la Commission Waki, se chargerait d’une centaine de responsables subordonnés et la TJRC établirait un rapport officiel sur les violations historiques des droits humains tout en encourageant la réconciliation entre les divers groupes.

La situation s’avère en pratique beaucoup plus complexe et rend peu réaliste cette stratégie. Le gouvernement kenyan, aussi bien les membres de la PNU que de l’ODM, a bien entendu exprimé son accord pour ce scénario à trois volets. Mais comme il a été dit précédemment, le gouvernement n’a pas créé le Tribunal hybride et ne le fera vraisemblablement jamais.

Par ailleurs, en janvier 2011, plusieurs députés se sont exprimés en faveur d’un tribunal spécial qui serait entièrement national, c’est-à-dire sans participation internationale comme celle qui caractérisait le Tribunal hybride proposé par la Commission Waki.

Du côté de la TJRC, faute de légitimité, de temps et d’argent, il est peu probable que la Commission atteigne les objectifs qui lui ont été assignés, objectifs d’ailleurs bien trop ambitieux pour une simple commission dont le mandat s’achève en 2011. Même si elle parvient à écrire un récit historique accepté par presque tous les Kenyans, ce qui est douteux, ses effets en termes de réconciliation et d’apaisement des ressentiments semblent très incertains.

Il s’avère aujourd’hui que seul le « volet » de la CPI a été activé et qu’en dépit de cette stratégie des trois volets, seule la CPI semble en mesure de contribuer, bien que modestement, à la lutte contre l’impunité au Kenya.

Or, en décembre 2010, le procureur a demandé à la Cour de délivrer des citations à comparaître relatives à six Kenyans inculpés de crimes contre l’humanité : trois ministres, en l’occurrence

  • →<1> William Ruto, le baron officieux des Kalenjins et de la Rift Valley,
  • →<2> Uhuru Kenyatta, le fils du premier Président du pays et éminent politicien kikuyu,
  • →<3> Henry Kosgey de l’ODM, ainsi que le secrétaire du Conseil des ministres, Francis Muthaura,
  • →<4> puis Joshua Arap Sang, responsable d’un poste de radio kalenjin,
  • →<5> et enfin Hussein Ali, le Préfet de police au moment des violences (CPI, 2010b).

Si la pression morale ne suffit pas pour les inciter à coopérer pleinement avec La Haye, la Cour pourra éventuellement émettre des mandats d’arrêts.

Alors que, début 2011, il n’y pas encore eu de suites à ces citations à comparaître, il reste à examiner, à ce stade, les effets des procédures engagées et à spéculer sur les conséquences escomptées à terme.

Les effets actuels et escomptés

PresidentKenyan-procesCPI
PresidentKenyan-procesCPI

L’exemple kenyan démontre que la CPI, de par sa seule existence et sans même ouvrir une enquête, influence au niveau national la manière de gérer les graves crises politiques.

Sans la CPI, le rapport Waki n’aurait sans doute pas eu plus d’influence que ses prédécesseurs. Sans la menace d’une intervention potentielle de la Cour, la Commission Waki ne serait jamais parvenue à provoquer un débat aussi intense sur la poursuite des responsables des violences et sur la nature des juridictions devant lesquelles les faire comparaître.

Cette pression a forcé le gouvernement à adopter, tout au moins de manière rhétorique, un nouveau discours sur les normes en matière de droits humains et sur la justice pénale internationale. Même si la Commission n’a pas réussi à inciter le gouvernement à créer un tribunal spécial, elle a mis en difficulté les responsables des violences et a largement contribué, par l’entremise de Kofi Annan, à convaincre le procureur de la CPI de faire usage pour la première fois de son droit d’initiative.

La Commission et la Cour se sont ainsi encouragées l’une l’autre à prendre des mesures sans précédent. Enfin, les interactions de ce duo ont profondément influencé les discussions publiques, notamment dans les médias. La question de la lutte contre l’impunité a effectivement été portée à l’agenda public et l’a occupé pendant les deux années qu’il a fallu pour qu’une enquête officielle puisse s’ouvrir.

Ces débats ont contribué à sensibiliser le public kenyan à la lutte contre l’impunité et au rôle du droit pénal international, créant ainsi une demande accrue pour l’imputabilité (Kiai, 2010).

L’adoption d’une nouvelle constitution, promulguée en août 2010, a quelque peu modifié la donne politique. Celle-ci prévoit en effet une refonte fondamentale du pouvoir judiciaire, ce qui pourrait remettre en cause l’agenda de la CPI.

Le ministre de la Justice, Mutula Kilonzo, a annoncé en septembre 2010 que la CPI n’avait plus de rôle à jouer au Kenya, car le secteur judiciaire kenyan serait en mesure, suite à cette réforme, d’engager les poursuites nécessaires. Il a également affirmé que Kofi Annan et les Nations unies appuyaient cette initiative et que la CPI pouvait donc annuler son enquête (Gakii, 2010).

Suite au tollé provoqué par cette déclaration, il a tenu à « clarifier » ses propos et a finalement affirmé que les tribunaux nationaux en processus de refonte s’occuperaient des responsables subsidiaires auxquels la CPI ne s’intéressait pas et que la CPI n’avait pas donc à suspendre son enquête.

À la différence notable du remplacement du Tribunal hybride exceptionnel par les tribunaux nationaux, ce projet irait dans le sens de la stratégie des « trois volets » souhaitée initialement par le procureur de la CPI. Toutefois, cette réforme judiciaire, préalable et nécessaire, de la justice va prendre beaucoup de temps. Les premiers procès ne s’ouvriront pas, dans le meilleur des cas, avant 2013, c’est-à-dire après les élections générales de 2012.

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Aucun responsable ne se verra ainsi empêché de candidater par des instances nationales, même si en cas de réélection ils ne bénéficieraient pas d’immunité. Enfin, cela signifierait que les premiers procès nationaux n’auraient lieu que cinq ans après les crimes commis, rendant plus difficile l’établissement des preuves (témoignages moins précis, moins crédibles) et réduisant aussi l’effet dissuasif de la justice.

Le procureur de la CPI, quant à lui, semble très conscient de l’urgence des procès. Ayant annoncé les accusations en décembre 2010, il espère pouvoir finir les procès avant les élections prévues pour décembre 2012. La simple délivrance des citations à comparaître pourrait suffire à empêcher les politiciens poursuivis de se présenter. Cependant, le transfert des accusés devant la Cour de La Haye demeure encore incertain.

En théorie, un mandat d’arrêt international obligerait le gouvernement kenyan à arrêter les accusés et à les transférer à la CPI. Pourtant, même si le gouvernement kenyan a promis à maintes reprises de coopérer pleinement avec la CPI, le Président et le Premier ministre pourraient rencontrer beaucoup de difficultés à arrêter un collègue député ou ministre. La sincérité des promesses de collaboration des autorités kenyanes avec la CPI peut être mise en doute.

Le précédent constitué par la visite du président soudanais el-Béchir soulève la possibilité que le gouvernement kenyan refuse encore une fois de respecter la force de la loi pénale internationale au nom d’une résolution de l’UA.

À l’écoute des récents commentaires du ministre de la Justice sur l’inutilité d’un processus judiciaire international, suivis d’une motion adoptée au parlement kenyan, en décembre 2010, qui recommandait le retrait du Kenya de la CPI, un refus de coopération devient très plausible.

Le gouvernement kenyan semble actuellement vouloir inciter l’UA à demander une suspension des affaires de la CPI relatives au Kenya, une recommandation que le Conseil de sécurité de l’ONU devra entériner.

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La question se pose aussi de savoir si la justice pénale internationale sera en mesure de dissuader, à l’avenir, de commettre de nouvelles violences. Les perspectives semblent là aussi mitigées. À court terme, la délivrance de mandats d’arrêt pourrait engendrer de nouvelles violences suscitées par les accusés et leurs alliés, mais difficiles à contenir.

Pour atténuer ce risque et éviter l’impression de partialité, le Bureau du procureur a donc accusé en même temps trois membres de l’ODM et trois personnes associées à la PNU.

À long terme, quoi qu’en disent Moreno-Ocampo et les partisans de la CPI, il est peu probable que la justice pénale internationale soit capable à elle seule de mettre fin aux violences politiques au Kenya. Selon le scénario le plus optimiste, seules six personnes seront poursuivies devant la Cour et jugées coupables avant les prochaines élections générales.

Ce serait certes un événement sans précédent au Kenya. Mais les responsables de violences passées et futures pourraient conclure – et ils auraient probablement raison – qu’il suffit de ne pas être parmi la demi-douzaine des plus grands responsables pour échapper à l’imputabilité. Ils porteront aussi plus d’attention à effacer leurs traces, ce qui n’était pas forcément nécessaire auparavant lorsque l’impunité était la règle. S’ils restent impunis, les policiers ordinaires déduiront eux aussi qu’ils peuvent tuer des civils sans conséquence.

La CPI suscite certaines attentes irréalistes au Kenya. Certains considèrent ainsi que la justice pénale internationale aura un effet d’exemple et encouragera la réforme des institutions juridiques nationales prévues par les dispositions de la nouvelle constitution (Mutunga, 2010). Mais cela pourrait également produire l’effet contraire.

Le succès de la CPI pourrait renforcer les perceptions actuelles de faiblesse et de corruption du système judiciaire kenyan (International Bar Association / International Legal Assistance Consortium, 2010) et renforcer l’impression que le combat contre l’impunité ne peut être mené que par des acteurs internationaux (Wanyeki, 2010).

Force est de constater que le succès des procès à la CPI n’est pas garanti. Il est possible que le Bureau du procureur ne soit pas à même de prouver la culpabilité des accusés ou qu’il commette des erreurs procédurales ou stratégiques.

Il faut aussi reconnaître les limites de l’impact de cette justice internationale, même si elle devait aboutir à des condamnations. Sur les centaines, voire les milliers de personnes qui ont participé aux violences de 2007-2008, seulement six accusés seront poursuivis.

De plus, les enquêtes de la CPI se limitent à une période très restreinte : de 2005 à 2009. Il est peu probable que le gouvernement actuel ou un autre aura la volonté d’enquêter sur les violences antérieures, même à la suite d’une réforme judiciaire importante, car les principaux responsables sont des agents de l’État ou des membres de grands partis politiques.

Aucune instance nationale ou internationale ne se saisira de ces violences des années 1990, très comparables à celles qui font l’objet d’enquêtes devant la CPI. Cela permet de rappeler le cadre utile mais généralement modeste de la justice pénale internationale, qui ne traite que d’un nombre spécifique et limité de crimes dont la nature est strictement définie et forcément limitée.

CONCLUSION

Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 1
Uhuru Kenyatta, premier président à comparaître en cours de mandat devant la CPI 1

La Cour pénale internationale a été conçue comme cour de dernière instance, susceptible d’intervenir uniquement si aucune autre instance ne peut ou n’est prête à le faire. Au Kenya, c’est précisément le rôle qu’elle a joué, car le gouvernement n’a jamais démontré sa volonté ou sa capacité à le faire, en dépit de ses nombreuses promesses.

Mais les attentes vis-à-vis de la CPI sont immenses. On attend d’elle qu’elle punisse les responsables des violences postélectorales, qu’elle prévienne les futures violences, qu’elle encourage la réforme du système judiciaire kenyan et qu’elle renforce l’État de droit. Malheureusement, cette espérance sera sans doute déçue.

Au delà de la possible incarcération d’au plus six hauts responsables, les effets de la Cour sont incertains. Même si la justice pénale internationale peut punir une demi-douzaine de personnes, des centaines ou plus resteront impunies.

L’effet dissuasif par rapport à l’avenir restera donc limité et semble peu à même de décourager les futurs candidats à l’usage de la violence comme outil politique. Ils feront seulement en sorte de ne pas se trouver parmi la poignée de gens poursuivis.

Ce pessimisme quant aux résultats de l’enquête de la CPI au Kenya ne cherche pas à minimiser la valeur de son intervention. L’incarcération d’accusés, ne serait-ce que d’un seul, aurait certes une valeur symbolique inestimable.

Même si le processus a été long et que la justice se fait aux Pays-Bas plutôt qu’au Kenya, ce serait la première fois qu’un dirigeant kenyan serait tenu responsable pour la commission de tels crimes.

Pour un pays caractérisé par l’impunité totale, il s’agirait d’un événement sans précédent. Néanmoins, il convient de rappeler et de clarifier les limites de l’intervention de la CPI afin d’éviter la déception chez ceux et celles qui développent des attentes démesurées.

Notes

[*] L’auteur tient à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour la subvention qui a rendu possible cette recherche. Il est également reconnaissant des contributions de Chandra Lekha Sriram, professeure de droit, School of Oriental and African Studies, Université de Londres, avec qui il a entrepris cette recherche et dont la participation a été financée par la Nuffield Foundation. Il remercie également Sylvie Capitant pour ses précieux conseils, Rosalind Raddatz pour son assistance adroite et un évaluateur anonyme pour ses suggestions.

[1]Pour de plus amples détails, voir Throup (2008).

[2]Le premier Président du Kenya, Jomo Kenyatta (1963-1978), était kikuyu et le deuxième, Moi (1978-2002), kalenjin. Plusieurs Luo, membres du troisième groupe le plus important, étaient de l’avis que c’était donc à leur tour d’accéder à la plus haute fonction de l’État.

[3]Sur les causes des violences, consulter Anderson et Lochery (2008), Branch et Cheeseman (2009), Maupeu (2008) et Mueller (2008).

[4]Sur le rôle de l’UA et des bailleurs de fonds, voir Brown (2009), Juma (2009) et Khadiagala (2009).

[5]Précisons néanmoins que le retrait d’un pays de la CPI ne lève pas la compétence de la Cour relative aux crimes internationaux commis sur son territoire avant le retrait.

[6]« Ne restons pas dans le vague, allons à Den Haag (La Haye) ».

Mis en ligne sur Cairn.info le 04/04/2011
https://doi.org/10.3917/rtm.205.0085

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