Les secrets du Qatargate. Selon « Le Soir », Francesco Giorgi, le compagnon de la députée Eva Kaili, a reconnu faire partie d’un réseau d’influence au service du Qatar, mais aussi du Maroc.
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Qatargate : le compagnon d’Eva Kaili passe aux aveux
Grâce à des documents inédits, Mediapart révèle les coulisses du Qatargate, cette enquête judiciaire pour corruption présumée sur l’attribution au Qatar de la coupe du monde de football 2022. Récit d’une affaire d’États qui mêle arrangements au sommet, football, amitiés, diplomatie et business.
Selon Le Soir, l’un des quatre inculpés dans le Qatargate est passé aux aveux. Ce qui nous a été confirmé par une source belge.
Il s’agit de Francesco Giorgi, le compagnon de l’eurodéputée grecque Eva Kaili, déchue de son poste de vice-présidente du Parlement.
L’homme est aussi l’assistant parlementaire du député italien Andrea Cozzolino. Selon les documents de justice consultés par le quotidien belge, Francesco Giorgi a reconnu faire partie d’un réseau d’influence destiné à peser sur les décisions européennes au service du Qatar, mais aussi du Maroc.
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Andrea Cozzolino occupe un rouage essentiel du groupe des socialistes et des démocrates (S & D) puisqu’il est chargé des « urgences ». Il s’agit en fait des résolutions d’urgence que le groupe S & D dépose au début de chaque session parlementaire.
Ces résolutions n’emportent aucune conséquence juridique mais elles positionnent le groupe sur des sujets sensibles.
Or, les députés français remarquaient, sans comprendre, que les résolutions d’urgence déposées par le groupe allaient très souvent à l’encontre des Émirats arabes unis, ennemis jurés des Qataris dans la péninsule arabique.
Les pétromonarchies utilisaient donc le Parlement européen comme un terrain de jeu de leurs luttes d’influence diplomatique, quitte à stipendier quelques relais aux postes stratégiques.
Les services secrets à l’origine de l’affaire
Le Maroc serait également impliqué, selon l’enquête qui a été lancée, en réalité, par les services de renseignements d’un pays européen qui a débusqué une ingérence étrangère. Le renseignement a été ensuite transmis à la Sûreté de l’État belge.
Les agents belges ont pénétré, de manière clandestine, dans l’appartement de l’ancien député italien Pier Antonio Panzeri et découvert de très importantes sommes en liquide (plus de 500 000 euros).
Ce n’est qu’après confirmation des renseignements que le dossier a été transmis aux services judiciaires, selon Le Soir, en vue d’un coup de filet.
L’affaire part de loin, car les policiers rassemblent des preuves depuis le mois de juillet pour le compte du juge Michel Claise.
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Mercredi, les inculpés sont passés devant la Chambre du Conseil du Tribunal de Bruxelles. Pier Antonio Panzer et Francesco Giorgi sont maintenus en détention.
Niccolò Figa Talamanca, à la tête de l’ONG No Peace Without Justice, est placé en résidence surveillée avec un bracelet électronique.
L’examen de la situation d’Eva Kaili a été reporté au 22 décembre. Celle-ci clame son innocence. Selon son avocat, Michalis Dimitrakopoulos, l’affaire de corruption présumée du Qatar et du Maroc n’a « aucun rapport avec l’argent retrouvé à [s]on domicilie [La police y a trouvé 150 000 euros, NDLR] ». Selon son avocat, elle ne connaissait pas l’existence de cet argent.
Réunions houleuses chez les socialistes européens
Francesco Giorgi, au cours de ses interrogatoires, mettrait en cause le député belge Marc Tarabella, lequel se défend de toute implication.
Marc Tarabella a suspendu sa participation au groupe S & D. Son domicile a été perquisitionné, son téléphone et son matériel informatique sont scrutés par la police.
Il n’est pas venu à la session parlementaire de Strasbourg « afin de rester en Belgique à la disposition de l’enquête », confie son entourage.
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Le groupe S & D a multiplié les réunions depuis lundi. Les délégations françaises, allemandes, roumaines, suédoises, danoises, néerlandaises et flamandes réclament des comptes à la cheffe du groupe, l’Espagnole Iratxe Garcia Perez, qui, à chaque réunion, finit en larmes et parfois quitte la réunion pour cacher ses pleurs. « Elle est complètement dépassée par la situation.
Elle n’a rien maîtrisé », déplore-t-on chez les Français. Sous l’impulsion de Raphaël Glucksmann, les Français se sont désolidarisés des votes pro-Qataris du reste du groupe.
Le malaise des autres délégations est d’autant plus grand qu’ils ont voté les amendements affaiblissant la résolution sur les droits des travailleurs au Qatar dans le contexte de la Coupe du monde.
« J’ai le sentiment d’avoir été trahi », a répété, par deux fois, l’Allemand Jens Geier, chef de la délégation SPD, lors de la réunion du groupe qui s’est tenue lundi après-midi, à Strasbourg.
Les Espagnols gênés aux entournures
Toutes les délégations réclament des réformes sur le fonctionnement interne du groupe, et notamment une meilleure maîtrise de la ligne politique du groupe qui est fixée de manière opaque par un petit nombre de personnes.
Toutes les délégations, sauf les Italiens et certains Espagnols qui semblent gênés aux entournures.
« Les Espagnols donnent le sentiment de ne pas vouloir bouger parce que ce serait reconnaître qu’ils ont été manipulés », confie un membre de la délégation française.
La démission d’Iratxe Garcia Perez n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour même si les dysfonctionnements internes l’accablent.
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Toute cette affaire montre que des puissances étrangères peuvent ainsi influer sur la ligne d’un groupe politique européen en achetant quelques personnes placées à des postes clé.
Le secrétaire général du groupe S & D a fini par envoyer un message à tous les membres, mercredi soir, afin d’appeler les uns et les autres à des réformes qui seront débattues lors de l’assemblée générale du groupe le 12 janvier.
L’enquête administrative interne, réclamée par les Français, est en cours et s’étend également aux cadres administratifs du groupe.
Le Parlement européen a adopté, jeudi, une résolution rédigée à toute vitesse en réaction à l’affaire. Cette résolution souligne le « besoin de transparence et de responsabilité au sein des institutions européennes ».
Lors de la négociation de ce texte entre les groupes parlementaires de la majorité (PPE, S & D, Renew, Les Verts…), les socialistes européens ont insisté sur l’instauration d’une commission d’enquête et l’amélioration des règles éthiques sur la transparence des contacts et des voyages de députés.
«Les résolutions d’urgence, c’est ça, le maillon faible »
Ce registre de la transparence – qui existe bel et bien – n’est pas ouvert au grand public (seulement aux députés entre eux). La consignation des rendez-vous n’a qu’un caractère facultatif.
Certains députés publient tout (les élus des nations du Nord, par exemple), d’autres (notamment à l’extrême droite) rien.
Les assistants parlementaires, qui assurent 85 % du travail législatif, ne consignent aucun de leur rendez-vous avec les divers lobbys industriels, politiques ou droit-de-l’hommistes.
« Les résolutions d’urgence, c’est ça, le maillon faible du Parlement, pointe l’eurodéputé Arnaud Danjean (LR-PPE).
Et comme par hasard, la gauche refuse que cela figure dans la résolution hâtive sur le Qatargate que l’on va voter aujourd’hui.
Ils préfèrent en faire des tonnes sur la transparence et une commission d’enquête alors que le Parlement n’a aucune vraie prérogative pour enquêter.
La transparence ? On peut être totalement transparent dans l’institution et se faire corrompre en dehors…
Mais les socialistes refusent toute discussion sur la procédure des résolutions d’urgence et la transparence des ONG qui les inspirent. Deux sujets pourtant au cœur du scandale. »
Metsola sous la pression du PPE
Le rôle de la sous-commission « droits de l’homme » (DROI) du Parlement européen fait l’objet d’un intense combat politique. Pour les chrétiens-démocrates du PPE, cette sous-commission est la porte d’entrée des ONG faux nez d’intérêts inavouables, et l’implication de quelques personnes au sein de celle-ci dans ce Qatargate sème le doute.
Dans une lettre datée du 15 décembre, Rasa Jukneviciene (lituanienne), présidente du groupe de travail sur les politiques externes, Michael Gahler (Allemand de la CDU), coordinateur de la commission AFET (Affaires étrangères) et la luxembourgeoise Isabel Wiseler-Lima, coordinatrice de la sous-commission DROI, demandent à Roberta Metsola de soutenir leur demande au sein de la Conférence des présidents de groupe : la démission avec effet immédiat de la socialiste belge, Maria Arena, présidente de la sous-commission DROI, et la suspension des activités de ladite commission tant que les investigations ne sont pas terminées.
Maria Arena, membre du PS wallon, n’est pas concernée par les enquêtes judiciaires en cours, mais l’un de ses anciens assistants, Giuseppe Meroni, a travaillé autrefois avec Pier Antonio Panzeri, l’un des inculpés maintenus en prison. La députée Arena s’est d’ailleurs d’elle-même mise en retrait de la présidence de la sous-commission DROI.
Roberta Metsola, qui promet de restaurer le crédit entamé de l’institution parlementaire, est mise sous pression par ses amis politiques du PPE.
Après son discours vigoureux sur l’éthique lundi, au début de la plénière, il serait désastreux que la présidente Metsola apparaisse faible, comme prisonnière des jeux partisans comme sous la IVe République.
« Ce n’est pas son genre. Elle est très forte, » glisse-t-on dans son entourage. Les semaines qui viennent seront décisives pour cette jeune Maltaise qui, dans les années à venir, se voyait offrir un terrain balisé pour poursuivre son ascension dans les institutions européennes. Certains évoquaient d’ailleurs son nom pour la Commission européenne.
Les « groupes d’amitiés » avec les pays tiers dans le collimateur
Chez Renew, la priorité n’est pas de démonter la sous-commission DROI pour renforcer la commission AFET, comme le souhaite le PPE.
« Depuis 2019, mon groupe politique demande la création d’un organe éthique interinstitutionnel, rappelait, mercredi, dans l’hémicycle, Stéphane Séjourné, le président de Renew. qui doit avoir des pouvoirs d’enquête pour mieux contrôler les règles non seulement des députés, mais aussi des anciens parlementaires et de l’ensemble des gens qui travaillent dans nos institutions européennes. »
Le rôle pernicieux des « groupes d’amitié » avec les pays tiers est également dans le viseur. Officiellement, le Parlement européen ne connaît que des « délégations » en relation avec des pays étrangers.
Celles-ci sont strictement encadrées : le chef de la délégation s’inscrit dans une démarche collective conforme à la ligne majoritaire du Parlement européen. À l’étranger, il est le seul à s’exprimer et toujours dans le sens de la ligne majoritaire du Parlement.
« Les groupes d’amitiés, eux, sont totalement informels et il nous arrive de soupçonner qu’ils abritent des activités douteuses », observe Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Défense.
Elle raconte ainsi que l’écologiste allemand Reinhard Butikofer, en charge de la délégation aux relations avec la Chine, s’était interrogé sur les activités d’un groupe d’amitiés Euro-Chine au Parlement européen.
Les eurodéputés ont suspendu jusqu’à nouvel ordre le groupe d’amitié UE-Qatar au Parlement
« Le jour même, ce groupe d’amitié s’est dissous de lui-même », note-t-elle. Étant donné les dégâts du Qatargate, les eurodéputés ont suspendu jusqu’à nouvel ordre le groupe d’amitié UE-Qatar au Parlement ainsi que toutes les activités concernant l’émirat et tous les voyages vers les pays du Golfe.
Ce groupe d’amitiés était présidé par l’Espagnol José Ramon (Ciudadanos, Renew) qui, le 5 décembre, était en visite au Qatar et a assisté, selon Qatar news agency, « à une partie des événements de la Coupe du monde de la Fifa Qatar 2022. »
Toujours selon l’agence qatarie, « la réunion a porté sur l’examen des relations de coopération bilatérale entre l’État du Qatar et l’Union européenne, ainsi que sur une série de questions d’intérêt commun ».
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Par Kafunel.com
Avec Lepoint.fr