Technologies d’information et de communication : quel rôle dans les dynamiques territoriales de développement ?

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Rôle dans les dynamiques territoriales de développement ? La contribution des nouvelles technologies d’information et de communication aux processus de développement et aux dynamiques territoriales est aujourd’hui au centre de nombreux débats, tant au regard de la maîtrise de l’information que de la réduction des distances spatiales qu’elle autoriserait.

La nature des arguments avancés dépend largement des schémas d’interprétation proposés et des hypothèses sous-jacentes sur les processus de développement et plus généralement les interrelations entre le technique et le social.

2Depuis une trentaine d’années certaines analyses ont considéré le progrès technique comme une révolution qui permettrait d’abolir la distance physique et d’éclater les territoires traditionnels, s’appuyant implicitement sur une analyse économique, classique ou néoclassique où les coûts de production sont fonction de coûts de transport.

L’avènement (rôle) des Technologies d’Information et de Communication (TIC) serait alors capable de gommer progressivement les disparités régionales, réduisant les coûts et favorisant les mouvements d’entreprises vers les zones défavorisées.

3Ces schémas sont aujourd’hui remis en cause. L’anéantissement des distances par une substitution des télécommunications aux transports paraît largement contredit – l’effet tient davantage de la complémentarité que de la substitution – ; le télétravail prévu dans les travaux de prospective des années 60 reste dans des limites modestes quelle que soit l’approche adoptée, aménagement du territoire ou technique des télécommunications (CRAIPEAU, 1995).

Cependant, par-delà les déceptions et même les demi-échecs, les TIC continuent à susciter un intérêt renforcé auprès des collectivités locales, rappelant le pouvoir de séduction qu’elles peuvent avoir sur les élus (EVENO, 1999).

4Notre propos, n’est pas ici d’idéaliser les TIC, ou de les rejeter, adhérant à une opposition irréductible entre « technophiles (rôle) » – pour lesquels la technique (rôle) est une solution en soi, induisant un scénario de progrès linéaire -, et « technophobes » rejetant toute incidence de la technique sur les processus en œuvre. 

Nous nous interrogerons sur la place que les TIC occupent dans les dynamiques territoriales au travers de projets de développement. 

Pour cela et dans un premier temps, il apparaît nécessaire de préciser la problématique qu’ouvrent les TIC en matière spatiale, s’écartant d’une appréciation purement technique et mécanique en termes de diffusion.

La réflexion s’éloignera alors des analyses contradictoires qui ont pu être faites sur un rôle structurant prêté aux TIC, pour leur préférer une interprétation en termes de « facilitateur » de dynamique (Section I).

Sur la base d’une évaluation [1][1]Évaluation européenne réalisée dans le cadre du programme ORA… [*][*]Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin… de 25 projets européens mettant en œuvre des TIC en zones rurales, nous envisagerons un autre schéma d’interprétation fondé sur la contextualisation des TIC, c’est-à-dire sur les différents facteurs permettant de quitter une lecture purement technique pour réaffirmer la dimension sociale et économique des projets.

Nous préciserons tout d’abord les conditions dans lesquelles se sont déroulés les projets (Section II), pour situer la place des TIC au regard de l’ensemble des autres critères qui interviennent dans leur mise en œuvre (Section III).

Enfin en conclusion, sera rappelée l’influence du contexte social et économique dans lequel s’insère la technique.

I – Un renouvellement de la problématique spatiale des technologies d’information et de communication

5L’avènement des réseaux de communication et l’irruption de la « quasi-instantanéité » (la possibilité offerte d’être au même moment ici et ailleurs) posent largement la question de la confrontation et du rapprochement des échelles spatiales et temporelles.

G. DUPUY (1991) souligne le « brouillage des échelles territoriales » par l’ouverture de l’économie grâce au traitement possible des informations à une autre échelle que celle d’une implantation ou d’un bassin de main-d’œuvre.

H. BAKIS (1995) parle « d’un pont immatériel » entre divers niveaux de l’espace géographique, qui rapprocherait le local et le global, permettant une articulation inédite entre ces deux échelles.

F. JAUREGUIBERRY (1999) juge que, pour la première fois dans l’histoire, il y aurait une réelle possibilité de rupture du binôme espace-temps où « économie de l’un (espace) se traduirait par un gain de l’autre (temps) » (p. 44).

Cependant et paradoxalement par rapport à l’intérêt de la thématique, les études sur l’implication spatiale des TIC sont peu développées, laissant ainsi se renforcer l’idée d’un éclatement des territoires et d’une uniformisation des espaces.

Un débat sur les possibles réorganisations spatiales dues aux TIC

6Une part importante de la littérature fait abondamment référence à l’avènement d’une « société sans distance », d’un « espace transparent » peuplé d’individus sans attache territoriale, qui conduirait à de nouvelles formes de relations sociales, où la distance physique serait abolie au même titre que la distance sociale dans un environnement mondialisé.

Or, l’observation des faits conduit aujourd’hui à une lecture bien différente, et contredit, au moins provisoirement, la thèse de l’effondrement des échelles spatiales voire de l’effacement des villes.

Associer de façon déterministe le développement de technologies de transport et de communication, et des formes d’organisations spatiales apparaît très aléatoire (PLASSARD, 1993).

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7Cela a cependant conduit à renforcer deux « mythes » (BEGAG, CLAISSE, 1991). Le premier est celui de la neutralité spatiale grâce aux technologies d’information sans distance et sans épaisseur temporelle (instantanées) ; celui de l’impulsion d’une nouvelle organisation de l’espace avec l’abolition des contraintes de distance et de temps, avec des prospectives débridées sur le télétravail, la fin du trajet quotidien, le déménagement de la ville à la campagne (rôle).

Certains présupposés, cependant largement contredits, ont participé à la confusion qui a pu s’établir entre un lieu géographique et un espace médiatique sans distance physique.

8Le premier présupposé est celui de l’accès instantané à l’information et de sa maîtrise grâce aux télécommunications, de la réduction de la contrainte de distance kilométrique dans un environnement où l’information et son contrôle prennent une importance grandissante.

Or, du seul point de vue technique, l’accès instantané est remis en cause par les incompatibilités techniques, l’hétérogénéité (rôle) des zones de couverture, la persistance des disparités en matière de procédures ou de modes de tarification qui sont loin de présenter un panorama homogène des infrastructures de télécommunications.

La « société de l’information » apparaît ainsi moins homogène que l’expression ne semble bien vouloir le sous-entendre. De plus, les avancées technologiques ne conduisent pas à un scénario de progrès linéaire.

Les technologies multimédia ne sont pas seulement des moyens de transmission ; elles transforment les manières de penser et de raisonner, contrairement à ce que laisse entendre l’expression maintenant courante d’autoroutes de l’information (GALLON, 1996).

9Un second présupposé véhiculé par ce terme « d’autoroute de l’information » et repris en Europe notamment dans le livre blanc « croissance (rôle), compétitivité, emploi » de J. DELORS, décembre 1993, préconise une politique européenne d’investissements dans les infrastructures de télécommunications.

Il invite à une double assimilation (MUSSO, 1995) : le terme « autoroute » réduit tout d’abord l’enjeu des TIC à la question technique des réseaux (ou des infrastructures) ; il conduit par ailleurs à identifier télécommunications et transports.

L’aménagement du territoire peut dès lors être pensé sur la seule relation territoire-réseau, où le réseau technique permettrait un aménagement « rationnel » du territoire (à l’échelle planétaire). La représentation du territoire est ainsi « unifiée-unifiante ».

10Un troisième présupposé est lié à une approche du développement régional largement basée sur une logique de développement industriel, qui réfère à l’augmentation des degrés de liberté des réorganisations au sein des firmes ou entre les firmes, facilitant les processus de désintégration ou d’externalisation, assouplissant les cadres spatio-temporels (VELTZ, 1996).

Les TIC sont cependant rarement la cause de telles réorganisations, davantage liées aux tendances lourdes économiques, plus que techniques.

C’est la mise en réseau des activités, substitution des logiques de commande marchande aux logiques hiérarchiques, diversification des statuts, des rythmes, des formes juridiques et matérielles du travail.

Ainsi, la notion même de « télétravail » reste confuse (rôle), mélangeant des processus classiques de division du travail comme la délocalisation, et les réorganisations de l’espace-temps de l’entreprise au sein des aires métropolitaines.

Il apparaît difficile si cela n’est impossible d’isoler un effet spécifique des techniques de communication sur les formes territoriales.

11Enfin, les techniques d’information et de communication sont souvent identifiées à la nouveauté (il est souvent question de « N » TIC, Nouvelles Techniques d’Information et de Communication).

Le quatrième présupposé est donc celui de la nouveauté de la technique et de son caractère révolutionnaire. Or, si elles génèrent des mutations, ces technologies ne sont pas toujours aussi révolutionnaires que le laisse croire une approche superficielle (DUPUY, 1991).

En effet, chaque génération technologique a été considérée comme devant produire une véritable mutation.

Ce fut le cas du télégraphe électrique puis du téléphone au XIXe siècle, de la radio, de la télévision, de l’information, de la télématique, de la fibre optique ou des RNIS au XXe siècle.

Rôle dans les dynamiques territoriales de développement ?

À chaque fois l’enjeu est jugé primordial, révolutionnaire (par exemple le Plan câble de 1982) ; un profond décalage s’instaure rapidement entre les espoirs qui avaient été formulés et les réalisations (EVENO, 1999).

De plus, aujourd’hui le réseau transpac, le minitel ne sont plus précisément de nouveaux réseaux de télécommunications. L’ordinateur est entré dans la plupart des grandes entreprises dès les années 60.

La mise à disposition des TIC est en fait considérée comme un acquis au même titre que peut l’être le branchement aux réseaux d’eau et d’électricité. Les améliorations qu’elles apportent sont relatives et non absolues.

Des effets structurants aux « complémentarités dynamiques »

12La confrontation des tenants d’un triomphalisme velléitaire attribuant aux TIC le pouvoir de transcender les contraintes liées au temps et à l’espace, – arguments souvent portés par les discours politiques sur la « société de l’information (rôle)» -, à la négation de toute influence des TIC (rôle) sur les dynamiques territoriales et les localisations d’activités économiques, conduit à remettre en cause et dépasser une approche des TIC en termes d’effets structurants.

Une telle approche avait déjà été critiquée pour les infrastructures routières et les liens directs de causalité qu’elle tentait d’établir avec le développement régional (PLASSARD, 1977) ; il en est de même pour la transmission d’information pour laquelle le raisonnement avait été étendu au milieu des années 80.

Ainsi, dépasser les limites de la précédente analyse, nécessite de repositionner la problématique spatiale des TIC sur des interactions nouvelles (RALLET, 1994 ; BAKIS, 1995) et la mise en évidence de « complémentarités dynamiques » (RALLET, TORRE, 1999).

13Le renouvellement de l’approche a posé en tout premier lieu la question du rapport flux d’information – mobilité physique. L’approche précédente l’avait analysée en termes de substitution, levant la contrainte forte de proximité géographique pour communiquer et échanger.

Elle permettait d’envisager accueillir des fonctions à forte intensité informationnelle pour des régions périphériques et autorisait une réorganisation spatiale des localisations d’activités économiques dans un espace moins polarisé.

Or, des études ont montré les capacités limitées des TIC à remplacer la proximité géographique et ont remis en cause une telle approche.

Il semble plus réaliste aujourd’hui de parler de complémentarité entre la mobilité des hommes et des biens que d’alternative (RALLET, 1994) : « ce rôle complémentaire entre les deux types de réseaux a favorisé une réorganisation (rôle) des activités qui articule une division spatiale du travail plus étendue et une forte solidarité temporelle des lieux de cette division » (p. 205).

14En matière de transport, les TIC permettent ainsi d’optimiser et de sécuriser le transport de marchandises grâce au support logistique qu’elles apportent, comme par exemple l’accroissement du trafic ou l’amélioration de la couverture géographique du service. Elles permettent ainsi de concilier temps et espace.

Concentrations spatiales et articulation d’échelles

15Loin de provoquer une indifférenciation socio-spatiale ou « la fin de villes », ces TIC semblent participer à un processus d’accélération et d’accentuation des polarités socio-spatiales.

La mobilité des hommes, des marchandises et des informations, sous l’impulsion de la conjugaison des technologies d’information et des transports ne fait qu’accélérer le phénomène d’agglomération.

« L’économie actuelle n’est donc pas un simple espace de flux, elle est aussi un espace des lieux […] celui-ci n’est plus un territoire au sens traditionnel (rôle), à savoir une étendue définie par ses frontières, fondement et champ d’exercice d’une autorité administrative. Il est un territoire sans étendue, défini par des ressources dont la mobilisation est fortement localisée (dépendante du lieu) et dont la valorisation se réalise dans l’articulation avec d’autres lieux » (RALLET, 1994, p. 211).

16L’articulation de contraintes fortes de localisation – favorisant les grandes agglomérations avec des TIC en rapide évolution -, tend ainsi à renforcer la structuration du territoire autour de grands pôles urbains et d’axes de communication.

G. CLAISSE (1997) montre que les concentrations et les nouveaux réseaux de communication les plus perfectionnés sont concentrés dans les zones de densité démographique, accentuant les disparités spatiales : « dans une société divisée en classes, la médiation croissante de la communication n’atténue ni à plus forte raison n’élimine la hiérarchie des espaces » (JAURÉGUIBERRY, 1999, p. 46).

17Cette problématique centrée sur les conséquences spatiales de l’articulation des TIC aux infrastructures de transport doit cependant être complétée par les rapprochements d’échelle que les réseaux de télécommunications occurrent.

Ainsi, l’étude de leur rôle dans les processus de transfert de technologie et celle des besoins de proximité géographique, A. RALLET et A. TORRE (1999) montrent que la proximité organisationnelle est largement aussi importante que la proximité (rôle) géographique.

Elle autorise en particulier des échanges de savoir sans pour autant requérir en permanence une localisation proche, relativisant ainsi une approche strictement cognitive du phénomène.

18Si les TIC ne suppriment pas la nécessité du face à face, elles établissent au contraire une complémentarité dynamique entre proximité géographique et relation à distance.

Elles autorisent ainsi et renforcent une autre type de proximité, la proximité organisationnelle – appartenance à une même organisation ou à une même communauté professionnelle -, qui permet aux agents de partager des connaissances tacites à distance.

Ainsi, un des changements les plus importants apportés par les TIC ces dernières années est leur capacité à supporter des échanges de connaissances tacites, elles ne servent pas simplement de support aux liens « forts » mais aussi aux liens « faibles » (rôle).

La proximité géographique apparaît comme une contrainte relative de moins en moins forte ; ce n’est pas tant l’éclatement des territoires qui s’impose alors à la réflexion, mais bien le rapprochement et la confrontation des échelles.

Une contextualisation des TIC

19Il serait inexact de penser qu’une homogénéité spatiale ne repose que sur la disponibilité en moyens de télécommunication.

Les TIC s’inscrivent dans un espace déjà fortement différencié et une organisation spatiale préexistante : hétérogénéité des densités de population, répartition inégale des activités industrielles ou tertiaires. Ces disparités spatiales de facteurs économiques ou sociaux constituent une donnée incontournable, produit de l’histoire et du social.

La géographie des télécommunications révèle largement cette organisation spatiale préexistante : infrastructures, parcs d’équipements, répartition des services.

20Ainsi, A. RALLET (1993) analyse l’impact des réseaux dans la formation de disparités régionales et relativise deux formes de discriminations territoriales (rôle) en matière de technologies d’information – par l’accès et par les coûts – dans les pays développés.

L’évolution des techniques et de la réglementation dans ce domaine fait en effet jouer un rôle essentiel à la demande alors que les discours sur les effets structurants des TIC – héritiers de la politique des transports – surestiment l’offre et négligent le rôle de la demande dans la formation des réseaux.

Ainsi, le déploiement spatial de l’Internet en constitue un exemple. E. EVENO (1999) montre que les sites géographiques les plus dynamiques sont les grandes métropoles.

Rrôle des Technologies d'information et de communication dans les dynamiques territoriales de développement
Rrôle des Technologies d’information et de communication dans les dynamiques territoriales de développement

Dans ces espaces, pas besoin de politiques publiques pour susciter le développement des TIC. Il est produit spontanément par les dynamiques économiques et organisationnelles, par la diversité de la demande locale, l’accessibilité des expertises techniques, la connexion du marché local à un espace économique élargi : « le développement des TIC dans le contexte des grandes métropoles est la conséquence plus que la cause des dynamiques économiques ».

21Les constats posent directement la question des TIC dans les dynamiques territoriales. Vouloir isoler l’impact de la technologie en dehors de tout contexte d’implantation apparaît donc illusoire (VELTZ, 1996) ; une seule problématique d’équipement apparaît donc limitée.

22Enfin, cela questionne plus spécifiquement la place des TIC (rôle) au sein de projets de développement. Ainsi, E. EVENO (1999) parle de la prégnance d’une « idéologie du développement local centré sur les TIC », qui conduit à espérer qu’une installation volontariste de TIC dans un territoire enclenche des dynamiques économiques.

Or, la technique confrontée aux logiques pragmatiques de développement local, paraît n’avoir d’impact véritable sur le développement local que dès lors qu’elle prolonge des approches et des stratégies constituées et validées par les dynamiques socio-spatiales.

La multiplication des expériences de développement local utilisant les TIC ne suffit pas à montrer que celles-ci soient le nouveau moteur du développement (rôle).

Cela ne signifie cependant pas qu’aucun rôle ne puisse leur être reconnu, mais plutôt d’insister sur le fait que les stratégies et les expériences mises en œuvre débordent largement le cadre stricte de leurs potentialités.

23Une évaluation européenne réalisée sur 25 projets de développement ruraux dans le cadre du programme ORA (« Opportunities for Rural Areas », DG XIII, 3ème PCRD) mettant en œuvre des TIC a ainsi questionné leur rôle dans des processus de développement et de dynamiques territoriales (rôle).

Ces projets ont permis de situer la technique par rapport à d’autres paramètres sociaux, économiques et organisationnels et de caractériser l’effet technologique dans son contexte.

II – Projets de développement européens mettant en œuvre les TIC

24Ces projets prenaient place dans 8 pays européens, – la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Grèce, les pays scandinaves (Danemark, Norvège, Finlande), l’Espagne, et la France – dans des contextes d’infrastructures technologiques régionales et nationales différents.

25Ces contextes étaient variés, géographiquement et économiquement, en termes d’infrastructures de nouvelles technologies, faibles dans les zones rurales profondes, meilleures dans les zones prospères.

Il est apparu que les technologies employées étaient pour la plupart d’entre elles simples, n’utilisaient pas de technologies de pointe, confirmant (rôle) la concentration des services les plus pointus en zones urbaines (RALLET, 1993).

Les technologies envisagées étaient cependant différentes selon les applications, en fonction des techniques mobilisées, et de leur centralité aux projets. Elles ne constituaient pas en conséquence une contrainte particulière tant en termes d’infrastructures à disposition que de compétences mobilisées (rôle).

26Les infrastructures en place couvraient un large spectre : RNIS [2][2]RNIS : « Réseau Numérique à Intégration de Services » (ISDN… (en France, « Numéris »), visioconférence, commutation par paquets (en France, « Transpac »), réseaux téléphoniques de base (les plus usités, en France, minitel, micro-informatique), transmission satellite.

Les serveurs étaient situés le plus souvent dans un centre régional ou dans une petite ville. Le RNIS (rôle) et les larges bandes étaient importantes en Norvège où les larges bandes étaient disponibles dans le nord.

Elles étaient en revanche relativement faibles en Grèce où les zones périphériques disposaient seulement du réseau téléphonique de base.

En Espagne, l’implantation des infrastructures de télécommunication était plus récente, les infrastructures barcelonaises ayant été récemment (après les Jeux Olympiques de 1992) étendues (rôle) aux zones des applications évaluées.

En France, la plus grande partie du territoire national disposait du RNIS, – dans les cas traités, les régions rhône-alpine et lorraine étaient pourvues en infrastructures avancées (RNIS, larges bandes) ; le RNIS était disponible en Écosse et au Danemark.

Évaluation de l’échec ou du succès d’un projet d’utilisation de TIC

27Tout d’abord, l’évaluation de projets mettant en œuvre des TIC a dû lever une ambiguïté qui consistait à assimiler une application utilisant les nouvelles technologies aux nouvelles technologies elles-mêmes. Celles-ci interviennent dans le contexte d’un projet de développement porté par une (ou plusieurs) application(s), parmi d’autres facteurs qui concourent aux objectifs visés.

28Ainsi, le « succès » est diversement apprécié selon le point de vue développé : celui de l’acteur local, celui de l’opérateur ou encore celui de l’organisation publique impliquée dans le financement ou l’initiative (ARTISAN, 1995). Les résultats attendus peuvent être différents selon les acteurs et leur niveau d’intérêt, local, régional ou national (rôle).

Ce que des instances nationales définissent alors comme un projet de développement réussi mettant en œuvre des nouvelles technologies ne correspond pas forcement à l’idée de succès que s’en fait un groupe d’innovateurs locaux.

Ainsi, lorsque les acteurs locaux conçoivent le projet comme un outil destiné à satisfaire des besoins ou pouvant renforcer leur autonomie sociale et économique, des représentants de l’État auront davantage un souci d’Aménagement du Territoire (rôle).

De son côté, le producteur de matériel informatique aura intérêt à accroître son chiffre d’affaires, et pour cela à créer une demande.

29Le succès du projet et de ses objectifs de développement varie selon les acteurs interrogés, les normes de développement et les critères de succès retenus. L’évaluation de la contribution des nouvelles technologies doit en tenir compte.

Le diagnostic émis en sera modulé. La contribution des TIC au développement est situé dans un contexte ; elle s’analyse par rapport à une notion de succès qui prête à appréciation.

La centralité de la technique

30Les projets évalués dans le cadre d’ARTISAN (1) – comme avait pu le montrer une autre étude réalisée dans le programme ORA (LE ROCH, 1994) – affichaient des perspectives de développement rural vastes : enseignement et formation à distance, télésurveillance, expertise à distance, achat à distance, distribution ou services audiovisuels de loisirs, etc. Ces projets présentaient quatre principaux objectifs de développement (voir tableau 1, page suivante),

  • l’appropriation des services publics : ces expériences proposent d’étendre au milieu rural des services à la population (rôle). Elles concernent la gestion municipale, les diagnostics médicaux à distance et la télémédecine, les réseaux scolaires, les réseaux de bibliothèques ;
  • la promotion et la modernisation des PME locales et des organisations agricoles : les applications envisagent des centres de ressources, des services aux entreprises et aux coopératives, de l’information agricole ;
  • l’élargissement des marchés : le but est de donner aux entreprises locales (rôle) l’accès à un marché plus large, régional, national, voire international. Les applications impliquées mettent en place des centrales touristiques de réservation, des stations de travail satellites, des télécottages [3][3]Le concept de « telecottage » ou CTSC (centres communautaires… ;
  • l’amélioration du contexte social, culturel et économique : les applications envisagent des services à la population, des TV communautaires, de la formation, des services informatiques vidéo.

Tableau 1

Les projets sélectionnés et leurs objectifs

Rrôle des Technologies d'information et de communication dans les dynamiques territoriales de développement
Rrôle des Technologies d’information et de communication dans les dynamiques territoriales de développement

31Dans le cas des services publics, les nouvelles technologies étaient centrales, contrastant avec les autres applications évaluées.

Elles mettaient en œuvre des conférences vocales, des transferts vidéo, de la visioconférence, des accès à des banques de données. Le matériel utilisé – scanners digitaux, micro-ordinateurs, réseaux locaux -, était généralement standard (sauf pour la station de travail médical multimédia développée en Norvège).

L’innovation portait davantage sur les logiciels utilisés. Les infrastructures disponibles au sein des zones d’implantation étaient variées, mais, suffisantes pour le développement de ces applications. Le facteur technologique n’a pas été une contrainte pour leur développement.

32Pour les projets de promotion des PME, la technologie n’a également pas été une contrainte majeure. La plupart de ces applications mettaient en œuvre un ensemble varié de technologies d’information. Certaines se contentaient d’un accès aux micro-ordinateurs, aux imprimantes.

Pour d’autres (6 applications sur 9), les TIC (rôle) étaient essentielles. Le réseau téléphonique standard était le plus largement utilisé, complété par la commutation par paquet (Transpac). Le RNIS était disponible sur les aires de 4 applications, constituant un possible développement de ces services.

33Les applications portant sur l’amélioration de l’accès au marché ont requis des communications interactives. Les cas français et irlandais ont utilisé les systèmes nationaux minitel, en complément de Transpac pour la France et d’une configuration technologiquement plus complexe pour l’Irlande (rôle).

Le RNIS était disponible dans 3 cas sur 4 ; il n’a cependant été utilisé que dans l’application britannique, le coût semblant la principale contrainte à son utilisation. Selon les cas, les technologies d’information ont été présentes mais peu utilisées (FIN, DK [4][4]Voir note n° 3 sur les CTSC.) ; elles ont soutenu certains services (GR) ; elles ont constitué l’essentiel de l’innovation de l’application (F) ; elles ont représenté une option future non encore mise en œuvre (IRL).

34Les applications visant au développement socio-économique n’ont également pas utilisé, pour la plupart, de technologies de pointe. Le potentiel technologique à disposition n’a pas été utilisé à plein. Ces applications ont émergé sous l’impulsion à la fois d’initiatives locales et d’opportunités extérieures.

35La disponibilité régionale en infrastructures n’est ainsi pas apparue comme un facteur déterminant. Les applications n’ont généralement pas requis de larges bandes ou le RNIS ; le réseau téléphonique standard et des modems ont généralement suffi.

La seule exception semble être le cas français par une application visant au développement socio-économique. Sa sophistication s’explique par différents facteurs : un niveau élevé de financement et d’équipement, une implication de partenaires techniques (France Télécom, Bull), une ambition politique régionale de modernisation (rôle).

III – Les projets de développement : vers une contextualisation de la technique

36« L’innovation » technique possède dans bien des cas un fort pouvoir de conviction pour résoudre des problèmes de développement qui ont déjà épuisé de nombreux processus. L’apport technique, avec son potentiel de diffusion d’information, peut être ainsi considéré comme un équipement de base indispensable (rôle), en particulier pour rompre l’isolement. Son installation devient alors un objectif en soi, en supposant que les acteurs locaux sauront se l’approprier et s’en servir.

37De nombreuses « applications » ont ainsi été mises en place en zone rurale dans l’objectif premier de valoriser l’outil technique.

Cette façon de concevoir l’introduction des TIC, voire même les projets de développement, a été largement favorisée par l’existence de financements publics à l’investissement et la quasi gratuité des équipements.

Cependant, un équipement technique privilégiant l’offre aux besoins et aux compétences se révèle souvent inadapté et ce, d’autant plus que les services proposés sont le plus souvent sophistiqués. Ils sont alors sous-utilisés et absorbent des crédits de financement importants.

De plus, cette sous-utilisation accrédite l’idée que les populations rurales sont inaptes au changement. Enfin, l’opération sert alors davantage les intérêts des promoteurs de matériel qui ont cherché à vendre ou à tester leurs produits.

L’outil, mal connu par les utilisateurs, est maîtrisé par des experts qui le développent selon leurs propres potentialités techniques, sans avoir le souci prioritaire de l’adapter aux besoins et aux habitudes des utilisateurs.

Dans ce processus, les objectifs de développement ont été délaissés au profit de l’expérimentation technique.

38E. EVENO (1999) distingue ainsi deux types de projets mobilisant les TIC : ceux qui se caractérisent par l’instrumentalisation des TIC et leur incorporation dans un projet de développement plus global ; ceux où les collectivités territoriales focalisées sur les TIC les idéalisent voire les « totémisent ».

Pour les projets évalués, les promoteurs de projets de développement se rangeaient dans leur grande majorité dans la première catégorie. Dans tous les cas, la mobilisation sociale autour du projet s’est avérée fondamentale à son développement.

L’implication différenciée des acteurs locaux a fortement joué sur les projets et la façon de mettre en œuvre les TIC.

La technique n’est pas apparue aussi centrale que l’on aurait pu le penser, la réussite des projets ayant engagé d’autres facteurs (mobilisation sociale, financement, ou encore les compétences sectorielles locales nécessaires, présentes ou à créer).

Le contexte de mise en œuvre des projets

39Les facteurs qui influent le processus de mise en place des projets (conception, création sur le terrain, mise en œuvre) sont nombreux (rôle).

Ils interpellent les financements attribués et la façon dont ils sont distribués, mais surtout les modes d’introduction des technologies d’information auprès des acteurs locaux et leur implication dans l’élaboration du projet. Selon les objectifs de développement (tableau 1), les situations ont été contrastées.

40Ainsi, les projets concernant des services publics (gestion municipale (F), télémédecine (GR, GB), enseignement à distance (GB), réseau de bibliothèques (DK)) ont tous impliqués les utilisateurs. Ces derniers ont été consultés durant le processus de développement et la mise en place du projet.

41Pour les services aux PME, la solidarité politique des acteurs régionaux caractéristique de ces régions rurales (GR, IRL en particulier) a expliqué le partenariat réussi des acteurs à la base de ces projets.

Les initiateurs des applications ont été, soit des collectivités locales, soit des agences de développement ou des chambres consulaires fournissant déjà le service proposé.

Au-delà des ressources financières, le savoir-faire et l’information ont constitué d’importantes ressources. Les projets ciblés sur des secteurs particuliers (coopératives agricoles, secteur textile dans le cas de l’Espagne) avaient une connaissance détaillée des utilisateurs et de leurs besoins.

La « foi » de quelques acteurs et des commanditaires en leur projet et dans le développement régional et rural a également constitué une ressource clef. De façon similaire, la légitimité du projet a été déterminante pour les futurs partenariats et collaborations (rôle).

L’absence de telles ressources a bien souvent compromis le succès de certaines expériences. Cela a été le cas de la France pour le projet d’information agricole mis en place en 1981 dans le département de Meurthe-et-Moselle.

Celui-ci prévoyait pour les agriculteurs un service d’information sur les cours en temps réel et une série de services plus ciblés tels que les résultats d’analyses laitières. L’opération initiée par les organisations socio-professionnelles et les opérateurs techniques au niveau national n’a que très peu été utilisée.

42Pour les projets favorisant l’accès au marché, il a été impossible de généraliser l’évaluation à partir des observations. Dans tous les cas, les projets ont vu le jour grâce à l’existence d’une politique ou d’un programme plus global.

Ainsi, le projet français de centrale de réservation touristique (Guiltel) a été initié dans le cadre du plan « Informatique Pour Tous » ; l’expérience irlandaise portant également sur le secteur touristique, a été soutenue par le programme européen STAR ; les cas norvégien et britannique (service d’information vidéo et station satellite de travail à distance) ont bénéficié de politiques régionales de développement mises en œuvre dans ces zones.

Cependant, les initiatives, dans tous les cas, provenaient d’une réflexion lancée avant le démarrage du projet au niveau local. L’émergence de ces applications a reposé sur une initiative privée dans les cas norvégien et britannique, sur une action publique pour le cas français ou encore une association sans but lucratif pour l’Irlande.

Derrière ces applications, la présence d’individualités marquantes a été déterminante (entrepreneurs locaux, maires, équipes d’agences de développement, personnes privées, ou consultants).

43Pour les projets visant au développement socio-économique, l’émergence s’est faite sous l’impulsion d’initiatives locales et d’opportunités extérieures. Dans la plupart des cas, il s’est agi à la fois des ressources fournies – l’existence de réseau câblé (IRL), une main-d’œuvre locale volontaire (DK, GR, FIN), un support commercial (F), un financement public, régional, national ou européen (dans tous les cas), et des individus capables de tirer profit de ces avantages.

44Au-delà de l’importance de la ressource humaine et de leur mode d’implication dans l’élaboration et la mise en place du projet, les financements attribués à ces projets apportent des enseignements sur la façon dont a été conçu le soutien à ces projets ruraux, et surtout sur ce qui en était attendu par les financeurs : simple expérience ou projet réel projet de développement.

Ainsi, ces projets ont été abondamment subventionnés. Ils ont reçu globalement plus de 6 millions d’Écus (données 1995, les proportions variant d’une application à l’autre).

Ces financements provenaient des États (8 cas sur 9), de l’Union Européenne (6 sur 9, programme STAR), du secteur privé (7 sur 9). Il est apparu extrêmement difficile de dissocier fonds étatiques et fonds européens, une part des financements étatiques ayant des composantes européennes (fonds structuraux et soutien agricole par exemple).

45Un constat a rapidement émergé (ARTISAN, 1993b) : le financement sur le long-terme des projets est rarement prévu, et les commanditaires ont l’intention de financer une démonstration plus qu’une application durable.

Ainsi, l’essentiel des financements s’est concentré (rôle)sur le démarrage des projets et a délaissé le fonctionnement et l’expansion de ces derniers ; ce manque de suivi a souvent compromis leur devenir et a posé le problème général d’attribution des fonds, aux utilisateurs plutôt qu’aux fournisseurs de service technique (rôle).

La conception même du projet véhiculé se pose alors : expérience ou service durable ?

Les conséquences des options prises en la matière ont été variées. Selon le plan d’aide au financement prévu, les projets pouvaient se développer, ou au contraire s’arrêter.

Certains ont pu voir, en fonction de ce critère, changer leurs objectifs. Ainsi, l’appui aux PME prévu par certains projets (en Espagne par exemple) a progressivement changé d’objectif pour favoriser les entreprises plus importantes, de certains secteurs (textile dans le cas présent).

L’importance de l’implication sociale

46Parmi les études de cas traitées au niveau européen, l’expérience de Guiltel (puis Guiltour) dans les Hautes-Alpes (Guillestre, France) nous permet d’illustrer une introduction maîtrisée des TIC en territoire montagnard tant par leur rôle sur le développement, que par les services offerts (ARTISAN, 1993a).

47Créé en 1987 à l’échelle d’un petit pays des Alpes du Sud (pays du Guil), Guiltel a été conçu au départ comme une banque de données touristiques consultable sur minitel. Le service proposé a consisté à informatiser des informations dont disposaient les Offices de Tourisme pilotés par les communes, dispersés sur quatre principaux sites d’implantation.

Guiltel a été lancé par un « leader local », passionné d’informatique, vice-président du syndicat d’initiative de Guillestre, qui a saisi le Plan IPT [5][5]IPT : Plan Informatique Pour Tous, lancé en France en 1985 par… pour proposer l’idée du service aux acteurs locaux.

Le maire de la commune de Vars (président du SIVOM regroupant les communes du canton de Guillestre dont fait partie Vars), a été le défenseur du projet et de sa réalisation.

Son action ainsi que celle du créateur ont consisté à fédérer les acteurs touristiques des cantons concernés autour d’un projet de développement touristique commun.

L’objectif premier était d’améliorer l’image touristique du pays en répondant de façon plus efficace aux demandes d’information reçues par les Offices de Tourisme (rôle). Un second objectif visait la diffusion d’informations locales auprès de la population résidante.

Technologies d'information et de communication quel rôle dans les dynamiques territoriales de développement
Technologies d’information et de communication quel rôle dans les dynamiques territoriales de développement

48Guiltel a utilisé au départ les réseaux existants (réseau téléphonique) puis Transpac. En 1992, Guiltel s’est relié à des réseaux d’information touristique régionaux et nationaux.

Son chiffre d’affaires en 1990 était de 350 KF, 2000 appels par an, et avait créé 1,5 emploi. L’investissement a été financé par des fonds publics : collectivités locales, État, Région. 50 % du fonctionnement était autofinancé.

49Ce nouveau service a été conçu avec les institutions en place (collectivités locales, SIVOM, syndicats d’initiatives, offices (rôle) du tourisme) et les professionnels du tourisme qui ont été impliqués dès le départ.

Cette banque de données est orientée en 1990 vers un service de réservation d’hébergement et de vente de produits touristiques (loisirs, services). Sa mise en service est récente, et date de 1995.

50Le projet est devenu opérationnel grâce à l’adhésion des acteurs directement concernés : la motivation de l’initiateur et la pertinence de l’idée n’auraient pas suffi. L’outil TIC est au service d’un projet économique. Son efficacité a supposé une préparation des acteurs dans une démarche globale de développement. Guiltel s’est mis en place grâce à la présence d’un chef de projet bien intégré dans le milieu.

51Les TIC ont permis dans ce projet un développement endogène, favorisant un renforcement du pouvoir économique à l’échelle du pays, surmontant les querelles internes, pour se positionner vis-à-vis de l’extérieur.

L’alliance avec une société IRT (ingénierie et logistiques télé-informatique), implantée régionalement et spécialisée dans le développement des TIC dans le secteur touristique, a permis une évolution significative et stratégique dans le développement de l’application initiale exigée par l’environnement concurrentiel, au risque d’un affaiblissement du pouvoir local.

Guiltel devient une filiale d’IRT, Guiltour. Le projet est orienté vers la réalisation d’une centrale de réservation capable de faire face au réseau de serveurs touristiques nationaux.

Des compétences sectorielles plus que des formations techniques

52La technologie n’est pas apparue dans ces 25 projets de développement comme une contrainte majeure. Des problèmes plus importants ont été soulevés par les compétences techniques dans les domaines abordés.

Les applications mises en œuvre sur les services publics, les services aux entreprises et l’accès au marché ont bien illustré le fait que les compétences liées au secteur d’activité sont davantage requises que des connaissances techniques (rôle).

53Ainsi, pour les services publics, les connaissances médicales et touristiques étaient les plus importantes. Pour les services aux PME, la formation technique était moins nécessaire qu’il n’avait été envisagé.

Dans de nombreux cas, les individus impliqués étaient déjà informés sur les technologies utilisées, et n’avaient besoin que d’apports limités en compétences.

Ainsi, la gestion d’un centre de ressources a nécessité des compétences administratives et de gestion ; la formation la plus importante concernait le marketing, la consultance et les relations aux professionnels et aux acteurs politiques.

54Pour les applications visant l’accès au marché, les compétences nécessaires étaient moins liées au domaine technique qu’aux connaissances dans les domaines d’activité touchés : médicales, touristiques, expertise commerciale.

L’absence de formation et l’importance de nouveaux arrivants qualifiés ont limité les recrutements locaux à des emplois non qualifiés. Les qualifications supérieures ont fait appel à des recrutements extérieurs.

Les processus de développement engagés

55Enfin, les modes d’introduction des TIC ont conduit à des formes de développement différent. Ainsi, les projets de services publics – plus particulièrement de diagnostic médical à distance- en offrent un exemple.

Les projets de télémédecine ont presque tous promu, d’une certaine manière, un modèle endogène de développement rural, où étaient renforcées les capacités institutionnelles locales et les conditions de vie (expérience grecque de diagnostics à distance, par exemple).

Cependant, certains d’entre eux ont répondu à un développement sous dépendance, par décentralisation d’expertise et réduction de la capacité institutionnelle locale.

56Les projets norvégiens et grecs de télémédecine illustrent le phénomène.

57L’expérience de télémédecine norvégienne a été mise en œuvre dans le nord de la Norvège, Finmark, (Tromsø), aire peu peuplée et distante de centres urbains importants.

L’hôpital local est à 797 kilomètres par la route de Tromsø. Dans un pays où la volonté politique d’équité dans l’accès au service public est forte, le projet visait à délivrer un service de qualité à ces zones reculées.

Le projet a été initié par le département de recherche des services de télécommunications norvégiens, en partenariat avec l’hôpital universitaire de Tromsø.

Depuis 1988, une palette de services a été développée (télépathologie, télé-endoscopie, télé-échocardiographie, télé-psychiatrie), suivant le schéma suivant : une image est transférée à un expert distant géographiquement qui avise le médecin ou le travailleur médical local.

L’impact d’une telle application est complexe. Dans cette expérience, tous les diagnostics de radiologie, l’enregistrement des patients et les statistiques sont concentrés au sein d’une institution spécialisée.

Elle peut renforcer les compétences des médecins locaux en assistant le diagnostic par l’avis d’experts. Par contre cela centralise également des activités plus que cela ne contribue à bâtir des compétences locales (développement sous dépendance). Le choix a porté ici sur la technologie (RNIS et larges bandes).

58L’expérience grecque se situe dans un autre contexte. Elle a pris place dans une aire périphérique rurale, dont l’économie est essentiellement liée à la pêche, à l’agriculture et au tourisme. Elle a mis en liaison dès 1988 l’École Médicale Universitaire d’Athènes et 12 centres de santé communautaires.

Les infrastructures de technologies d’information étaient généralement pauvres, reposant sur le réseau téléphonique standard. L’application utilisait également les transmissions d’image, de la voix et la visioconférence.

L’application a privilégié les diagnostics de médecins locaux appuyés à distance par des spécialistes d’un centre. Le choix s’est fait sur l’implication des acteurs locaux (développement endogène).

59Dans ces deux cas, le choix a porté sur le niveau d’investissement qui était fait dans les compétences locales des utilisateurs professionnels. Selon l’option prise, les modes de développement induits sont différents : « sous dépendance » lorsque les activités sont centralisées dans une institution spécialisée ; endogène lorsque sont privilégiés les diagnostics locaux.

Conclusion

60L’évaluation réalisée dans un contexte européen nous a permis de mettre en évidence le caractère contextualisé des TIC mobilisées dans des projets de développement. En effet, la plupart des projets étudiés ont impliqué des techniques simples qui ne présentaient pas de difficultés particulières pour les utilisateurs. De meilleurs résultats ont plus souvent été obtenus par l’amélioration de systèmes existants que par la tentative de mise en œuvre de solutions complexes.

61La technologie peut être utilisée à différentes fins : pour faciliter la communication entre les acteurs, pour faire circuler l’information utile aux activités économiques en zones rurales, pour améliorer des services existants, ou encore pour en créer de nouveaux. Elle ne remplace cependant pas la capacité d’innovation et de mobilisation des acteurs autour de projets de développement. Elle pose par contre en termes territoriaux, la question de la réorganisation spatiale des services d’intérêt général, ceux en particulier touchant à la santé publique.

62Beaucoup de projets échouent parce que les besoins réels et la demande potentielle des acteurs sont insuffisamment étudiés (rôle).

Les applications les plus réussies, observées à ce jour, sont celles qui améliorent un service existant (le besoin est parfaitement identifié) ou celles qui procurent un service précis pour un secteur économique bien déterminé (par exemple les applications agricoles).

La création d’une nouvelle marque ou d’un service multifonctionnel soulève inévitablement la question de « comment y accéder », et où « se trouvent les besoins réels ».

Les utilisateurs et les autres acteurs doivent être impliqués dans le processus d’identification de la demande et à l’organisation en projet adéquat dès la phase initiale de conception du projet.

63Enfin, au niveau européen, les points de vue diffèrent sur ce que devrait être le but fondamental des projets de télématique rurale (rôle), allant de la rentabilité immédiate à l’assistance au développement à long terme.

Comme le souligne I. LE ROCH (1994), derrière ces prises de position, des conceptions et des habitudes fort différentes se font jour en matière de réseaux et de politiques de développement de services de télécommunications.

Elles renvoient à des modèles différents selon la nationalité ou la conception que l’on se fait à la fois du milieu rural et des initiatives de développement en matière de TIC (rôle).

Notes

  • [*]Les chiffres entre parenthèses renvoient aux notes en fin d’article.
  • [1]Évaluation européenne réalisée dans le cadre du programme ORA (Opportunities for Rural Areas), lancé par la DG XIII de l’Union Européenne, dans le cadre du 3me PCRD (Programme Communautaire de Recherche et de Développement). Le groupe européen de recherche ARTISAN (1993-96) était composé de : Tavistock Institute of Human Relations (UK, coordinateur), Cemagref (F), Nexus (Irl), CCS (Dk), FORTH (Gr), Inmark (E), PRISMA (Gr), FUNDESCO (E), Telecom Eireann (Irl).
  • [2]RNIS : « Réseau Numérique à Intégration de Services » (ISDN pour les anglo-saxons).
  • [3]Le concept de « telecottage » ou CTSC (centres communautaires de téléservices) s’est développé dans les années 80 en Suède et au Danemark. Il a placé les télécommunications au stade d’outil. L’opérationalité de ces centres a été fonction de la façon dont les téléservices on été fournis aux communautés rurales. Les premiers CTSC ont été montés en 1985 et étaient polyvalents (rôle). Ils avaient pour but de permettre aux sociétés rurales reculées l’accès aux ordinateurs et aux télécommunications. Ils étaient à la fois orientés vers le secteur public (éducation, formation, services municipaux) et le secteur privé (emploi sous forme de petites entreprises).
    Durant les années 1985-90, l’idée a progressé très rapidement dans les pays nordiques. En 1990, il existait environs 15 centres en Norvège, 30 en Suède, 40 en Finlande et 10 au Danemark. D’autres pays – Angleterre, Écosse, Allemagne, Autriche, Canada – ont adopté le concept. L’idée a été particulièrement bien reçue dans les pays en développement et les pays à faibles services de télécommunication, en zones rurales. On ne peut parler d’un seul modèle de télécentre. Tous les CTSC sont en effet différents, répondant à des contextes sociaux et à des solutions organisationnelles variés. Afin de préciser le concept, une typologie de CTSC a pu être suggérée en fonction des territoires d’implantation : ceux des territoires ruraux reculés, ceux des territoires ruraux urbanisés, ceux enfin des territoire urbains (rôle).
    Des problèmes sont cependant apparus rapidement. Ainsi, certains services offerts ne pouvaient rivaliser avec des services similaires proposés à partir de zones urbaines. L’activité proposée n’était souvent pas assez spécifique pour se développer et toucher un marché éloigné. Les centres ont dû se spécialiser. Le passage d’une activité subventionnée de démarrage à une activité autofinancée de fonctionnement a alors posé plus de problèmes qu’elle ne le laissait supposer au départ.
  • [4]Voir note n° 3 sur les CTSC (rôle).
  • [5]IPT : Plan Informatique Pour Tous, lancé en France en 1985 par l’Éducation Nationale, visant à l’informatisation de l’enseignement.

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2012https://doi.org/10.3917/reru.011.0135

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